Vente d’entreprise : les pénalités abusives en cas de violation d’une obligation de non-concurrence

8 mars 2022

Real Estate Agent Handing Over the Keys in Front of Vacant Business Office.

Une partie qui acquiert une entreprise voudra s’assurer que le vendeur ne lui fera pas concurrence en démarrant une entreprise similaire sur un territoire à proximité. Les parties prévoiront donc un engagement de non-concurrence dans le cadre de la transaction. Elles pourront stipuler qu’en cas de défaut de respecter cette obligation de non-concurrence, le vendeur s’engage à payer une pénalité à l’acheteur dont le montant est prédéterminé. L’avantage d’une telle clause pour un acheteur est d’éviter de devoir faire une preuve des dommages réels qu’il subirait advenant une violation de l’obligation.

C’est le scénario de l’affaire Clinique vétérinaire Villeray-Papineau inc. c. 9264-7965 Québec inc.1 où le contrat de vente d’entreprise prévoyait une pénalité de 25 000 $ payable à l’acheteur pour chaque jour de violation. Considérant que le vendeur avait violé l’obligation de non-concurrence pour une durée de 47 jours, la pénalité due selon le contrat s’élevait à 1 175 000 $. Estimant celle-ci abusive dans les circonstances, le tribunal l’a plutôt réduite à 55 000 $. Voici pourquoi.

Contexte de l’affaire

Dr Tadeusz Sikorski exploite une clinique vétérinaire (la « Clinique ») par l’intermédiaire de sa société 9264-7965 Québec inc. Dr Denis Dubé y travaille également et après plusieurs années, Dr Sikorski décide de la lui vendre. Les parties s’entendent pour un prix de vente de 550 000 $. Elles signent une convention de non-concurrence et de non-sollicitation qui prévoit notamment que Dr Sikorski et 9264-7965 Québec inc. s’engagent à ne pas, directement ou indirectement, exploiter dans le territoire défini une entreprise qui offre des services similaires, c’est-à-dire des services de médecine et de chirurgie vétérinaire des animaux de compagnie, ni à s’engager ou à participer à une telle entreprise, et ce, pour une durée de 36 mois.

Après la vente, Dr Sikorski continue de travailler à la Clinique. Près d’un an plus tard, il met sur pied un service de vétérinaire mobile. Une entente existe alors avec Dr Dubé afin que les animaux du service mobile soient traités à la Clinique. Toutefois, quelque temps plus tard, Dr Sikorski cesse de travailler à la Clinique et d’y amener des animaux.

À la recherche d’autres cliniques pour exercer son service mobile, Dr Sikorski conclut des ententes avec deux d’entre elles. Or, ces deux cliniques sont situées à l’intérieur du territoire délimité par la clause de non-concurrence. Durant 47 jours, Dr Sikorski pose des actes de médecine et de chirurgie vétérinaires en contravention avec la convention de non-concurrence.

C’est donc dans ce contexte que Dr Dubé et la Clinique réclament le paiement de 1 175 000 $ à titre de pénalité pour les 47 jours de violation, ce à quoi Dr Sikorski s’oppose au motif que cette clause est entre autres choses abusive.

Les clauses de pénalité abusives : les critères à considérer

La clause prévoyant une pénalité de 25 000 $ par jour de violation est une clause pénale. L’article 1622 du Code civil du Québec2 (« C.c.Q. ») définit ainsi la clause pénale : « celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation ». Pour sa part, l’article 1623 C.c.Q. précise que « le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi ». La fin de cette disposition ajoute toutefois que « le montant de la peine stipulée peut être réduit si […] la clause est abusive ».

Une clause pénale sera abusive si la pénalité exigible excède largement le préjudice subi, de sorte qu’elle désavantage le débiteur de façon excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de la bonne foi3. Le fardeau d’établir que la perte subie par le créancier est disproportionnée par rapport à la pénalité repose sur le débiteur. Toutefois, il est important de garder en tête que la clause pénale peut certes avoir une fonction compensatoire, mais également comminatoire, de sorte qu’elle vise un objectif de dissuasion.

La preuve a révélé que les agissements de Dr Sikorski avaient entraîné une perte théorique totale de revenus d’environ 15 000 $ à la Clinique. La Cour d’appel estime que cela est « de toute évidence, totalement disproportionné » avec la pénalité demandée de 1 175 000 $. De plus, la Cour note qu’il n’est pas surprenant de conclure ainsi, notamment puisque la pénalité représente le double du prix de vente (550 000 $) de la Clinique.

La Cour d’appel confirme donc la conclusion du juge de première instance de réduire la pénalité à 55 000 $ afin d’éviter l’enrichissement injustifié de Dr Dubé. En effet, cette pénalité, une fois réduite, demeure supérieure au préjudice réellement subi et à ce que Dr Dubé aurait reçu en l’absence d’une clause pénale de sorte qu’elle conserve sa fonction dissuasive.

Conclusion

Bien que l’acquéreur d’une entreprise puisse être tenté d’inclure une pénalité importante dans une convention de non-concurrence afin de dissuader le vendeur de lui faire compétition et d’éviter de devoir faire une preuve de son préjudice réel, il doit garder en tête qu’une telle pénalité pourra être réduite par les tribunaux si elle s’avère disproportionnée par rapport au préjudice subi. En effet, même si la qualification d’une clause pénale comme étant abusive dépend des faits de chaque affaire, un acheteur prudent pourrait avoir avantage à inclure une pénalité plus raisonnable afin d’éviter que le montant ne soit contesté.

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1  9264-7965 Québec inc. c. Clinique vétérinaire Villeray Papineau inc., 2019 QCCS 5668 (confirmé en appel dans Clinique vétérinaire Villeray-Papineau inc. c. 9264-7965 Québec inc., 2022 QCCA 70).

2  RLRQ, ch. ccq-1991.

Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd. par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Yvon Blais, 2013, no 154.

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