Le harcèlement psychologique est une expression que l’on entend de plus en plus depuis plusieurs années. De 2016 à 2019, le nombre de plaintes déposées à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail pour harcèlement psychologique est passé de 3617 à 44151. À ces chiffres s’ajoutent tous les griefs qui ont pu également être déposés en lien avec cet enjeu dans les milieux de travail syndiqués.
Or, comment différencier le conflit personnel du harcèlement psychologique?
Dans la Loi sur les normes du travail2, le harcèlement psychologique est défini à l’article 81.18 comme « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. » L’article précise aussi que les paroles, les actes ou les gestes à caractère sexuel peuvent se qualifier à ce titre.
Si l’on décortique cette définition à la lumière de la jurisprudence, la première étape est de démontrer l’existence d’une « conduite vexatoire ». Dans une décision citée à maintes reprises, le commissaire Jean Paquette expliquait que « [s]i des conduites sont hostiles ou non désirées, mais qu’elles ne sont pas répétées, il ne s’agit pas d’une conduite vexatoire au sens de la Loi [sur les normes]. De même, des conduites qui sont répétées, mais qui ne sont pas hostiles ou non désirées, ne seront pas une conduite vexatoire. »3
La survenance d’une seule conduite peut, par ailleurs, constituer du harcèlement psychologique lorsque sa gravité est telle que le salarié en subit un effet nocif continu sur sa santé.4
En outre, depuis juin 2018, un salarié qui se croit victime de harcèlement psychologique doit porter plainte auprès du forum adéquat dans un délai de deux ans suivant la dernière manifestation de la conduite reprochée.5
Le fardeau de prouver l’existence d’une conduite vexatoire ou une conduite grave reposera sur les épaules du salarié. De plus, même si la notion de subjectivité se retrouve souvent au cœur d’une situation s’apparentant à du harcèlement psychologique, la jurisprudence considère que l’analyse de la gravité d’une conduite, qu’elle soit répétitive ou unique, doit s’apprécier selon le critère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.6
Or, l’analyse ne s’arrête pas là. Il faudra au surplus qu’il soit démontré que l’employeur n’a pas respecté ses obligations.
L’article 81.19 de la Loi sur les normes édicte qu’un employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et le faire cesser lorsqu’une conduite est portée à sa connaissance. Pour ce faire, les employeurs doivent se doter d’une politique de prévention et de traitement des plaintes de harcèlement psychologique en incluant un volet particulier portant sur le harcèlement à caractère sexuel.
Les tribunaux considèrent que les obligations de l’employeur sont généralement satisfaites lorsqu’il met effectivement une telle politique en vigueur et s’assure de sa bonne application lorsqu’une situation de harcèlement est portée à sa connaissance. Chaque cas étant toutefois unique, ce principe ne peut s’appliquer avec automatisme.
L’article 81.20 prévoit que les dispositions portant sur le harcèlement psychologique sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective. Les entreprises, qu’elles soient syndiquées ou non, sont donc traitées uniformément par la loi.
Certaines questions de forme peuvent toutefois se poser lorsqu’un syndicat est accrédité, notamment quant à savoir quelle sera l’autorité compétente pour traiter la plainte et éventuellement trancher un litige portant sur une problématique de harcèlement.
Le tribunal compétent bénéficie de larges pouvoirs de réparation. Lorsqu’il juge qu’un salarié est effectivement victime de harcèlement psychologique, il peut rendre toute décision qui lui parait juste et raisonnable et notamment ordonner à l’employeur de :
- prendre les moyens raisonnables pour que le harcèlement cesse;
- réintégrer le salarié qui subissait le harcèlement;
- modifier le dossier disciplinaire de ce salarié;
- verser au salarié diverses sommes comme :
– une indemnité équivalente au salaire perdu;
– une indemnité pour perte d’emploi;
– des dommages intérêts punitifs et moraux;
– le financement d’un soutien psychologique.7
Lorsqu’une situation a des conséquences sur l’état de santé d’un salarié et sur sa capacité à travailler, la Loi sur la santé et la sécurité du travail8 est également susceptible de lui offrir certains remèdes lorsqu’il est déterminé qu’il a subi une lésion professionnelle. Ce régime comporte toutefois ses règles propres et particulières.
Pour des questions et conseils concernant le harcèlement psychologique, adressez-vous aux membres de notre équipe en droit du travail et de l’emploi ici ou encore aux auteurs du présent billet :
Me Catherine Cloutier, Associée
catherine.cloutier@steinmonast.ca
418 640-4424
Me Xavier Parenteau, Avocat
xavier.parenteau@steinmonast.ca
418 649-4015
1 Isabelle Massé, « Harcèlement au travail – Plus de 4400 dénonciations ont été faites l’an dernier », La Presse, en ligne : https://plus.lapresse.ca/screens/c5bc8175-d369-4837-a0f8-e1181b592570__7C___0.html (consulté le 20 août 2020).
2 RLRQ, c. N-1.1 (la « Loi sur les normes »).
3 Breton c. Compagnie d’échantillons National ltée, 2006 QCCRT 601, par. 150.
4 Article 81.18 al. 2 de la Loi sur les normes.
5 Article 123.7 de la Loi sur les normes.
6 Breton c. Compagnie d’échantillons National ltée, 2006 QCCRT 601, par. 151.
7 Article 123.15 de la Loi sur les normes.
8 RLRQ, c. S-2.1.