Qu’est-ce que l’auto-assurance?

20 janvier 2022

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L’auto-assurance n’est pas définie dans le Code civil du Québec. Est-ce pour autant une activité légale au Québec? Est-ce qu’une entité qui exerce de l’auto-assurance est exemptée d’obtenir une autorisation par l’Autorité des marchés financiers? La Cour supérieure a répondu à ces questions dans l’Association générale des étudiants hors campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières (AGEHCUQTR) c. Autorité des marchés financiers, 2021 QCCS 5090.

Deux associations étudiantes offraient déjà depuis sept ans une couverture d’assurance médicale et dentaire à leurs étudiants et confiaient l’administration du régime à un assureur tiers spécialisé dans le domaine. Cependant, les associations n’avaient pas obtenu l’autorisation de l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’exercer cette activité. Elles affirmaient tout de même pouvoir le faire puisqu’elles exerçaient une activité d’auto-assurance et, qu’au surplus, elles ne pouvaient être considérées comme des assureurs au sens de la Loi sur les assureurs1. La Cour supérieure rejette ces arguments et prononce une injonction permanente afin de leur interdire d’exercer cette activité dans les trois mois suivant la date du jugement.

Qu’est-ce que l’auto-assurance ?

Cette affaire donne l’opportunité à la Cour de se prononcer sur un sujet qui a été très peu discuté en jurisprudence ; la question de l’auto-assurance. La Cour d’appel avait déjà confirmé en 20132 que l’auto-assurance n’était pas interdite par le Code civil du Québec, mais les tribunaux n’avaient pas encore eu l’occasion d’interpréter cette notion par opposition à la notion d’assureur.

L’activité d’assurance implique le transfert du risque des épaules de l’assuré vers celles de l’assureur, lequel s’engage à verser une prestation en échange du paiement d’une prime. La Cour rappelle que le transfert de risque est l’élément central de la notion d’assurance. L’auto-assuré décide de ne pas souscrire un contrat d’assurance pour une partie ou même la totalité du risque et donc de gérer lui-même la situation advenant la survenance du risque. Pour ce faire, l’auto-assuré peut décider de verser l’équivalent d’une prime afin de constituer son propre fonds de gestion du risque. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de transfert du risque, il n’y a pas d’activité d’assurance. L’« assureur » et l’« assuré » ne font finalement qu’un.

Dans le cas qui nous occupe, des primes étaient versées par les étudiants membres à leur association, en échange d’une indemnité en cas de réalisation du risque correspondant au montant des frais médicaux et dentaires réclamés. Les associations affirmaient que leur mission particulière d’association étudiante entraînait une fusion entre elles et leurs membres, d’où la notion d’auto-assurance. Au contraire, la Cour supérieure indique que les associations étudiantes en cause sont des personnes morales enregistrées en vertu de la Loi sur les compagnies3, et donc qu’il s’agit bien d’une entité distincte des étudiants assurés. La Cour conclut qu’il y a un transfert de risque des étudiants vers les associations.

Un OBNL peut-il être considéré comme un assureur ?

Les associations étudiantes affirmaient subsidiairement que, puisqu’elles sont des organismes à but non lucratif, elles n’exploitent pas une entreprise et donc qu’elles ne peuvent avoir le statut d’assureur tenu d’obtenir une autorisation de l’AMF.

L’article 21 de la Loi sur les assureurs prévoit que :

… l’autorisation de l’Autorité est nécessaire à l’exercice, au Québec, de l’activité d’assureur dès lors qu’elle constitue l’exploitation d’une entreprise, et ce, sans égard aux autres activités que peut exercer l’exploitant.

Ainsi, comme le rappelle la Cour, la notion d’entreprise n’est pas nécessairement liée à un aspect lucratif, mais plutôt à la conduite d’une « activité économique organisée et régulière ». L’activité économique se définit comme l’élaboration d’un plan de mise en œuvre d’objectifs économiques par l’investissement d’actifs (du personnel, des outils, de l’équipement), l’accomplissement d’actes juridiques avec d’autres intervenants et la présence d’une valeur économique ou d’un bénéfice attribuable aux efforts de l’entreprise.

La Cour retient donc que, bien que les associations étudiantes en cause ne visent pas l’obtention de profits, elles exercent tout de même une activité avec des objectifs économiques. Elles offrent notamment une couverture d’assurance et bénéficient des profits générés. La juge note en effet que cette activité rapporte aux associations étudiantes plusieurs centaines de milliers de dollars par année. Des actifs sont également investis par les associations, lesquelles consacrent des ressources humaines à cette activité, et elles ont près de 14 000 clients, soit les étudiants membres. Il s’agit en conséquence d’une situation qui répond en tout point à la définition d’une entreprise au sens de la Loi.

L’article 21 de la Loi sur les assureurs vise ainsi toutes les entités qui exercent une activité économique d’assurance même si ce n’est pas l’activité principale exercée par cette dernière. Ainsi, la Cour conclut que les associations étudiantes sont tenues d’obtenir l’autorisation de l’AMF pour exercer leurs activités d’assureur. N’ayant pas obtenu cette autorisation, la Cour ordonne qu’elles cessent toute activité d’assurance.

Conclusion

Une entité qui exerce une activité ayant un lien avec la distribution ou l’administration de produits d’assurance, que cette activité génère du profit ou non, a toujours avantage à bien se renseigner avant d’investir des sommes importantes et du temps dans la mise en place de tels programmes. Comme l’explique la Cour dans cette affaire, ce domaine est hautement règlementé afin de protéger le public contre les risques liés à l’offre de produits d’assurance, peu importe qui s’y adonne.

 Me Jessica Gauthier, Associée
jessica.gauthier@steinmonast.ca
418-640-4434

Me Catherine Pilote-Coulombe, Avocate
catherine.pilote-coulombe@steinmonast.ca
418-640-4445


1  RLRQ, c. A-32.1.
Canadien national Railway Company c. Chartis Insurance Company of Canada (Commerce and Industry Insurance Company of Canada), 2013 QCCA 1271, par. 70.
RLRQ, c. C-38.

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