L’erreur inexcusable n’est pas une fin de non-recevoir à un recours visant à récupérer un paiement fait par erreur (L’Unique, assurances générales inc. c. Roy, 2017 QCCS 3971 et 2019 QCCA 1887)

17 février 2020

Par Me Maud Rivard, associée, et  Me Ruby Riverin-Kelly,  avocate

En janvier 2010, un incendie se déclare à l’immeuble exploité par la clinique dentaire du Dre Brigitte Roy (ci-après l’« Assurée »). Au moment de l’incendie, la clinique détenait une police d’assurance prévoyant une assurance pour les biens ainsi qu’une assurance pour les pertes d’exploitation souscrite auprès de L’Unique Assurances Générales inc. (ci-après « L’Unique »).

Dans le cadre du traitement de la réclamation de l’Assurée suivant l’incendie, L’Unique mandate l’expert en sinistre Yves Luc Perreault (ci-après « Perreault »), lequel commet une erreur dès mars 2010 dans son analyse de la perte d’exploitation de la clinique : il confond les pertes d’exploitation mensuelles estimées à 10 000 $ à des pertes d’exploitation hebdomadaires pour le même montant. Ne constatant pas l’erreur de Perreault, L’Unique suit ses recommandations et verse à l’Assurée des indemnités dépassant celles auxquelles elle aurait eu droit. En décembre 2010, Perreault constate son erreur alors qu’une somme de 280 000 $ a déjà été versée à l’Assurée à titre de perte d’exploitation par le biais de chèques émis entre février et octobre 2010. Dans les faits, la perte d’exploitation réelle s’établit plutôt à une somme de 63 775 $.

Jugement de la Cour supérieure

Suivant la découverte de l’erreur et face à l’absence de collaboration de l’Assurée quant au traitement des sommes versées en trop, L’Unique intente un recours devant la Cour supérieure contre l’Assurée ainsi que Perreault et son entreprise leur réclamant le remboursement in solidum de la somme de 216 225 $ représentant les indemnités versées en trop. L’Assurée s’oppose à la réclamation prétendant que les versements effectués en trop résultent d’une erreur inexcusable de Perreault et L’Unique en plus d’alléguer la prescription partielle du recours entrepris par L’Unique.

Dans sa décision rendue le 28 août 2017, la juge Anne Jacob retient qu’il y a bel et bien eu une indemnité au montant de 216 225 $ versée en trop par L’Unique en raison de l’erreur inexcusable commise par Perreault dans sa recommandation de verser une indemnité de 10 000 $ sur une base hebdomadaire plutôt que mensuelle, erreur répétée à plusieurs reprises qui plus est. Ce faisant, Perreault a commis une faute contractuelle à l’égard de L’Unique ainsi qu’une faute extracontractuelle à l’égard de l’Assurée. La juge retient également que L’Unique a commis une erreur inexcusable à l’égard de l’Assurée en ce que, par manque de rigueur et nonchalance constituant de la négligence grossière, L’Unique a repris l’erreur de Perreault sans la déceler.

Elle soulève également qu’après la découverte de l’erreur, L’Unique et Perreault ont tenté de faire porter le blâme à l’Assurée comme si elle était en défaut alors que ce n’était pas le cas, comportement qu’elle estime hautement répréhensible. D’un autre côté, elle remarque que le manque de diligence de l’Assurée, justifiable à la suite de la découverte de l’erreur, se transforma par la suite en manque de coopération empreint de mauvaise foi de sa part.

Indiquant que deux courants jurisprudentiels s’opposent quant à savoir si l’erreur inexcusable constitue une fin de non-recevoir face à un recours en répétition de l’indu et en restitution des prestations, la juge considère que l’erreur inexcusable ou la négligence grossière en l’espèce ne font pas obstacle au recours de L’Unique contre l’Assurée. Elle use toutefois de son pouvoir exceptionnel conféré par l’article 1699 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») pour refuser la restitution intégrale et éviter « d’accorder à l’une des parties un avantage indu d’autant qu’avant la fin de leur relation, les parties ont adopté un comportement empreint de mauvaise foi afin d’éviter les conséquences de l’erreur en cause ». Considérant que le délai de prescription de trois ans s’appliquait à chacun des paiements effectués plutôt qu’à la date de la découverte de l’erreur, la juge condamne l’Assurée au remboursement du dernier chèque émis en octobre 2010 au montant de 70 000$ et laisse L’Unique et Perreault se partager le solde résiduel de 146 225 $ de façon égale en raison de leur erreur inexcusable conjointe.

Arrêt de la Cour d’appel

L’Assurée interjette appel de la décision rendue par la juge Jacob tandis que L’Unique se pourvoit par appel incident.

Dans un arrêt unanime, les honorables Louis Rochette, Patrick Healy et Simon Ruel tranchent la controverse jurisprudentielle et doctrinale entourant la question à savoir si l’erreur inexcusable constitue une fin de non-recevoir face à un recours en répétition de l’indu et en restitution des prestations. Selon eux, la question de l’erreur inexcusable sera uniquement considérée lorsque le consentement des parties est remis en cause, et ce, lors de la formation du contrat. Or, en matière de paiement par erreur, comme c’était le cas ici, il n’y a pas une erreur dans la formation du contrat mais plutôt une erreur unilatérale du débiteur dans l’exécution des obligations découlant du contrat. La stabilité du contrat n’étant pas en cause, la Cour retient que l’erreur inexcusable ne peut être opposée comme fin de non-recevoir au recours de L’Unique fondé sur la répétition de l’indu. Ainsi, la décision de la juge de première instance sur la question était bien fondée en droit.

Quant à la prescription, la Cour d’appel confirme que le délai se calcule à partir de la date du paiement fait par erreur et non pas à la date de la découverte de l’erreur, en l’absence d’une situation d’impossibilité d’agir. En l’espèce, la créance non prescrite de L’Unique s’élève, comme l’a retenu la juge de première instance, au montant de 150 000$.

Par ailleurs, la Cour d’appel considère que la juge de première instance a erré en droit en se référant à l’article 1556 C.c.Q. pour justifier l’absence de restitution intégrale des prestations afin d’éviter de causer un préjudice financier à l’Assurée puisque cette dernière n’avait plus en sa possession l’argent dont la restitution était demandée et qu’elle aurait donc dû s’endetter pour le rembourser. La Cour d’appel rappelle que cet article ne vise pas le paiement fait en l’absence d’obligation. Or, le paiement fait par L’Unique a été fait en l’absence d’obligation envers l’Assurée.

Ceci étant dit, la juge s’était également référée à l’article 1699 C.c.Q. et aux règles relatives à la restitution des prestations afin de refuser la restitution intégrale de 150 000 $ par l’Assurée à L’Unique, réduisant le tout à 70 000 $. La Cour d’appel y reconnaît là l’exercice de la discrétion de la juge à titre de mesure d’équité pour éviter qu’une partie ne retire un avantage indu du fait de la restitution. Ainsi, bien que la restitution intégrale soit la règle, certaines circonstances permettront au tribunal de refuser ou modifier l’étendue de la restitution si le tout procure un avantage indu au débiteur. En l’espèce, la Cour d’appel retient que la juge était consciente du caractère exceptionnel de son pouvoir et considère qu’elle l’a exercé avec modération et transparence en expliquant en quoi la restitution procurerait un avantage injustifié à L’Unique. Sa décision à cet égard n’est donc pas déraisonnable.

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