COVID-19 ET L’EXERCICE DU DROIT DE GRÈVE

27 April 2020

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Dans le contexte actuel où la COVID-19 affecte grandement les relations de travail dans tous les secteurs d’activités, plusieurs questions se posent. Dans les entreprises syndiquées, il est possible de s’interroger sur la validité des moyens de pression qui pourraient être exercés par des salariés.

Dans quelles circonstances une grève sera-t-elle légale?

Le présent billet fait un survol des règles applicables et d’une décision récente sur cette question.

Le droit de grève

L’article 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés1 reconnaît la liberté d’association des individus, laquelle a considérablement évolué à travers la jurisprudence de la Cour suprême. En 2015, l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan2 confirmait la protection constitutionnelle du droit de grève en soulignant son rôle clé dans l’exercice de la liberté d’association3. Or, encore faut-il que le droit à la grève soit légalement acquis afin que celui-ci puisse être exercé validement.

Au Québec, la définition de « grève » dans le Code du travail4 (le «Code ») prévoit qu’il s’agit : 1) d’une cessation de travail  2) qui s’effectue de manière concertée 3) par un groupe de salariés5. La réunion de ces trois conditions est essentielle et l’absence de l’une d’elle sera fatale à ce que l’événement se qualifie comme une grève au sens du Code6.

La jurisprudence relative à ces conditions est abondante et mérite d’être revue à lumière des faits particuliers de chaque situation.

La légalité de la grève

Si un événement constitue effectivement une grève au sens du Code, il faut ensuite s’interroger sur la légalité de celle-ci. Bien que ce droit ait été constitutionnalisé, la grève demeure une composante de la négociation collective et elle ne peut être exercée qu’en période de négociation dans une unité de salariés accréditée par un syndicat7.

Il importe de reproduire certains commentaires de la Cour d’appel du Québec à ce sujet, soit qu’ « [u]ne association accréditée ne peut déclencher la grève où elle veut, quand elle veut et comme elle le veut. Elle doit, en conséquence, se conformer aux modalités d’exercice que le [Code] prévoit »8. Ainsi, le Code stipule notamment que pendant la durée de la convention collective, la grève est habituellement interdite9.

Dans le domaine public, des restrictions additionnelles s’ajoutent. Pour les pompiers et les policiers à l’emploi d’une municipalité, la grève est tout simplement défendue10. Le droit de grève peut également être restreint dans certains secteurs. À titre d’exemple, en cas de grève dans les services publics et les secteurs public et parapublic, les parties seront notamment tenues de maintenir des services essentiels11. Si un litige survient quant à la suffisance des services fournis au public dans le cadre d’une grève, le tribunal compétent disposera de larges pouvoirs de redressement afin d’éviter qu’un conflit de travail cause un préjudice au public12.

L’exposé de ces principes nous permet d’aborder une décision récente où le Tribunal administratif du travail (« Tribunal ») avait justement à décider de la légalité d’une grève déclenchée par les salariés de la Société de transport de Montréal, un service public, qui étaient chargés du nettoyage des autobus pendant la pandémie de Covid-1913. Le Tribunal a considéré que l’interruption de travail de plus de 200 salariés constituait une action concertée par les salariés et donc une grève au sens du Code14.

Or, cette grève survenait pendant la durée de la convention collective et à l’extérieur des périodes où elle était autorisée. Le Tribunal a conclu  que « la crise sanitaire rend particulièrement nécessaire le nettoyage des autobus » et que l’arrêt de travail illégal « cause un préjudice ou est susceptible de causer préjudice au service auquel la population a droit »15.

Dans ce contexte, le Tribunal a déclaré que l’arrêt de travail était illégal, a ordonné aux salariés de fournir leur prestation de travail usuelle et a ordonné au syndicat de prendre toutes les mesures nécessaires pour que la prestation de travail des salariés soit fournie.

Les sanctions

Le Code sanctionne la déclaration, la provocation ou la participation à une grève illégale par des amendes. Une personne ou une organisation contrevenante pourrait se voir imposer une amende qui variera de 25 $ à 50 000 $ par jour de grève illégale16.

Il faut également souligner que lorsque le Tribunal rend une ordonnance visant le maintien des services essentiels, la décision peut être déposée au greffe de la Cour supérieure afin qu’elle bénéficie de la même force et du même effet qu’un jugement de cette cour17. Cela permet au bénéficiaire de l’ordonnance de saisir le tribunal compétent pour obtenir une condamnation pour outrage au tribunal contre ceux qui refuseraient de se conformer à l’ordonnance. Une amende allant jusqu’à 50 000$ avec ou sans emprisonnement est également une sanction qui peut être prononcée en matière d’outrage au tribunal.

Pour des questions en matière de conflit de travail et d’exercice du droit de grève, adressez-vous aux membres de notre équipe en droit du travail et de l’emploi ici ou encore aux auteurs du présent billet :

Me Catherine Cloutier, Associée
catherine.cloutier@steinmonast.ca
418 640-4424

Me Xavier Parenteau, Avocat
xavier.parenteau@steinmonast.ca
418 649-4015


1 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U)].
2 2015 CSC 4.
3 Id., par. 3.
4 RLRQ, c. C-27 (« Code »).
5 Art. 1g) du Code.
6 Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 2161, par. 44 ; requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., no 38519, 2019-05-09).
7 Art. 106 du Code et à condition que le droit de grève ait été validement acquis conformément aux exigences de la loi : voir à ce sujet l’art. 58 du Code.
8 Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 2161, par. 71.
9 Art. 107 du Code, sauf lorsque ladite convention collective prévoit une clause permettant la révision des conditions de travail pendant la durée de la convention.
10 Art. 105 du Code
11 Voir les art. 111.0.17 et suivants ainsi que les art. 111.10 et suivants du Code.
12 Voir les art. 11.16 et suivants du Code.
13 Société de transport de Montréal et Syndicat du transport de Montréal (CSN), 2020 QCTAT 1845.
14 Id., par. 15 et 38.
15 Id., par. 39 et 40.
16 Art. 142 du Code.
17 Art. 111.20 du Code.

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