La prescription de la créance entraîne la prescription de l’action hypothécaire : la Cour suprême confirme.

1 septembre 2020

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Récemment, dans l’affaire Banque Toronto-Dominion c. Young1, la Cour suprême a  confirmé que, puisque l’hypothèque est l’accessoire de la créance, la prescription de la créance emporte également la prescription du recours hypothécaire. Bien que lors du dépôt de la demande en délaissement forcé par la Banque Toronto-Dominion (« Banque »), la créance n’était pas prescrite, elle l’était au moment du jugement. L’action n’ayant pas été intentée contre le débiteur de l’obligation, mais plutôt contre celui qui détenait l’immeuble, la Banque ne pouvait prétendre à l’interruption de la prescription.

Les faits

Le 14 septembre 2009, Linda Macht (« débitrice ») contracte un prêt avec la Banque, lequel est garanti par une hypothèque de premier rang qui sera publiée le même jour. La débitrice contracte également un prêt avec Harold Young et Robert Young (« frères Young ») qui est garanti par une hypothèque de deuxième rang qui sera publiée le lendemain soit le 15 septembre 2009. Le 27 octobre 2010, le prêt auprès de la Banque est renouvelé, portant ainsi la date d’échéance au 1er novembre 2015.

Suite au défaut de la débitrice d’effectuer les paiements dus aux frères Young, le 17 octobre 2011, ces derniers deviennent propriétaires de l’immeuble grevé par l’effet d’un jugement faisant droit à leur demande en délaissement forcé et prise en paiement. L’immeuble reste tout de même grevé de l’hypothèque en faveur de la Banque.

Le 15 novembre 2011, un préavis d’exercice est signifié par la Banque à la débitrice pour défaut de paiement et le 6 février 2012, la Banque dépose une demande en délaissement forcé et prise en paiement qui ne vise que la débitrice. Les frères Young font deux versements sous protêt à la Banque afin de remédier au défaut de la débitrice et interviennent au recours judiciaire pour en demander le rejet, alléguant d’une part que le recours aurait dû être exercé contre eux et d’autre part, l’absence de défaut, vu les paiements sous protêt qu’ils ont faits. La Banque se désiste de son recours le 20 mars 2012.

Le 10 juillet 2012, la Banque signifie un préavis d’exercice uniquement aux frères Young, lequel est publié le 8 août 2012. Le 11 octobre 2012, une demande en délaissement forcée et prise en paiement est déposée par la Banque contre les frères Young, mais non contre la débitrice qui est alors introuvable. En défense, les frères Young plaident notamment que le recours hypothécaire est irrecevable puisque la créance personnelle de la débitrice est prescrite.

Les jugements

Le 19 février 2016, la juge Dominique Goulet de la Cour supérieure accueille le recours hypothécaire de la Banque, ordonne le délaissement de l’immeuble par les frères Young et la déclare propriétaire de celui-ci. La Cour supérieure conclut que le défaut d’avoir signifié la demande à la débitrice n’est pas fatal en l’espèce. La Cour supérieure soutient également que la Banque, ayant intenté son recours dans l’année suivant le défaut de la débitrice, ne peut se voir opposer la prescription.

Le jugement est porté en appel uniquement sur la question de la prescription afin de déterminer si l’extinction d’une créance garantie par une hypothèque immobilière empêche qu’une action hypothécaire soit intentée contre la personne qui, sans être débitrice, détient l’immeuble. Le 17 mai 2018, la Cour d’appel accueille l’appel et infirme le jugement de première instance.

La Cour d’appel souligne que l’hypothèque est l’accessoire de la créance, tel que le prévoit spécifiquement le Code civil du Québec («C.c.Q.»). Ainsi, il faut donc une créance liquide et exigible pour exercer un recours hypothécaire. Le point de départ de la prescription triennale (art. 2925 C.c.Q.) est l’exigibilité de la créance.

Le 11 octobre 2012, lorsque la Banque intente une action hypothécaire contre les frères Young, la créance personnelle de la débitrice n’est pas éteinte par prescription. Par contre, elle l’est en date de l’audience, le 2 novembre 2015, ce qui rend le recours contre les frères Young irrecevable. En effet, comme les frères Young ne sont pas liés par l’obligation que l’hypothèque garantit, il n’y a pas eu interruption de la prescription à l’égard de la créance personnelle au sens des articles 2892 et 2896 C.c.Q. La demande devait être signifiée à la bonne personne, soit la débitrice, pour interrompre la prescription.

En l’espèce, comme la Banque s’est prévalue de la clause de déchéance du terme prévue au contrat hypothécaire dans son préavis, clause qui, selon la Cour d’appel, trouve application tant à l’égard de la débitrice que de la personne qui détient l’immeuble, le point de départ de la prescription de la créance est le 10 juillet 2012.

La Cour suprême n’élabore pas de motifs propres justifiant sa position et adopte entièrement ceux élaborés par la Cour d’appel. La juge Côté présente toutefois une dissidence et soutient que, comme le recours s’exerce contre la personne qui détient le bien, il y a eu interruption de la prescription à partir du dépôt de la demande. Ainsi, selon elle, le recours n’était pas prescrit et l’appel aurait dû être accueilli.

Conclusion

Il faut rappeler qu’une hypothèque étant l’accessoire d’une créance, cette dernière ne doit pas être prescrite, tant au moment d’intenter le recours hypothécaire qu’au moment du jugement. Lorsqu’un recours contre un tiers non tenu personnellement de payer la dette doit être exercé, il est important de s’assurer de prendre les recours requis afin que la créance ne soit pas prescrite, soit en intentant un recours contre le débiteur lui-même.

Pour toute question en matière de recours hypothécaire, communiquez avec notre équipe de litige commercial ici ou encore avec les auteures du présent billet :

Me Caroline Tardif, Avocate
caroline.tardif@steinmonast.ca
418-640-4458

Me Anaïs Welsh, Avocate
anais.welsh@steinmonast.ca


1 2020 CSC 15.

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