Si vous êtes automobiliste et que vous possédez un appareil cellulaire, la récente décision Poulin c. Ville de Rosemère1 a de bonnes chances de vous intéresser. La Cour supérieure, siégeant en appel d’une décision de la Cour municipale, s’y prononce sur l’exception relative à l’utilisation d’un dispositif mains libres lorsque ledit dispositif est, en réalité, le passager du véhicule. La Cour statue également sur la légalité de l’utilisation et de la manipulation d’un téléphone cellulaire lorsque le véhicule est immobilisé à l’intérieur d’un lave-auto.
Cette décision met fin au courant jurisprudentiel selon lequel l’utilisation d’un téléphone cellulaire par un conducteur, lorsque l’appareil est tenu par un passager, constitue une infraction au sens du Code de la sécurité routière (ci-après «C.s.r.»)2.
Les faits : deux versions contradictoires.
Le policier et le conducteur intercepté présentent deux versions des faits contradictoires.
Alors qu’il est stationné dans un véhicule banalisé à une station-service, le policier constate que le conducteur du véhicule arrive au dépanneur en tenant à la main un téléphone cellulaire à son oreille gauche. Stationné aux pompes, le conducteur demeure assis dans son véhicule et poursuit sa conversation téléphonique alors que la passagère sort pour acheter le carburant. Par la suite, le véhicule se dirige au poste de lavage automatique. Le policier constatera que le conducteur est toujours au téléphone à la sortie du lave-auto. Enfin, le véhicule se dirige sur le chemin public où il sera intercepté.
De son côté, le conducteur soulève qu’il voyage avec sa conjointe et ses deux enfants qui écoutent un film à l’arrière, monopolisant ainsi le système Bluetooth du véhicule. Lorsque le téléphone sonne, il affirme que sa conjointe répond et conserve le téléphone dans sa main, avec la fonction haut-parleur activée, de manière à ce qu’il puisse tenir une conversation avec son interlocuteur. Arrivé à la station-service, le conducteur immobilise son véhicule et reprend possession du téléphone. Lorsque sa conjointe revient à bord du véhicule, elle récupère le téléphone et ils se dirigent vers le lave-auto. À l’intérieur du lave-auto, le conducteur reprend le téléphone et il le donnera à sa conjointe avant d’en sortir afin de poursuivre sa conversation.
Le jugement de la Cour municipale
Le juge de première instance a conclu que, selon le Code de la sécurité routière, le dispositif mains libres que le conducteur d’un véhicule routier doit utiliser pour avoir une conversation téléphonique au volant, ne peut être le passager du véhicule. De plus, puisque le conducteur était simplement immobilisé dans le lave-auto plutôt que légalement stationné, il ne pouvait bénéficier d’aucune exception et était conséquemment en infraction.
La décision de la Cour supérieure
I. L’exception de l’utilisation d’un dispositif mains libres
Les dispositions adoptées en 2018 relativement aux distractions au volant établissent un principe général selon lequel il est interdit au conducteur d’un véhicule routier et au cycliste de faire usage notamment d’un téléphone cellulaire, à moins d’une exception prévue par la loi ou un règlement.
La Cour mentionne deux exceptions permettant cet usage :
1) Concernant l’utilisation de la fonction téléphonique d’un appareil, le conducteur du véhicule qui utilise un dispositif mains libres n’engage pas sa responsabilité pénale.
2) Concernant la consultation d’un écran ou son utilisation, le conducteur du véhicule n’engage pas sa responsabilité si toutes les conditions suivantes sont satisfaites :
a. l’écran est intégré au véhicule ou il est installé sur un support, amovible ou non, fixé au véhicule,
b. l’écran affiche uniquement des informations utiles à la conduite du véhicule ou liées au fonctionnement de ses équipements usuels,
c. l’écran est placé de manière à ne pas gêner la vue du conducteur ou du cycliste,
d. il est possible de consulter et de faire fonctionner l’écran sans gêner la conduite.
Le Tribunal analyse l’intention du législateur et conclut que la loi (art. 443.1 C.s.r.) vise à éviter les sources de distraction au volant mais que l’objectif n’est pas d’interdire toute forme de distraction. En effet, en prévoyant des exceptions, telles que l’utilisation d’un dispositif mains libres pour la fonction téléphonique, le législateur permet certains usages. Le Tribunal soutient qu’un conducteur peut utiliser le dispositif mains libres interne d’un appareil (Haut-parleurs) dans la mesure où le dispositif correspond à la définition prévue dans cette loi, soit un dispositif permettant de faire fonctionner un appareil, notamment un téléphone cellulaire, au moyen d’une commande vocale ou d’une commande manuelle simple que le conducteur peut actionner sans être distrait de la conduite de son véhicule.
Cependant, si le conducteur doit effectuer une commande manuelle pour initier ou répondre à l’appel, les conditions relatives à l’usage d’un écran mentionnées plus haut devront aussi être respectées puisqu’il s’agira alors de l’usage combiné d’un écran et de la fonction téléphonique.
En résumé, la Cour supérieure conclut que le conducteur d’un véhicule routier peut faire usage d’un téléphone cellulaire pour parler ou tenir une conversation dans la mesure où il ne manipule pas l’appareil et sans faire usage de l’écran. Il devra utiliser un dispositif mains libres externe (de type Bluetooth) ou interne à l’appareil qui n’a pas à être placé sur un support.
Suivant ce raisonnement, il est donc légalement possible d’utiliser la fonction haut-parleur d’un téléphone cellulaire ou d’un autre appareil portatif en utilisant par exemple, une commande vocale ou en donnant certaines directives au passager. Toutefois, si le conducteur doit manipuler le téléphone ou doit consulter ou manipuler un écran pour utiliser une commande vocale ou la fonction haut-parleur, l’appareil devra être intégré au véhicule ou y être fixé sur un support, amovible ou non.
II. L’usage du cellulaire à l’intérieur du lave-auto était-il illégal?
La loi (art. 443.7 C.s.r.) prévoit que les restrictions relatives à l’usage d’un cellulaire ne trouvent pas application lorsque le véhicule est stationné de manière à ne pas contrevenir aux dispositions du présent code ou d’une autre loi.
À cet égard, la Cour mentionne qu’il faut distinguer les notions de stationnement et d’immobilisation d’un véhicule. Par exemple, un véhicule immobilisé en raison de la congestion routière, à une lumière rouge ou à un arrêt obligatoire ne pourra pas bénéficier de l’exception contrairement au véhicule stationné en bordure de la rue ou dans une aire de stationnement, puisque le conducteur doit rester attentif à la circulation. En faisant usage de son cellulaire dans un lave-auto, le conducteur était en infraction puisque son attention restait requise pour suivre les instructions, notamment avancer son véhicule à la station de séchage.
Pour toutes questions et conseils concernant l’utilisation d’un cellulaire au volant, adressez-vous aux membres de notre équipe en droit du transport ici ou encore aux auteurs du présent billet. Dans tous les cas, soyez prudent au volant et évitez toute distraction pour votre sécurité et celle des autres.
Me Pierre-Olivier Ménard Dumas, Associé
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Me Félix- Antoine Blais, Avocat
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1 2020 QCCS 2010
2 Ville de Montréal c. Langelier-Aouad, 2019 QCCM 173