RAPPEL DU RÔLE ET DES OBLIGATIONS DES ADMINISTRATEURS

31 mars 2020

drew-beamer-Se7vVKzYxTI-unsplashAux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (Canada) (« LCSA »)1 et de la Loi sur les sociétés par actions (Québec) (« LSA »)2, en plus d’agir avec intégrité et bonne foi, et avec le soin, la diligence et la compétence d’une personne prudente en pareilles circonstances, l’administrateur et le dirigeant d’une société ont l’obligation d’agir « avec pour seul objectif le bien de la société, personne distincte, sans tenir compte des intérêts d’aucune autre personne, groupe ou entité. » [nous soulignons]3.

En effet, « l’administrateur ne doit défendre ni l’intérêt du groupe d’actionnaires qui l’a spécialement désigné, ni celui de la majorité des actionnaires à qui il doit son élection, ni celui de la catégorie distincte d’actionnaires qui l’a élu, le cas échéant, ni même celui de la totalité des actionnaires. Les administrateurs ne sont en effet pas mandataires des actionnaires : la loi dit expressément qu’ils sont mandataires de la société »4, principe que vient codifier le Code civil du Québec à l’article 321 qui se lit comme suit :

« 321 L’administrateur est considéré comme mandataire de la personne morale. Il doit, dans l’exercice de ses fonctions, respecter les obligations que la loi, l’acte constitutif et les règlements lui imposent et agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés. » [nous soulignons].

Courant jurisprudentiel

Malgré l’article 119 de la LSA et le paragraphe 122 (1) de la LCSA, un courant jurisprudentiel voulant que l’intérêt des parties intéressées de la société doive être considéré lors de la prise de décision par les administrateurs s’est développé. En effet, « bien que les administrateurs doivent agir au mieux des intérêts de la société, il peut également être opportun, sans être obligatoire, qu’ils tiennent compte de l’effet des décisions concernant la société sur l’actionnariat ou sur un groupe particulier de parties intéressées. […] En déterminant ce qui sert le mieux les intérêts de la société, les administrateurs peuvent examiner notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement. »5.

Toutefois, en vertu de la même Décision BCE, la Cour suprême du Canada affirme que les administrateurs doivent prendre leurs décisions « au mieux des intérêts de la société en tant qu’entreprise socialement responsable, et que pour cette fin, pour éviter de donner ouverture à des recours pour oppression, ils doivent traiter de façon juste et équitable chaque partie intéressée touchée par les actes de la société. » 6 [nous soulignons].

Finalement, dans l’éventualité où des intérêts s’avéraient opposés, « les administrateurs doivent essayer d’agir au mieux des intérêts de la société en créant une « meilleure » société, et éviter de favoriser les intérêts d’un groupe d’intéressés en particulier. »7.

Règle de l’appréciation commerciale

Précisons que la Cour suprême du Canada a ajouté que « les tribunaux doivent faire preuve de la retenue voulue à l’égard de l’appréciation commerciale des administrateurs qui tiennent compte de ces intérêts connexes, comme le veut la « règle de l’appréciation commerciale ». Cette règle appelle les tribunaux à respecter une décision commerciale, pourvu qu’elle s’inscrive dans un éventail de solutions raisonnables possibles […]. Elle rend compte du fait que les administrateurs qui, aux termes du par. 102(1) de la LCSA, ont pour fonction de gérer les activités commerciales et les affaires internes de la société, sont souvent plus à même de déterminer ce qui sert au mieux ses intérêts.  Cela vaut tant pour les décisions touchant les intérêts des parties intéressées que pour d’autres décisions relevant des administrateurs. »8.

Conclusion

En résumé, l’administrateur d’une société doit, dans l’exercice de ses fonctions, agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société tout en ayant pour seul objectif le bien de la société, personne distincte, sans tenir compte des intérêts d’aucune autre personne, groupe ou entité, que ce soit certains actionnaires, les actionnaires qui l’ont élu ou même la totalité des actionnaires. Toutefois, en vertu de la jurisprudence, l’administrateur prudent et diligent bénéficie d’une marge de manœuvre en vertu de la règle de l’appréciation commerciale.

Par conséquent, dans la situation sans précédent résultant de la COVID-19, advenant qu’un administrateur agissait de façon insouciante et désinformée sans égard aux règles ci-haut précitées, celui-ci pourrait engager sa responsabilité et s’exposer à certains recours.

Pour toute question additionnelle relative aux obligations d’un administrateur d’une personne morale, n’hésitez pas à communiquer avec l’un ou l’autre des membres de notre équipe de droit des affaires ici ou l’un ou l’autre des auteurs du présent billet :

Me Jacques Cossette-Lesage, Associé
jacques.cossette-lesage@steinmonast.ca
418 640-4406

Me Eric Laplante, Avocat
eric.laplante@steinmonast.ca
418 649-4016


1 Le paragraphe 122 (1) de la LCSA prévoit :
« Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir :
a)avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société;
b)avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ».
2 L’article 119 de la LSA  prévoit :
« Sous réserve des dispositions de la présente section, les administrateurs sont soumis aux obligations auxquelles est assujetti tout administrateur d’une personne morale en vertu du Code civil. En conséquence, les administrateurs sont notamment tenus envers la société, dans l’exercice de leurs fonctions, d’agir avec prudence et diligence de même qu’avec honnêteté et loyauté dans son intérêt. Les dirigeants, en leur qualité de mandataires de la société, sont soumis, entre autres, aux mêmes obligations auxquelles sont tenus les administrateurs en vertu du deuxième alinéa. »
L’article 322 du Code civil du Québec prévoit que :
« L’administrateur doit agir avec prudence et diligence. Il doit aussi agir avec honnêteté et loyauté dans l’intérêt de la personne morale. »
Paul MARTEL, La Société par actions au QuébecLes aspects juridiques, Montréal, Wilson Lafleur, 2020, par. 23-199. (« Martel »).
4 Ibid, par. 23-203 et 23-204.
5 BCE Inc. c. Détenteurs de débentures, 1976, 2008 CSC 69, par. 39 ss. (la « Décision BCE »)
6 Paul MARTEL, supra, note 1, par. 23-234.
7 Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, par. 47.
8 ibid par 40.

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