Le 1er mai 2025, la Cour suprême du Canada a accueilli la demande d’autorisation d’appel du procureur général du Québec concernant l’article 636 du Code de la sécurité routière (« Code ») qui porte sur les pouvoirs des policiers d’ordonner à tout conducteur d’un véhicule routier de s’immobiliser1.
Cela fait suite à la décision du 25 octobre 2022 de la Cour supérieure du Québec qui a déclaré inopérante cette disposition en raison de son inconstitutionnalité, plus précisément puisqu’elle porte atteinte de manière injustifiée à des droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés2 (« Charte canadienne »).
Le 23 octobre 2024, cette décision a été unanimement maintenue par la Cour d’appel du Québec. Nous devons désormais attendre que le plus haut tribunal canadien prenne position.
Quels sont les fondements de cette affaire et ses implications pour l’avenir?
L’arrêt de principe sur les interceptions aléatoires depuis 1990
En 1990, la Cour suprême du Canada, dans le cadre d’une affaire survenue en Ontario, examine le pouvoir des agents de la paix de procéder à l’interception de véhicules routiers sans avoir au préalable un motif raisonnable de croire qu’une infraction a été commise3.
Le plus haut tribunal du pays détermine alors, sans aucune dissidence, que les interceptions routières aléatoires violent le droit fondamental à la protection contre la détention arbitraire reconnu à l’article 9 de la Charte canadienne. Or, malgré la reconnaissance d’une telle violation, cinq juges contre quatre estiment qu’une atteinte à ce droit est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique, notamment par des considérations urgentes et réelles en matière de sécurité routière.
La Cour suprême du Canada conclut donc que cette violation est constitutionnellement permise en vertu de la Charte canadienne.
Le renversement d’un précèdent suivant une affaire sur fond de profilage racial
Plus de trente ans après l’arrêt Ladouceur, la Cour supérieure examine la situation vécue par M. Luamba4, lequel a fait l’objet de trois interpellations aléatoires sur une période d’à peine plus d’un an. Ce dernier s’adresse au tribunal afin de faire déclarer invalide constitutionnellement et inopérante la règle de droit octroyant aux agents de la paix le pouvoir d’intercepter un véhicule routier sans motif réel de croire ou de soupçonner qu’une infraction à une règle de sécurité routière a été commise. Il allègue la violation de ses droits fondamentaux et, notamment, le rôle du profilage racial.
En l’espèce, le tribunal conclut que le profilage racial soulevé est « un fait social que la Cour suprême n’a pas pu prendre en considération au moment de rendre l’arrêt Ladouceur »5. C’est pourquoi, particulièrement face à ce contexte social différent de l’époque, la Cour supérieure s’écarte de l’arrêt de principe de 1990.
En effet, la Cour supérieure fait volte-face en déclarant que la règle de droit, octroyant aux agents de la paix le pouvoir de procéder à des interceptions sans motif réel, prévus à l’article 636 du Code constitue une violation aux droits fondamentaux reconnus par la Charte canadienne, « sans pouvoir être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique et qu’elle est de ce fait invalide »6.
Le maintien de la déclaration d’inopérabilité par la Cour d’appel du Québec
La décision de la Cour supérieure a été portée en appel7 et lors de l’audience, le procureur général du Québec soulève, notamment, que la notion de profilage racial ne résulte pas d’une règle de droit, mais bien d’un comportement dérogatoire et inconscient de la part de certains agents de la paix. Dans de telles circonstances, il soumet que le fondement légal de procéder à des interceptions routières aléatoires ne saurait être qualifié d’inconstitutionnel.
Or, selon la Cour d’appel, c’est précisément en présence d’un pouvoir discrétionnaire, non encadré ni normé, que l’article 636 du Code permet au profilage racial de s’infiltrer, inconsciemment ou non, dans les opérations quotidiennes des policiers. Ce constat justifie le maintien de la déclaration d’inopérabilité de l’article 636 du Code et de la règle de common law établie par l’arrêt Ladouceur. L’appel est ainsi rejeté.
Le dépôt d’une demande en sursis dans l’attente du jugement de la Cour suprême
Le 31 mars 2025, la Cour d’appel suspend partiellement l’exécution8 de cette déclaration d’inopérabilité, circonscrit uniquement à deux types d’interventions policières énumérées ci-après, et ce, jusqu’au jugement final de la Cour suprême :
- les contrôles aléatoires en matière de dépistage d’alcool ou de drogue9;
- les contrôles aléatoires effectués par les contrôleurs dans le cadre des opérations de transport routier de personnes ou de marchandises.
Maintenant que la Cour suprême du Canada a accepté de se saisir de cette affaire en matière d’interception routière sans motif réel, il appert qu’une profonde remise en question sera inéluctable afin de légitimer ou non l’application d’un tel pouvoir discrétionnaire, spécifiquement dans un contexte documenté de profilage racial.
Faisant face à une société profondément transformée depuis l’arrêt Ladouceur, il sera fort intéressant de suivre les raisonnements contemporains de cette cour face à la question. L’issue de ce processus judiciaire contribuera nécessairement à clarifier les balises applicables et à orienter les futures pratiques policières.
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Mise en garde : le contenu du présent article ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques adaptés à sa situation.
- [1] L’article 636 du Code de la sécurité routière confère aux agents de la paix le pouvoir, dans l’exercice de leurs fonctions, d’ordonner à tout conducteur d’un véhicule routier d’immobiliser son véhicule. Avant la saga Luamba ce pouvoir était discrétionnaire et, depuis 1991, ne requérait aucun motif préalable ou soupçon particulier.
- [2] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c. 11.
- [3] R. c. Ladouceur, [1990] 1 RCS 1257; Cela inclut les interceptions dans le cadre d’un programme structuré i.e. un barrage routier.
- [4] Luamba c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3866.
- [5] Id., par. 561.
- [6] Id., par. 868.
- [7] Procureur général du Québec c. Luamba, 2024 QCCA 1387.
- [8] Procureur général du Québec c. Luamba, 2025 QCCA 373.
- [9] Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 320.27 (2).
Auteur(e)s : Sarah Routhier, Vincent Vachon et notre équipe en droit du transport