Non-concurrence : disparité entre employé et vendeur

28 June 2021

Contrat_travail

Les facteurs qui permettent de conclure à la raisonnabilité d’une clause de non‑concurrence varient selon qu’elle soit rédigée dans un contexte de relation d’emploi ou dans un contexte de contrat commercial. Ce principe découle du fait que les parties qui négocient un contrat de vente d’entreprise jouissent d’une plus grande liberté de contracter que les parties à un contrat de travail. Mes Valérie Lachance et Xavier Parenteau abordent ces distinctions.

Les clauses de non-concurrence en matière d’emploi

Les règles relatives aux clauses restrictives, incluant les clauses de non‑concurrence, sont plus strictes en matière d’emploi qu’en matière commerciale afin de tenir compte du déséquilibre des forces qui marque généralement les rapports entre employeurs et salariés. Dans un contrat de travail, la clause de non-concurrence constitue une atteinte à la liberté d’emploi et de mobilité du salarié, donc à la liberté de sa personne, ce qui explique pourquoi l’applicabilité de ces clauses est assujettie à un contrôle plus sévère des tribunaux.

Le premier alinéa de l’article 2089 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que :

« [l]es parties à un contrat de travail peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence ». [nos soulignements]

Ainsi, le législateur impose un certain formalisme en matière d’emploi en exigeant que la clause soit écrite et rédigée en termes clairs et précis.

En cas d’ambiguïté, la clause de non-concurrence sera interprétée en faveur du salarié. Le deuxième alinéa de l’article 2089 du C.c.Q. précise ensuite que :

« […] cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur ». [nos soulignements]

Ces trois critères doivent être évalués dans leur ensemble et non de façon isolée. Plus la durée de l’obligation de non-concurrence sera longue, plus le territoire et les activités visés par la clause devront être limités. Inversement, plus la durée de l’obligation de non-concurrence sera courte, plus le territoire et les activités visés sont susceptibles d’être étendus. Tout est une question de dosage et de raisonnabilité.

Il incombera à l’employeur de prouver que la clause de non‑concurrence contenue dans un contrat de travail est valide, légale et conforme à l’ordre public. Le caractère raisonnable ou déraisonnable des éléments d’une clause de non‑concurrence s’évaluera au moment où la clause a été consentie, et non au moment où elle sera appliquée. La possible augmentation des responsabilités d’un salarié ou la diversification hypothétique et incertaine de ses activités ne pourront justifier l’imposition par l’employeur de modalités plus restrictives dans une telle clause.

Afin d’atténuer le déséquilibre des forces pouvant exister entre l’employeur et le salarié, le législateur québécois a d’ailleurs précisé à l’article 2095 du C.c.Q. qu’un employeur ne peut se prévaloir d’une stipulation de non-concurrence contenue dans un contrat de travail s’il a résilié ce contrat sans motif sérieux.

Les clauses de non-concurrence en matière de vente d’entreprise

Les règles relatives aux clauses restrictives sont plus généreuses en matière commerciale qu’en matière d’emploi; l’interprétation de ces clauses nécessitera beaucoup plus de retenue, de souplesse et de latitude de la part des tribunaux afin de tenir compte du principe de la liberté contractuelle et de favoriser la stabilité des ententes commerciales.

Contrairement à l’obligation de non-concurrence en matière d’emploi, aucune forme particulière n’est requise en matière commerciale. Ainsi, cette obligation pourrait être consentie verbalement par une partie. Évidemment, la preuve d’un engagement verbal dans le cadre d’un litige éventuel pourrait s’avérer problématique. Il est donc clair que, comme pour toute entente en matière commerciale, l’écrit s’impose.

Dans un contexte commercial, une clause restrictive sera jugée légale et pleinement applicable à moins d’établir, par une preuve prépondérante, qu’elle est déraisonnable dans les circonstances quant à sa durée, aux activités visées ou à son territoire. Tout comme en matière d’emploi, ces critères devront être analysés les uns en fonction des autres et non séparément. Au-delà de ces critères traditionnels, les tribunaux examineront également les circonstances particulières ayant mené à la conclusion du contrat.

Par exemple, pourront être pris en considération dans la détermination de la validité d’une clause de non-concurrence le prix de vente, le marché dans lequel l’entreprise exerce ses activités, le domaine d’activités de l’entreprise, le recours par les parties aux services de conseillers juridiques dans le cadre des négociations du contrat de même que l’impact de la clause sur la partie soumise à la non-concurrence.

En matière commerciale, contrairement en matière d’emploi, le fardeau de preuve incombera à celui qui invoquera l’illégalité de l’obligation de non‑concurrence. À moins qu’une partie parvienne à démontrer son caractère déraisonnable, une telle clause devrait bénéficier d’une interprétation conforme à l’intention des parties.

Conclusion

Le fait qu’une clause de non-concurrence se trouve dans une entente commerciale ou dans un contrat de travail peut avoir un impact sur l’intensité du contrôle de sa légalité par un tribunal.

En effet, la liberté de commerce permet une plus grande latitude en matière commerciale qu’en matière d’emploi.

L’examen de la raisonnabilité de la clause demeurera toutefois inévitable en cas de litige. Soulignons qu’une clause de non‑concurrence jugée déraisonnable sera déclarée nulle dans son ensemble et les tribunaux ont, à maintes reprises, statué qu’il n’est pas de leur ressort de réécrire la clause jugée déraisonnable ou d’autrement intervenir pour en réduire la portée. Ainsi, en voulant conférer à une clause de non-concurrence une portée plus large que nécessaire, il pourrait en résulter l’effet inverse et laisser le bénéficiaire d’une telle clause sans protection advenant qu’elle soit jugée déraisonnable.

Depuis la dernière année, le télétravail a gagné en popularité à l’échelle planétaire. En principe, le territoire visé par une clause de non-concurrence doit se limiter au territoire des activités de l’entreprise vendue ou au territoire dans lequel le salarié exerce ses activités afin de conserver son caractère raisonnable. Il sera intéressant de voir comment les tribunaux adapteront leur analyse de ces clauses pour tenir compte de cette nouvelle réalité.

Pour toutes questions relatives aux clauses restrictives, adressez-vous aux membres de nos équipes de droit du travail ici, de droit corporatif et commercial ici ou aux auteurs du présent billet.

Me Valérie Lachance, Avocate
valerie.lachance@steinmonast.ca
418 640-4413

Me Xavier Parenteau, Avocat
xavier.parenteau@steinmonast.ca
418 649-4015

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