LE CONTRÔLE DES DÉCISIONS PRISES PAR UN CONSEIL D’ADMINISTRATION ET LES ATTENTES RAISONNABLES DES TIERS

1 avril 2020

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La Loi canadienne sur les sociétés par actions1 (« LCSA ») et la Loi sur les sociétés par actions2 (« LSA ») prévoient un mécanisme visant à contrôler les décisions d’un conseil d’administration d’une société. Les articles 241 LCSA et 450 LSA prévoient qu’un détenteur de valeurs mobilières d’une société et tout administrateur ou dirigeant, ancien ou actuel d’une société, peut s’adresser à la Cour supérieure du Québec pour obtenir une ordonnance visant à redresser une situation lorsque, de l’avis du tribunal, la société ou une personne morale du même groupe :

i) agit ou s’apprête à agir abusivement à l’égard des détenteurs de valeurs mobilières de la société, de ses administrateurs ou dirigeants; ou
ii) se montre ou risque de se montrer injuste à leur égard en leur portant préjudice;

de l’une ou l’autre des manières suivantes :

i) en raison de son comportement;
ii) par la façon dont elle exerce, a exercé ou s’apprête à conduire ses affaires internes;
iii) par la façon dont les administrateurs exercent, ont exercé ou s’apprêtent à exercer leurs pouvoirs.

Malgré ceci, il faut garder à l’esprit que ce ne sont pas seulement les intérêts de la personne qui s’estime lésée qui doivent être analysés, mais également les intérêts de la société et/ou des autres actionnaires, administrateurs ou autres personnes impliquées. Lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui serait « juste et équitable » dans un contexte donné, la question est de savoir si ces attentes sont raisonnables compte tenu des faits propres à l’espèce, des rapports en cause et de l’ensemble du contexte, y compris la possibilité d’attentes et de demandes opposées.

Ainsi, la notion d’attente raisonnable dépend au plus haut point des faits propres à chaque dossier3. Les attentes doivent donc être évaluées objectivement et dans leur contexte. Par exemple, il est possible que les rapports entre actionnaires fondés sur des liens familiaux n’obéissent pas aux mêmes normes que les rapports entre actionnaires sans lien de dépendance d’une société ouverte4.

Également, ce ne sont pas toutes les attentes déçues, même lorsqu’elles sont raisonnables, qui donnent ouverture au recours en redressement, encore faut-il que celles-ci provoquent un préjudice injuste à la personne qui s’estime lésée. Les tribunaux vont au-delà de la légalité et se demandent ce qui est juste et équitable compte tenu des intérêts en présence et de la raisonnabilité des décisions du conseil d’administration.

C’est ainsi que le fait, par exemple, de détourner des profits ou des occasions d’affaires au bénéfice d’une autre société contrôlée par les actionnaires majoritaires ou le fait de vider la société de ses actifs de manière à la rendre incapable de respecter ses obligations envers la personne qui s’estime victime d’oppression ou à la priver de la possibilité de participer aux bénéfices peuvent constituer des injustices susceptibles d’être corrigées par les tribunaux en vertu du recours en redressement des articles 241 LCSA et 450 LSA.

En cette période de crise sanitaire, il est concevable de croire que les tribunaux verront à porter une attention particulière aux faits et gestes des conseils d’administration des sociétés, pour s’assurer que les décisions prises tiennent compte non seulement des intérêts des actionnaires, mais également des intérêts des employés, des prestataires de régime de retraite et des créanciers. Les recours extraordinaires prévus aux articles 241 LCSA et 450 LSA donnent en quelque sorte à ces « parties intéressées » un droit de regard sur les décisions du conseil d’administration et le droit de rechercher du tribunal à rendre « toute ordonnance qu’il estime appropriée ».

Bien que la situation actuelle commande des décisions rapides et évolutives du conseil d’administration, il importe de rappeler que de telles décisions doivent considérer les intérêts de toutes les parties intéressées à ces décisions pour éviter l’ingérence des tribunaux dans la régie interne de la société.

Par conséquent, dans la situation sans précédent résultant de la COVID-19, advenant qu’un conseil d’administration agisse sans se soucier des attentes raisonnables de ses employés, retraités (pensionnés) ou de ses créanciers, la société pourrait s’exposer à faire l’objet d’un recours en redressement.

Pour toute question additionnelle relative aux obligations du conseil d’administration dans le contexte actuel ou aux recours en oppression, n’hésitez pas à communiquer avec l’un ou l’autre des membres de notre équipe de droit litige commercial ici ou l’un ou l’autre des auteurs du présent billet :

Me Antoine P. Beaudoin, Associé
antoine.beaudoin@steinmonast.ca
418 640-4440

Me Samuel Massicotte, Associé
samuel.massicotte@steinmonast.ca
418 640-4421


1 L.R.C (1985), ch. C-44.
2 RLRQ, c. S-31.1.
3 Voir l’analyse du juge Morissette de l’arrêt BCE faite dans l’arrêt Softmédical c. Daabous, 2017 QCCA 1270, par. 79 et ss et Westfair Foods Ltd. v. Watt, (1991) 73 Alta L.R. (2d) 326 (Alta Q.B.).
4 Dion c. Dion, 2019 QCCS 3074 (en appel).

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