LA FORCE MAJEURE À L’ÈRE DE LA COVID-19 SURVOL DE LA QUESTION QUANT À LA RESPONSABILITÉ, LES CONTRATS ET LE DROIT DU TRAVAIL

27 March 2020

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Le législateur a prévu la possibilité pour une personne, physique ou morale, d’être exonérée de ses responsabilités en cas de force majeure, laquelle est définie à l’article 1470 du Code civil du Québec. Cette exonération peut être opposée tant en matière contractuelle qu’en matière extracontractuelle, à moins d’une renonciation applicable ou d’être en présence d’une obligation de garantie.

Cette notion peut-elle être utile aux citoyens, employeurs, employés, assureurs, assurés, cocontractants et autres personnes confrontées aux événements ainsi qu’aux mesures exceptionnelles mises en place par l’État en raison de la pandémie qui sévit ? Un bref survol de ce concept nous apporte certains éclaircissements.

Qu’est-ce que la force majeure ?

La force majeure est définie comme étant « un événement que le débiteur ne pouvait prévoir, auquel il ne pouvait résister et qui a rendu impossible l’exécution de l’obligation »1 . Pour qu’on puisse parler de force majeure, il faut donc que l’événement soit :

  • Imprévisible: L’évènement ne doit pas avoir été prévu et il ne doit pas avoir été prévisible pour une personne normalement diligente et prévoyante placée dans les mêmes circonstances;
  • Irrésistible: Toute résistance face à l’évènement est inutile ou futile. Il s’agit ici d’un élément important à retenir puisqu’avant de prétendre à la force majeure, une personne devra d’abord tout mettre en œuvre afin de remplir ses obligations ou d’éviter un préjudice aux tiers, et ce, même si le contexte accroît la difficulté de s’exécuter. Il ne suffit pas que l’exécution soit plus difficile, périlleuse ou coûteuse, elle doit être impossible dans l’absolu et de façon permanente2.
  • Extérieur : L’évènement doit comporter un caractère d’extériorité à la personne qui invoque la force majeure. Une personne ne peut donc se libérer de ses responsabilités et obligations si « l’événement ayant causé le dommage ou l’ayant empêché d’exécuter son obligation est dû à une faute ou à un acte qui lui est imputable »3.

Chaque cas est un cas d’espèce qui requiert une analyse des critères en fonction des faits et circonstances, mais également, de l’attitude et des comportements adoptés par les personnes justifiant leurs actions ou inactions en raison d’une force majeure.

La force majeure dans le contexte de la COVID-19

  • La responsabilité extracontractuelle

Il existe plusieurs présomptions de responsabilité légales, que l’on parle de celle du propriétaire d’un animal, celle du gardien d’un bien ou celle des parents à l’égard de leur enfant pour ne mentionner que celles-là. La démonstration d’une force majeure pourrait permettre le renversement de ces présomptions, s’il y a absence de faute, de négligence et/ou d’omission de la personne qui l’invoque.

À titre d’exemple, les mesures d’urgence adoptées par l’État prévoyant notamment le confinement des résidents québécois à leur domicile ne pourraient, selon nous, exonérer à elles seules le propriétaire ou le gardien d’un arbre dont les branches sont tombées sur le véhicule d’un voisin pendant la période de confinement si ce dernier n’a jamais entretenu l’arbre en question et que la chute des branches découle plutôt d’un défaut d’entretien. Il pourrait en être autrement si le propriétaire d’un arbre qui en fait un entretien normal depuis des années n’est pas en mesure de le faire élaguer pendant la période de confinement en raison, par exemple, de l’absence de main d’œuvre pour le faire.

  • Les contrats

Le concept de force majeure n’est pas d’ordre public de sorte que des parties à un contrat peuvent choisir d’ajouter, de retrancher certains éléments ou encore de renoncer au droit commun[1]. D’ailleurs, certains contrats prévoient des clauses d’exonération de responsabilité, ou d’exclusions spécifiques en matière d’assurance, relatives à la survenance de certains évènements qui ne rencontreraient pas, à prime à bord, les critères de la force majeure. Ces clauses sont applicables sous certaines conditions (par exemple : avoir été négociées et portées à la connaissance du cocontractant, être invoquées de bonne foi en l’absence de faute lourde et/ou intentionnelle, etc.). Dépendamment des circonstances applicables et des termes et conditions au contrat, la force majeure pourrait entraîner qu’une suspension temporaire des obligations plutôt que d’exonérer le débiteur de ses obligations. Encore faut-il le rappeler, chaque cas est un cas d’espèce.

À titre d’exemple dans un contexte économique, il fut récemment jugé par la Cour supérieure5 que des changements survenus dans le marché des matières recyclables ne remplissaient pas les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité requis pour conclure à la force majeure. Dans cette affaire, Services Ricova, qui œuvrait dans le domaine de la collecte et d’enlèvement de matières résiduelles, réclamait les pertes subies dans l’exécution d’un contrat forfaitaire conclu avec plusieurs villes, prétendant que les changements aux marchés dans le domaine des matières recyclables constituaient une force majeure. Or, après étude des critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, la Cour distingue l’impossibilité d’exécuter des obligations du fait de les exécuter à perte en raison de l’augmentation des coûts de valorisation des matières. Elle conclut que Services Ricova doit supporter seule les aléas du marché.

Ainsi, la partie à un contrat qui entend prétendre à l’exonération ou à la suspension de ses obligations en raison d’une force majeure devra s’assurer, d’abord et avant tout, que la situation ne soit pas attribuable à ses agissements ou encore à ses propres décisions d’affaires, sous réserves des clauses prévues au contrat. Par ailleurs, une attention particulière devra être portée à la rédaction des clauses d’exonération des contrats à intervenir afin d’y considérer le traitement à accorder aux évènements découlant de pandémies ou d’autres épisodes de crise planétaire.

  • Droit du travail

En matière de relations de travail, la notion de force majeure peut également avoir un impact dans un contexte de mise à pied et de licenciement collectif.

De façon générale, en matière de contrat à durée indéterminée, l’employeur qui procède à des mises à pied d’une durée d’au moins 6 mois doit donner aux employés visés un préavis écrit minimal d’une à huit semaines précédant la mise à pied, selon le nombre d’années de service de chaque employé visé6. Or, en situation de force majeure, l’employeur est dispensé de donner l’avis individuel7.

Lorsqu’au moins 10 salariés d’un même établissement sont visés par de telles mises à pied à l’intérieur d’une période de deux mois, l’employeur doit donner en plus un avis de licenciement collectif dont la durée varie entre huit et seize semaines8. En cas de force majeure, l’obligation de l’employeur sera réduite à celle de donner l’avis aussitôt qu’il lui sera possible de le faire. De plus, en matière de licenciement collectif, ce même allègement s’applique en présence d’un «évènement imprévu ». Cette notion d’évènement imprévu n’est pas spécifiquement définie, mais elle se distingue de la force majeure par des conditions d’application moins exigeantes.

Bien qu’il puisse être envisagé que la pandémie actuelle soit qualifiée de force majeure, rien n’est encore certain et cette qualification dépendra assurément de la situation propre à chaque entreprise.

Conclusion

Au moment de rédiger le présent texte, il est encore trop tôt pour affirmer que les circonstances actuelles découlant de la pandémie COVID-19 (mesures appliquées par l’État, ralentissement des marchés et/ou ralentissement de l’économie, etc.) soient de la nature d’une force majeure. Par ailleurs, et advenant que les tribunaux soient favorables à la reconnaissance de la force majeure, au cas par cas, il est fort probable qu’une telle application ne pourra perdurer si ce type de crise devient cyclique, récurrent et donc, prévisible. Il sera intéressant de voir comment les tribunaux aborderont la question,  tenant pour acquis que chaque cas constitue un cas d’espèce dont l’issue dépendra de la discrétion des tribunaux. Rappelons-nous que le Québec a été confronté il y a quelques années au SRAS et à la H1N1, en plus d’une crise économique en 2008.

Pour des questions en matière de force majeure, adressez-vous aux membres de notre équipe en litige ici ou en droit du travail et de l’emploi ici ou encore, aux auteures du présent billet :

Me Catherine Cloutier, Associée
catherine.cloutier@steinmonast.ca
418 640-4424

Me Ruby Riverin-Kelly, Avocate
ruby.riverin-kelly@steinmonast.ca
418 640-4446

 


1 Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais2013, par. 844.
Id., par. 845-846.
3 Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 3227.
4 Id., par. 3229.
5 Services Ricova inc. c. Ville de Chambly, 2020 QCCS 739, délai d’appel non expiré au moment de la parution du présent texte (décision du 6 mars 2020).
Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1, article 82.
7 Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1, articles 82.1 et 84.0.5.
8 Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1, articles 82 et 84.0.4.

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