LA RESPONSABILITÉ ET LA PROTECTION DES ADMINISTRATEURS AU QUÉBEC

1 April 2020

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Dans le cadre d’un précédent billet rédigé par nos collègues Me Jacques Cossette-Lesage et Me Éric Laplante, ces derniers vous ont rappelé les devoirs et obligations des administrateurs de société. En cas de manquements à ces devoirs et obligations, les administrateurs sont susceptibles de voir leur responsabilité personnelle engagée. Nous vous partagerons notre point de vue de praticiens sur les distinctions fondamentales entre le régime d’indemnisation et l’assurance responsabilité des administrateurs prévue par le Code civil du Québec (« C.c.Q. »)1 (communément appelée « D&O », acronyme anglais pour l’expression « Directors and Officers »).

Le régime légal d’indemnisation versus l’assurance responsabilité

Le régime d’indemnisation édicté par la Loi sur les sociétés par actions2, (« LSA ») et la Loi canadienne sur les sociétés par actions3 (la « LCSA ») et la police d’assurance couvrant la responsabilité des administrateurs ont le même objectif, soit :

  1. de couvrir l’administrateur pour les frais juridiques nécessaires pour se défendre face aux allégations de faute découlant d’une poursuite civile et/ou pénale et, le cas échéant;
  2. de payer les montants auxquels il pourrait être condamné par jugement ou qui peuvent résulter d’une entente de règlement négociée.

La principale distinction entre le régime légal d’indemnisation et l’assurance responsabilité est la source du paiement de ces frais. Dans le premier cas, ils doivent être assumés par la société, dans le second, ils le seront par l’assureur responsabilité, dans le cas où la couverture d’assurance trouve application.

La principale distinction entre le régime légal d’indemnisation et l’assurance responsabilité est la source du paiement de ces frais. Dans le premier cas, ils doivent être assumés par la société, dans le second, ils le seront par l’assureur responsabilité, dans le cas où la couverture d’assurance trouve application.

Le régime légal d’indemnisation

La LSA4 et la LCSA5 contiennent des dispositions spécifiques sur la protection d’indemnisation offerte aux administrateurs. Ces dispositions sont relativement similaires. Par contre, il faut savoir que la LSA oblige les sociétés québécoises à défendre et indemniser les administrateurs alors que la loi fédérale rend une telle obligation facultative.

Ces deux (2) lois prévoient notamment que l’indemnisation des administrateurs doit couvrir tous les frais et dépenses raisonnables pouvant être encourus, incluant ceux versés pour régler le dossier à l’amiable ou pour satisfaire les conclusions d’un éventuel jugement défavorable. Toutefois, pour que la protection d’indemnisation trouve application, il est nécessaire que les administrateurs aient exercé leurs fonctions avec honnêteté et loyauté, et ce, dans l’intérêt de la société. Dans le cadre spécifique de poursuites pénales ou administratives qui entraînent le paiement d’amendes et/ou de pénalités (c.-à-d. en matière de responsabilité statutaire), pour que la protection d’indemnisation trouve application, il faut que l’administrateur visé ait eu de bonnes raisons de croire que sa conduite était conforme à la loi6.

Les administrateurs d’une société, ou ceux intéressés à le devenir, ont intérêt à vérifier que la société ait prévu un régime d’indemnisation qui répond aux risques auxquels ils peuvent personnellement faire face. Normalement, selon la pratique développée au fil du temps, ce régime est inclus dans les règlements généraux de la société. Ceci étant, il peut être préférable d’inclure le régime d’indemnisation dans une convention spécifique à laquelle chaque administrateur de la société visée est partie. Ceci donne l’avantage à l’administrateur de s’assurer que son accord soit recherché pour modifier les termes du régime ou d’en négocier les termes et conditions.

Finalement, il faut savoir que le régime d’indemnisation de la société ne protégera les administrateurs que si la société est solvable ou qu’elle détient elle-même une assurance responsabilité suffisante pour faire face à ses obligations d’indemnisation prévues au régime. À défaut, les administrateurs se retrouvent sans protection et les conséquences pour ces derniers peuvent devenir catastrophiques, s’ils ne détiennent pas une police d’assurance responsabilité « D&O ».

L’assurance responsabilité

L’avantage qu’offre l’assurance responsabilité des administrateurs, si les conditions lui donnant ouverture trouvent application, est qu’elle s’applique, peu importe la situation financière de la société. Il existe différents types de polices d’assurance visant la protection des administrateurs, dont les conditions peuvent varier d’un assureur à l’autre.

Ce faisant, il est important pour un administrateur de s’assurer non seulement de l’existence d’une protection d’assurance responsabilité, mais également que sa couverture soit adéquate et suffisante selon le type de société et les enjeux auxquels elle doit faire face.

Étant donné que l’assurance responsabilité des administrateurs d’une société sera souvent souscrite pour un groupe d’administrateurs et que la décision d’un assureur de couvrir ou non un risque est souvent basée sur la véracité des déclarations de la personne ou du groupe de personnes qui souscrivent à l’assurance, il est important de valider que les déclarations des administrateurs ayant souscrits à la police sont exactes ou à tout le moins qu’en cas d’une déclaration mensongère ou inexacte de ces administrateurs au moment de la souscription, cette déclaration ne vous soit pas opposable et n’ai pas pour effet d’annuler la police d’assurance à votre égard.

En cas d’un changement dans les activités de la société qui pourrait avoir un impact sur les risques couverts par la police d’assurance ou de réclamation réelle ou potentielle, les administrateurs doivent promptement aviser leur assureur. L’affaire Onex Corporation c. American Home Assurance Company7, rappelle d’ailleurs l’importance de déclarer à ses assureurs toutes réclamations, même potentielles, dans la période d’assurance applicable. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur l’étendue et la portée d’une cause de préavis de réclamation contenue dans une police d’assurance responsabilité des administrateurs.

En raison des dispositions de l’article 2464 C.c.Q., il faut toutefois garder à l’esprit que les actes frauduleux et criminels et les gains illégitimes sont toujours exclus de ce type de police d’assurance, tout comme la protection contre la faute intentionnelle de l’administrateur.

Conclusion

La meilleure protection pour un administrateur consistera en une combinaison des régimes légaux d’indemnisation et d’assurance responsabilité, lesquelles seront complémentaires, selon les circonstances.

Conséquemment, dans le contexte actuel des chamboulements au sein des entreprises du Québec en lien avec la Covid-19, tout administrateur aurait intérêt à s’assurer de l’existence d’un régime légal d’indemnisation au sein de la société et/ou qu’il est assuré à titre d’administrateur par une police d’assurance responsabilité.

Pour des questions en matière de régime légal d’indemnisation ou d’assurance responsabilité des administrateurs, adressez-vous aux membres de notre équipe en litige ici ou encore aux auteurs du présent billet :

Me Antoine P. Beaudoin, Associé
antoine.beaudoin@steinmonast.ca
418 640-4440

Me Frédérique Lessard, Avocate
frederique.lessard@steinmonast.ca
418 649-4008


1 Articles 2389 et suivants du C.c.Q.
2 RLRQ c. S-31.1.
3 L.R.C. (1985), c. C-44.
4 Articles 159 à 162 LSA.
5 Article 124 LCSA.
6 Articles 159 LSA et 124 (3)b) LCSA
2013 ONCA 117

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