La question des enregistrements audio non autorisés au travail

17 novembre 2020

pexels: Cody Berg
Cet article a paru dans l’édition d’octobre 2020 du Bulletin en ressources humaines publié aux éditions Yvon Blais.

Commentaire sur la décision Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé de Gatineau (FSSS-CSN) et Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (Fouad Bekkar) — La question des enregistrements audio non autorisés au travail

INTRODUCTION

Les relations de travail deviennent parfois tendues et certaines personnes sont tentées d’enregistrer leurs collègues ou leur supérieur à leur insu. Quel que soit le motif derrière cette envie d’enregistrer des rencontres ou des discussions de travail à l’insu des participants (ex. : méfiance, désir de se protéger, volonté d’établir des preuves d’un comportement inadéquat, etc.), il s’agit toujours d’un sujet très délicat.

D’aucuns diront que ce n’est pas approprié et que ça ne devrait pas être permis, d’autres prétendront qu’il s’agit d’une façon simple de démontrer la réalité d’une dynamique de travail ou de propos tenus. Mais qu’en disent les tribunaux lorsqu’ils sont confrontés à un débat sur l’admissibilité en preuve de tels enregistrements ?

La décision arbitrale Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé de Gatineau (FSSS-CSN) et Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (Fouad Bekkar)1 analyse les précédents jurisprudentiels sur la question et rappelle les critères qui doivent être considérés avant d’admettre en preuve des enregistrements de rencontre.

I– LES FAITS

La décision commentée concerne un salarié, analyste en informatique, qui a été congédié en juin 2017 au motif d’une prestation de travail insatisfaisante. Le syndicat a contesté le congédiement et le grief a alors été soumis à l’arbitrage.

Au cours de l’audition, l’employeur fait d’abord entendre le salarié, dont le témoignage se tient au cours des quatre premières journées d’audience. Il présente ensuite d’autres témoins, dont le supérieur immédiat du salarié.

Une fois la preuve de l’employeur complétée, mais avant de débuter sa preuve, le syndicat indique vouloir mettre en preuve des enregistrements audio de réunions de travail auxquels le salarié et son supérieur immédiat avaient participé. Une objection est soulevée par l’employeur sur la légalité de cette preuve.

Dans le cadre d’une courte preuve sur les enregistrements, le salarié explique avoir enregistré toutes les rencontres professionnelles auxquelles il a participé avec son supérieur immédiat afin de pouvoir préparer des comptes-rendus le plus fidèles possible par rapport aux discussions tenues et pour faciliter les suivis auprès de son supérieur. Il soutient avoir enregistré, pour les mêmes raisons, les rencontres tenues avec les techniciens de l’organisation. Essentiellement, le salarié soumet que les enregistrements constituent sa façon de « prendre des notes » ou de compléter ses notes manuscrites.

Le salarié effectuait les enregistrements avec son téléphone cellulaire et supprimait les enregistrements une fois ses comptes-rendus effectués. Trois des enregistrements effectués lors de rencontres de suivis de projets, sur les lieux de travail, n’ont pas été supprimés.

Le salarié n’a jamais avisé les participants qu’il enregistrait les réunions. Il soutient par ailleurs que les trois enregistrements conservés contiennent l’intégralité des réunions de travail et qu’ils ne reproduisent aucune discussion privée ni sociale entre les participants.

Le salarié soutient avoir oublié l’existence de ces enregistrements non supprimés et que ce n’est qu’en entendant le témoignage de son supérieur lors de l’audition qu’il s’est souvenu que certains enregistrements avaient peut-être été conservés.

Au soutien de son objection préliminaire, l’employeur invoque une violation de la vie privée du supérieur immédiat du salarié. Il soutient également que l’admission en preuve de tels enregistrements aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice au sens de l’article 2858 C.c.Q. Il ajoute que les enregistrements n’ont pas été obtenus de bonne foi et que la conservation d’un nombre restreint d’enregistrements pose problème. Il reproche au syndicat de vouloir utiliser uniquement les extraits qui « font l’affaire » du salarié.

Le syndicat soumet pour sa part que les enregistrements ont été faits sur les lieux de travail et ne mettent donc pas en jeu la vie privée. Il ajoute que leur admission en preuve s’inscrit dans une recherche de la vérité et des droits de la défense du salarié.

II– LA DÉCISION

L’arbitre Nadeau conclut que les enregistrements audio ne contreviennent pas à la vie privée du supérieur et qu’ils sont admissibles en preuve, sous réserve d’une vérification de leur authenticité et de leur fiabilité. Il retient que certaines conditions, établies par les tribunaux judiciaires, doivent au préalable être satisfaites afin de pouvoir admettre de tels enregistrements en preuve, tout en tenant compte des particularités du mécanisme d’arbitrage de griefs.

D’emblée, l’arbitre rappelle que les membres d’une organisation (gestionnaire, supérieur ou membre du personnel) jouissent d’une protection de leur droit à la vie privée ; droit fondamental accordé par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ce droit ne se limite pas à la sphère personnelle et privée des employés, mais peut aussi trouver application dans le cadre des relations de travail et sur les lieux du travail2.

Afin de déterminer si le droit à la vie privée a été violé, il importe de considérer le contexte dans lequel les enregistrements ont été effectués. En l’espèce, l’arbitre Nadeau retient que :

  • les enregistrements ont été captés durant des rencontres de travail liées aux suivis des projets impliquant directement le salarié, à titre de chargé de projet ;
  • les enregistrements ont été captés sur les lieux du travail ;
  • le supérieur immédiat du salarié participait à ces rencontres et y agissait dans le cadre de ses fonctions ;
  • les rencontres de suivis sont au coeur du litige ;
  • les interactions du supérieur au cours de ces rencontres de travail étaient faites de façon ouverte avec les participants.

Dans ce contexte, l’arbitre n’y voit aucune dimension de vie privée pour l’un ou l’autre des participants, incluant le supérieur. L’arbitre rejette l’argument de l’employeur sur la confidentialité des échanges. D’abord, aucune preuve d’expectative de vie privée du supérieur du salarié ne lui a été présentée. De plus, une telle expectative de vie privée lui parait peu plausible en l’espèce considérant que les rencontres visaient à discuter de suivis de projets.

De plus, même en prenant pour avérée une telle expectative de vie privée, celle-ci ne suffit pas en soi à conférer un « droit à la confidentialité » dont la violation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice au sens de l’article 2858 C.c.Q.3. La bonne foi, bien qu’elle encadre les relations contractuelles, ne constitue pas davantage un droit fondamental au sens de l’article 2858 C.c.Q.4. Considérant sa conclusion d’absence d’atteinte à un droit fondamental, l’arbitre Nadeau ne se penche pas sur les critères d’application de l’article 2858 C.c.Q.

Dans une optique de recherche de la vérité, et s’appuyant sur les propos de la Cour d’appel, l’arbitre Nadeau retient que c’est plutôt l’exclusion des enregistrements audio qui risquerait de déconsidérer l’administration de la justice « en sacrifiant l’objectif de découverte de la vérité qui est la pierre angulaire de notre système de preuve et de justice civiles »5.

Cela étant, la question de l’admissibilité en preuve d’un enregistrement fait à l’insu de l’interlocuteur demeure entière. Après une analyse de la jurisprudence sur cette question, l’arbitre retient que, comme dans le cas d’un document privé, la production de l’enregistrement d’une conversation par un des interlocuteurs soulève l’application de l’article 2857 C.c.Q. et requiert par conséquent de valider que les conditions générales d’admissibilité soient rencontrées, notamment que le contenu soit pertinent pour le litige.

Revenant sur l’argument d’absence de bonne foi soulevé par l’employeur, l’arbitre souligne qu’il lui sera loisible de soutenir cet argument sur le fond pour attaquer le fait que seulement certains enregistrements ont été conservés et sont maintenant utilisés. Or, au stade de l’analyse de l’objection sur l’admissibilité en preuve, la preuve soumise ne lui permet pas de conclure à la mauvaise foi du salarié. L’arbitre Nadeau conclut donc que les enregistrements sont admissibles en preuve, sous réserve d’une vérification de leur authenticité et de leur fiabilité.

Il suggère par ailleurs qu’une partie qui entend utiliser une telle preuve devrait en aviser son adversaire dès que possible dans le processus d’arbitrage afin de permettre, lorsque requis, un débat en temps opportun sur son admissibilité. Il ajoute également que les enregistrements audio, même lorsqu’admis en preuve, demeurent sujets à l’évaluation de leur force probante et ne peuvent se substituer à une évaluation de la crédibilité des témoins entendus devant le tribunal.

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

Le processus d’analyse utilisé par l’arbitre Nadeau est conforme aux enseignements des tribunaux, notamment des arrêts Bellefeuille6 et Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSS Vallée-de-la-Gatineau c. Centre de santé et de services sociaux de la Vallée-de-la-Gatineau7.

Évidemment, il ne faut pas se méprendre, chaque situation doit être analysée dans son contexte propre. Ce ne sont pas tous les enregistrements audio de rencontres de travail qui seront considérés comme ne violant pas le droit à la vie privée. Certaines situations, de par le contenu des échanges enregistrés, de par le lieu où se déroulent les rencontres ou de par leur contexte particulier, pourraient être considérées comme portant atteinte à la vie privée des interlocuteurs.

Avec la propension actuelle pour le télétravail, on peut aussi penser qu’avec l’une ou l’autre des applications de vidéoconférence mises à la disposition des employés ou même avec l’une des applications d’un téléphone intelligent, l’enregistrement des rencontres de travail est susceptible de mettre en jeu une dimension privée et personnelle plus grande que dans le cadre des rencontres qui se déroulent sur les lieux de travail, durant les heures de travail.

Certaines situations pourraient également mettre en lumière la mauvaise foi de l’interlocuteur qui a procédé à l’enregistrement et affecter l’admissibilité en preuve.

La prudence doit gouverner les individus qui voudraient enregistrer des discussions ou des rencontres qui se tiennent dans le cadre du travail. Rappelons que celui qui enregistre la discussion est nettement avantagé par rapport aux autres interlocuteurs. Il pourrait en effet être tenté, «même inconsciemment, de moduler son attitude, ayant à l’esprit qu’il pourra un jour être entendu. Aussi, les questions, les réponses, les affirmations, les négations, les silences pourront-ils être dirigés et contrôlés vers un objectif ; car il sait qu’il se constitue une arme, ce que son interlocuteur ignore, dont il décidera seul de l’usage en fonction de ses seuls intérêts»8.

Pour reprendre dans nos mots un commentaire de la Cour d’appel dans l’arrêt Cadieux9, même si l’enregistrement d’un entretien par l’un des interlocuteurs n’est pas en soi une violation du droit à la protection de la vie privée, il n’en demeure pas moins « indiscret, inélégant […] [et] peu souhaitable ».

D’ailleurs, le contexte d’un enregistrement et la nature des discussions enregistrées pourraient entrainer une atteinte au droit à la vie privée et donner lieu à une réclamation pour les dommages occasionnés par cette atteinte. De plus, de tels enregistrements mettent généralement en lumière une brèche importante dans la relation de confiance, aspect crucial des relations de travail. Un tel comportement pourrait aussi, dans certains cas, constituer une faute grave de la part du salarié qui procède à l’enregistrement et s’exposer à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à son congédiement.

Quoi qu’il en soit, lorsque les tribunaux se retrouvent devant le choix difficile d’admettre ou de ne pas admettre un enregistrement de rencontre de travail, ils devront procéder à l’analyse mentionnée plus haut avant de les admettre en preuve. Dans un premier temps, ils devront déterminer si l’enregistrement porte atteinte au droit à la vie privée des interlocuteurs. Si tel est le cas, les conditions de l’article 2858 C.c.Q. devront être analysées afin de déterminer si son admission en preuve, malgré une atteinte à un droit fondamental, déconsidère l’administration de la justice.

Si, au contraire, au terme de l’analyse de cette première étape, il appert que l’enregistrement ne porte pas atteinte à un droit fondamental, le tribunal devra se demander si les conditions générales de recevabilité en preuve sont satisfaites et si le contenu de l’enregistrement est pertinent pour le litige. Il devra ensuite déterminer si les conditions de fiabilité et d’authenticité notamment de l’article 2874 C.c.Q. sont remplies :

2874. La déclaration qui a été enregistrée sur ruban magnétique ou par une autre technique d’enregistrement à laquelle on peut se fier, peut être prouvée par ce moyen, à la condition qu’une preuve distincte en établisse l’authenticité. Cependant, lorsque l’enregistrement est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), cette preuve d’authenticité n’est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 de cette loi.

CONCLUSION

Malgré une croyance répandue, la question de la légalité de l’enregistrement d’un interlocuteur à son insu n’est pas toujours simple à trancher et certaines nuances doivent être faites, selon chaque contexte.

Le fait d’intercepter des conversations privées sans consentement constitue un acte criminel au sens de l’article 184 du Code criminel, passible dans certains cas d’un emprisonnement. L’interception dans ce contexte sous-entend par ailleurs que la personne qui enregistre la conservation n’est pas partie à celle-ci. Ainsi, il est interdit pour un salarié d’enregistrer une conversation entre son patron et un supérieur, sans leur consentement.

Le droit criminel ne régit toutefois pas l’enregistrement de discussions à laquelle participe la personne qui enregistre. Or, sans être criminel, le fait d’enregistrer un collègue de travail ou son supérieur est rarement une bonne idée pour le maintien de relations de travail saines. En plus des conséquences importantes qu’est susceptible d’entrainer un tel enregistrement sur l’emploi du salarié qui le capte, un tel geste n’est pas sans risque au niveau de la confiance de ses pairs, de sa réputation et de l’utilisation éventuelle d’une telle preuve pour contredire un témoignage.

Pour toutes questions relatives à cet article, adressez-vous aux membres de notre équipe de droit du travail et de l’emploi ici, à notre équipe de litiges et résolution de différends ici, ou encore à l’auteure du présent billet :

Me Catherine Cloutier, associée
catherine.cloutier@steinmonast.ca
418-640-4424


1 2020 QCTA 325 (T.A.), EYB 2020-359563.
2 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette c. Trudeau, [1999] R.J.Q. 2229, REJB 1999-14156.
3 Bellefeuille c. Morisset, 2007 QCCA 535, EYB 2007-117913 [Bellefeuille].
4 Ibid.
5 Par. 25 de la décision commentée ; Voir aussi Bellefeuille, par. 25 et 77.
6 Précité, note 3.
7 2019 QCCA 1669, EYB 2019-319753.
8 Cadieux c. Service de Gaz naturel Laval inc. (« Cadieux »), 1991 CanLII 3149, EYB 1991-63691, p. 6.
9 Ibid.

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