Possibilité pour un contrôleur d’exercer les droits de certains créanciers du débiteur insolvable pour poursuivre des tiers : la Cour d’appel se prononce

22 juin 2020

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La Cour d’appel a récemment rendu un arrêt qui élargit considérablement les pouvoirs accordés à un contrôleur aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »). En effet, dans l’arrêt Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc. (Aquadis International inc.)1, la Cour d’appel confirme une décision du juge David R. Collier de la Cour supérieure qui approuvait un plan d’arrangement en vertu duquel est accordé au contrôleur le pouvoir d’exercer les droits de certains créanciers de l’entité placée sous la protection de la LACC pour poursuivre des tiers (« Plan »).

Les faits

9323-7055 Québec inc. (« Aquadis ») fait face à des problèmes financiers importants depuis la vente en 2010 de robinets d’eau défectueux. Ceux-ci ont été fabriqués à Taïwan par JYIC Industrial Corporation and Jing Yudh Industrial Co. Ltd (« JYIC »). Gearex Corporation (« Gearex »), distributeur taïwanais, a acheté les robinets de JYIC et les a revendus à Aquadis qui les a, à son tour, vendus à des distributeurs canadiens, dont Home Depot Canada inc., RONA inc., Home Hardware Stores Limited, Groupe BMR inc., Groupe Patrick Morin inc. et Matériaux Laurentien inc. (collectivement les « Distributeurs canadiens »). Faisant face à une multitude de recours judiciaires en lien avec les dommages qui auraient été causés par ces robinets défectueux et aux prises avec des problèmes financiers, Aquadis n’aura d’autre choix que de se placer à l’abri de ses créanciers. Figurent dans la liste des créanciers de nombreuses compagnies d’assurance qui ont indemnisé leurs assurés suite à des dommages par l’eau causés par les robinets défectueux. Les Distributeurs canadiens, pour leur part, ne sont pas créanciers, n’ayant pas déposé de preuve de réclamation.

Le 9 décembre 20152, Raymond Chabot inc., en sa qualité de syndic à l’avis d’intention d’Aquadis, est nommée par la Cour supérieure afin de surveiller l’exploitation d’Aquadis et les affaires financières de cette dernière (le « Contrôleur »). La Cour supérieure permet aussi que les procédures intentées par Aquadis soient traitées et continuées sous le régime de la LACC (l’« Ordonnance initiale »).

Le 14 novembre 2016, la Cour supérieure accueille la demande de modification des pouvoirs du Contrôleur et lui accorde le droit d’intenter ou de poursuivre toute action pour et au nom des créanciers d’Aquadis ayant un lien avec les robinets défectueux (l’« Ordonnance de poursuite »). Ce jugement n’a pas fait l’objet d’opposition quelconque et il n’a pas été porté en appel.

Le Contrôleur entame ensuite des négociations, notamment avec les Distributeurs canadiens, afin de tenter de parvenir à un règlement global de l’affaire. Malheureusement, cette tentative de règlement global échoue. Seul un règlement intervient avec les assureurs de Gearex et certains assureurs de JYIC (à l’exception d’un) pour un montant net de 4,7 millions de dollars (« Règlement »), lequel est par la suite approuvé par la Cour supérieure.

Le 4 juillet 20193, malgré l’opposition des Distributeurs canadiens, la Cour supérieure approuve le Plan proposé par le Contrôleur qui avait préalablement été approuvé unanimement par les créanciers d’Aquadis, lequel autorise le Contrôleur :

  • à distribuer aux créanciers les fonds provenant du Règlement;
  • à continuer le recours judiciaire contre JYIC;
  • à intenter une action en justice contre les Distributeurs canadiens au nom des créanciers d’Aquadis puisque, depuis l’Ordonnance initiale suspendant toutes les procédures judiciaires liées à la vente des robinets défectueux, le Contrôleur n’a pas été en mesure de parvenir à un règlement avec les Distributeurs canadiens.

En Cour supérieure, les Distributeurs canadiens contestaient l’approbation du Plan au motif que celui-ci permettait au Contrôleur de les poursuivre au nom des créanciers d’Aquadis, ce qui, selon eux, n’était pas une mesure nécessaire pour la restructuration d’Aquadis et constituait un abus des pouvoirs conférés par la LACC. Insatisfaits du jugement, ils portent cette décision en appel et attaquent de nouveau la portée des pouvoirs conférés au Contrôleur qui est ainsi autorisé à exercer les droits des créanciers plutôt que ceux de la débitrice, à savoir Aquadis.

Analyse

La Cour d’appel, sous la plume du juge Mark Schrager, est d’avis que la Cour supérieure a eu raison d’approuver le Plan et d’avaliser le pouvoir du Contrôleur d’engager une procédure pour recouvrer auprès des Distributeurs canadiens les dommages subis par les consommateurs.

D’abord, la Cour d’appel retient que les Distributeurs canadiens, qui ont eu connaissance de l’Ordonnance de poursuite autorisant le contrôleur à intenter ou à poursuivre toute action pour et au nom des créanciers, ont renoncé à contester la portée de ce jugement. La Cour d’appel ajoute que les appelants ne pouvaient pas non plus demander la révision de l’Ordonnance de poursuite dans le cadre de leur contestation du Plan, car ils n’ont demandé aucune conclusion à cet effet.

Ensuite, la Cour rappelle que la LACC édicte expressément les pouvoirs et fonctions du contrôleur et que ceux-ci peuvent être étendus, car l’article 23 k) de la LACC prévoit qu’un contrôleur est tenu « d’accomplir à l’égard de la compagnie tout ce que le tribunal lui ordonne de faire ». Ainsi, bien que la loi fournisse certaines lignes directrices, il appert que les tribunaux peuvent utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour accorder des pouvoirs supplémentaires qu’ils jugent appropriés. La Cour d’appel encadre toutefois ce pouvoir discrétionnaire dont disposent les tribunaux lorsqu’ils ont à se prononcer sur les pouvoirs d’un contrôleur en précisant que ce pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé arbitrairement. En effet, celui-ci doit être exercé de manière à respecter la réalisation des objectifs de la LACC – à savoir la maximisation du recouvrement des créances par les créanciers.

La Cour d’appel confirme donc la portée des pouvoirs pouvant être accordés au contrôleur et parle même du baptême du « super monitor ». Elle ajoute que le simple fait d’habiliter un contrôleur à poursuivre certaines personnes afin de faire valoir les droits des créanciers n’est pas conceptuellement étranger au cadre général du droit de l’insolvabilité. Elle précise également que le pouvoir donné au Contrôleur de poursuivre les Distributeurs canadiens ne va pas à l’encontre de l’obligation de neutralité du contrôleur, obligation par ailleurs loin d’être absolue.

Finalement, le fait que les Distributeurs canadiens ne soient pas des créanciers en vertu de la LACC semble avoir fortement milité en faveur de la décision de la Cour d’appel.

Conclusion

Bien que la Cour d’appel reconnaisse que le différend en cause dans cette affaire semble être sans précédent, elle décide néanmoins de maintenir la décision de la Cour supérieure en permettant au contrôleur d’exercer les droits de certains créanciers d’un débiteur insolvable pour poursuivre des tiers. Il est évident que cet arrêt ouvre la porte à un élargissement considérable des pouvoirs conférés au contrôleur dans la surveillance de l’exploitation d’une entreprise placée sous la protection de la LACC ainsi que de ses affaires financières.

Par ailleurs, dans le contexte actuel alors que de plus en plus d’entreprises se placent à l’abri de leurs créanciers, il ne serait pas surprenant que les contrôleurs prévoient ce type de pouvoir dans l’ordonnance initiale puisque la Cour d’appel en reconnaît désormais la légalité.

N.B. : En date de la publication du présent billet, aucune demande d’autorisation d’appel n’a été déposée à la Cour suprême.

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1  Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc. (Aquadis International inc.), 2020 QCCA 659.
2 9323-7055 Québec inc. (Arrangement relatif à), 2015 QCCS 5766.
3 Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc., 2019 QCCS 5904.

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