L’autoconstruction, à quoi s’attendre ?

31 août 2021

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Comme son nom l’indique, l’autoconstruction est la construction par une personne de sa propre maison. Au Québec, on peut construire sa maison de A à Z à l’exception des installations électriques, gazières ou pétrolières, qui nécessitent de faire appel à un entrepreneur professionnel1. L’autoconstruction peut présenter des avantages importants en réduisant les coûts de construction et de main d’œuvre, mais également créer certains risques lorsque vient le temps de revendre l’immeuble.

Garantie légale de qualité

Lorsque la vente de l’immeuble est effectuée avec la garantie légale de qualité, si un vice caché est découvert après la vente, le vendeur qui connaît le vice ou qui ne pouvait l’ignorer sera non seulement tenu de restituer le prix de vente ou de le réduire en proportion des coûts liés au vice, mais également de réparer le préjudice subi par l’acheteur2.

Si la vente est faite sans garantie et aux risques et périls de l’acheteur, le vendeur ne pourra limiter sa responsabilité pour les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer, à moins d’être qualifié de vendeur non professionnel.

Une analyse en deux volets a été élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ABB Inc. c. Domtar Inc.3 afin de déterminer si la garantie légale est mise en œuvre. Dans un premier temps, l’existence d’un vice caché affectant l’immeuble vendu doit être établie, si son existence ne peut être présumée. Une fois cette preuve faite, le second volet de l’analyse consiste à évaluer le niveau de responsabilité du vendeur qui variera selon la connaissance qu’il a du vice, connaissance qui pourra être présumée s’il est qualifié de vendeur professionnel.

Notion de vendeur professionnel ou non professionnel

Comme la Cour suprême du Canada l’a précisé dans ABB Inc. c. Domtar Inc., le droit civil québécois a identifié trois types de vendeur4, chacun ayant un niveau d’expertise différent modulant le niveau de responsabilité s’y rattachant, à savoir :

  • le fabricant
  • le vendeur professionnel (spécialisé ou non spécialisé) et
  • le vendeur non professionnel

Selon un arrêt de la Cour d’appel du Québec5, un vendeur pourra être considéré comme un vendeur professionnel à l’égard des biens qu’il a l’habitude de vendre. Un individu qui décide de construire sa maison par ses propres moyens peut-il être considéré comme un vendeur professionnel?

En 2014, dans une affaire où le vendeur avait également agi à titre de maître d’œuvre du projet de construction, la Cour supérieure a retenu que le fait d’agir comme autoconstructeur était en soi suffisant pour retenir la connaissance présumée du vice par le vendeur constructeur que le tribunal assimile alors au fabricant, et ce, malgré son manque d’expérience et de compétence dans le domaine de la construction6.

En 2015, dans un jugement confirmé par la Cour d’appel, la Cour supérieure a déterminé que la construction de résidences, à répétition, avec l’intention de les revendre à profit constitue une situation permettant de qualifier l’autoconstructeur de vendeur professionnel et ainsi d’appliquer la présomption de connaissance du vice7.

En 2016, la Cour supérieure refuse cette fois d’assimiler à un vendeur professionnel, ou encore à un fabricant, l’autoconstructeur qui ne possède pas les caractéristiques requises. Pour le tribunal, il devait détenir des connaissances poussées dans le domaine visé et agir avec une intention de faire du profit8. Ainsi, dans cette affaire, bien que le vendeur ait travaillé un certain temps dans le domaine de la construction et qu’il ait construit lui-même certaines pièces du sous-sol, il ne peut être qualifié de vendeur professionnel et la présomption de connaissance du vice ne peut trouver application.

En 2018, la Cour d’appel du Québec9 confirme la décision du juge de première instance qui avait refusé d’appliquer la notion de vendeur professionnel puisque les vendeurs, autoconstructeurs, ne détenaient pas le niveau de connaissance requis, ni une expertise dans la matière visée par les vices. En outre, les deux immeubles construits « ne s’inscrivaient pas dans un objectif de revente rapide ou d’une activité lucrative »10.

Ainsi, il appert que ce soit uniquement dans les cas où l’autoconstructeur possède un certain niveau de connaissance dans le domaine de la construction en plus d’agir avec une intention de générer des profits qu’il peut être qualifié de vendeur professionnel. L’analyse à ce titre doit être effectuée de manière globale et contextuelle11, à la lumière des faits propres à chaque construction et chaque vente.

Responsabilité

Lorsqu’un autoconstructeur est assimilé à un vendeur professionnel, il est présumé connaître les vices cachés affectant l’immeuble. Concrètement, cette présomption a pour incidence d’engager sa responsabilité non seulement pour le vice lui-même, mais également pour les dommages qui en découlent, qu’il ait vendu avec ou sans garantie légale.

L’autoconstructeur qualifié de vendeur non professionnel n’est pas « légalement présumé connaître les vices du bien vendu, car il s’agit d’une personne qui n’a pas pour occupation habituelle la vente du bien en question »12. Par conséquent, si aucune preuve n’est faite à l’effet que le vendeur connaissait l’existence des vices, il ne pourra être tenu qu’à la restitution du prix, sans être tenu de payer les autres dommages. Il pourra également invoquer le fait que la vente a été faite sans garantie légale, aux risques et périls de l’acheteur, si tel est le cas, qu’il connaisse ou non l’existence de vices affectant l’immeuble13. Cependant, même en cas de renonciation à la garantie légale par l’acheteur, la responsabilité du vendeur pourra toujours être engagée si :

  • Le vice résulte de son fait personnel14, notamment des travaux qu’il a exécutés lui-même;
  • Il a fait des représentations mensongères à l’acheteur, a employé des manœuvres dolosives ou fait preuve de réticences.

En somme, les autoconstructeurs détenant des connaissances poussées dans le domaine de la construction, qui vendent de manière répétitive et dans un but lucratif les résidences qu’ils ont construites, seront généralement assimilés à des vendeurs professionnels et présumés connaître les vices affectant les immeubles vendus. Ils devront donc s’assurer de dénoncer tous les vices constatés et auraient avantage à recommander qu’une inspection préachat soit réalisée par l’acheteur.

Pour toute question concernant cet article, adressez-vous aux membres de notre équipe de litige en assurance ici, en litige civil et commercial ici ou aux auteures du présent billet.

Jessica Gauthier, Associée
jessica.gauthier@steinmonast.ca
418-640-4434

Carolane Gélinas, Avocate
carolane.gelinas@steinmonast.ca
418-640-4415

Les auteures souhaitent remercier Me Alexandre St-Pierre Marcoux pour son aide dans la rédaction de cet article.


1 Article 49, Loi sur le bâtiment, RLRQ c. B-1.1.
2 Articles 1726 et 1728, C.c.Q.
3 ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, par. 46.
4 ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, par. 39.
5 Ferme avicole Héva inc. c. Coopérative fédérée de Québec (portion assurée), 2008 QCCA 1053, par. 84.
6 Lefebvre c. Rousseau, 2014 QCCS 4208, par. 239 à 251.
7 Poirier c. Rioux, 2015 QCCS 1420, par. 168 à 172 (confirmé en appel dans 2016 QCCA 1829).
8 Melançon c. Arsenault, 2016 QCCS 5858, par. 81-82
9 Grandmaître c. Lacombe, 2018 QCCA 651.
10 Idem, par. 10.
11 Idem, par. 11.
12 ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, par. 40.
13 Art. 1733 C.c.Q.
14 Art. 1732 C.c.Q.

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