Attentes raisonnables, recours en redressement et rachat d’actions

30 novembre 2021

 

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Commentaire sur la décision Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc.1

Introduction 

Les conflits familiaux ne tournent pas toujours autour de qui aura le contrôle de la manette de la télévision pour la soirée. Non, parfois ils touchent plutôt à des montants de plusieurs millions de dollars et aux attentes raisonnables d’actionnaires minoritaires dans une société familiale. Récemment, la Cour d’appel s’est penchée sur un conflit familial dans l’affaire Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc.

Faits du dossier 

Dans cette affaire, Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. (« GSPP ») se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui rejette sa demande en redressement en vertu de l’article 450 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec (« Loi ») à l’encontre de Les Placements Péladeau inc (« PPI ») et de Pierre-Karl Péladeau (« PKP »). L’unique actionnaire de GSPP, Simon-Pierre Péladeau, est le demi-frère de PKP.

PPI est une société qui détient des actions avec droit de vote de la société Québecor inc. (« Québecor »). GSPP détient quant à elle des actions dans PPI. Les actions de GSPP devaient être rachetées par PPI en vertu d’engagements contractuels selon un prix déterminé de 1,00 $ par action en fonction de dividendes que cette dernière reçoit annuellement de Québecor.

En 2001, une première entente de rachat des actions intervient. Le délai convenu pour le rachat total des actions de GSPP dans PPI s’étale de 20 à 25 années. Dans les années qui suivent, que très peu d’actions sont rachetées.

Ainsi, en 2008, une nouvelle entente intervient afin d’accélérer la cadence de rachat. Or, dans les années subséquentes, la nouvelle formule n’est guère plus efficace et ne permet que très peu de rachats d’actions. Frustrée par la situation, GSPP demande à la Cour supérieure d’exercer ses pouvoirs en vertu de l’article 450 Loi afin d’ordonner le rachat immédiat de l’ensemble des actions restantes ou encore de fixer un terme final pour leur rachat.

Jugement de première instance

Le juge de la Cour supérieure arrive aux conclusions suivantes :

  • Il n’existe aucune atteinte aux attentes raisonnables;
  • Le recours se fonde seulement sur l’entente de 2008 et vise à bonifier celle-ci;
  • La réclamation de GSPP est à titre de créancière contractuelle et non pas à titre d’actionnaire.
  • Étant donné qu’il y a eu des rachats d’actions depuis l’introduction des procédures judiciaires, l’oppression, même si elle avait existé auparavant, est maintenant inexistante.
  • Il n’y a aucune preuve que PKP utilise son influence sur le conseil d’administration de Québecor en lien avec les déclarations de dividendes et qu’il n’a pas agi de mauvaise foi.

Jugement de la Cour d’appel 

Suivant cette décision, GSPP saisi la Cour d’appel. Dans son arrêt, la Cour d’appel résume le test applicable en matière d’oppression sous l’article 450 Loi. À cet égard, nous vous référons également à notre article.

La Cour d’appel rappelle tout d’abord le test à deux (2) volets :

  1. Est-ce qu’il y avait attente raisonnable ?
  2. Est-ce que cette attente raisonnable a été frustrée par un comportement répréhensible ?

La Cour d’appel souligne également que le recours en redressement est un recours qui est fondé sur l’équité et donc que l’analyse doit être contextuelle et non pas que strictement juridique. Chaque cas étant différent, les rapports personnels, et plus particulièrement les rapports familiaux, peuvent jouer un rôle important dans l’évaluation des attentes raisonnables. Rappelons-le, Simon-Pierre est le demi-frère de PKP.

Une fois que l’attente raisonnable est établie, le tribunal doit déterminer si l’attente raisonnable a été frustrée par un comportement répréhensible. La Cour d’appel indique que cette détermination ne requiert pas nécessairement une preuve de mauvaise foi ou encore de l’intention de nuire ou de porter atteinte à l’attente raisonnable. Le comportement de l’actionnaire majoritaire envers l’actionnaire minoritaire doit s’analyser en regard du résultat sur l’attente raisonnable.

Analyse de la Cour d’appel

Essentiellement, la Cour d’appel souligne qu’il y avait une attente raisonnable à ce que les actions détenues par GSPP soient rachetées sur une période entre 20 et 25 ans. Selon la Cour, c’est dans un contexte de correction de la formule de rachat d’actions de l’entente de 2001 que celle de 2008 a été conclue. En effet, les parties souhaitaient bonifier l’entente de 2001 afin d’accélérer le rythme de rachat. En réalité ce n’est pas ce qui s’est passé. La Cour d’appel conclut donc qu’il y avait une attente raisonnable et que le juge de première instance ne pouvait se contenter de regarder uniquement l’entente de 2008, il fallait plutôt regarder l’ensemble des circonstances menant à la prise du recours.

Suivant la détermination de l’attente raisonnable, la Cour d’appel se penche sur le comportement abusif ou injuste et arrive à la conclusion qu’effectivement, l’attente raisonnable de GSPP est frustrée dû à un tel comportement. Elle retient qu’il y a bel et bien eu frustration des attentes raisonnables. En effet, Québecor s’était dotée d’une politique favorisant le rachat d’actions au détriment de la déclaration de dividendes ce qui faisait en sorte qu’ultimement, GSPP ne pouvait pas se faire racheter ses actions dans PPI dû au faible taux de dividendes versés à cette dernière par Québecor. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une intention de nuire ou de porter atteinte, la Cour réitère que ce n’est pas un élément essentiel pour déterminer si le comportement est abusif ou injuste, il suffit que les intérêts de GSPP n’aient pas été pris en considération dans le processus décisionnel. Les intérêts des actionnaires minoritaires de PPI n’ont pas été pris en compte, c’était suffisant, il fallait donc que PPI et PKP prennent les mesures correctives pour rectifier la situation, ce qu’ils n’ont pas fait.

Considérant l’ensemble de ce qui précède, la Cour d’appel conclut que le remède approprié en l’espèce était de fixer un terme au rachat, soit le 30 juin 2022, ayant comme conséquence le rachat immédiat des actions s’il n’était pas respecté.

Conclusion 

Considérant ce qui précède, advenant qu’une société et son conseil d’administration agissent sans considérer les attentes raisonnables de leurs actionnaires dans un contexte relationnel global et non pas limité, la société pourrait se retrouver face à un recours en redressement.

Pour toute question concernant cet article, adressez-vous aux auteurs du présent billet.

Antoine P. Beaudoin, Associé
antoine.beaudoin@steinmonast.ca
418-640-4440

Frédérique Lessard, Avocate
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Alexandre St-Pierre Marcoux, Avocat
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1Gestion Simon-Pierre Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2021 QCCA 956.

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