LE DROIT D’ÉCHELAGE : QUEL ACCÈS AVEZ-VOUS À LA PROPRIÉTÉ D’UN VOISIN POUR PERMETTRE LA RÉALISATION DE VOS TRAVAUX?

11 mai 2020

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C’est la fin de l’hiver, l’arrivée de la période estivale et surtout la reprise des activités de construction depuis le plan de déconfinement annoncé le 28 avril dernier par le gouvernement. Vos idées et projets de rénovation, d’agrandissement et d’aménagement foisonnent déjà. Mais que faire si vos travaux sont contigus aux lignes de votre lot et si ceux-ci requièrent un accès ou un empiètement temporaire sur la propriété voisine?

Comme le veut le dicton : « En mai, fais ce qui te plaît ».

Pas tout à fait, mais…

L’arrêt Messier c. Lepage et la notion de droit d’échelage

La Cour d’appel, dans son arrêt Messier c. Lepage1, a tout récemment abordé la question du droit d’échelage et de l’obligation d’un propriétaire voisin de permettre l’accès à sa propriété si celui-ci s’avère nécessaire pour la construction ou l’entretien d’un ouvrage. En l’espèce, le propriétaire voisin demandait l’émission d’une ordonnance d’injonction visant à empêcher tous travaux d’excavation sur son terrain ou sur la ligne séparatrice des lots, et ce, dans le cadre de la construction d’une résidence adjacente à son immeuble dans un quartier dont les espaces séparatifs étaient restreints. La Cour d’appel a maintenu la décision de première instance qui rejetait la demande d’injonction, reconnaissant ainsi le droit d’accès et d’empiètement temporaire sur la propriété voisine pour les fins des travaux.

Qu’est-ce que le droit d’échelage, d’où vient-il et qu’implique-t-il?

Le droit d’échelage tire son origine de la servitude de tour d’échelle qui, autrefois, permettait au propriétaire foncier de poser une échelle sur la propriété d’autrui pour réparer un mur, etc2. Désormais consacré à l’article 987 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), le droit d’échelage permet ainsi à un propriétaire d’accéder au fonds voisin pour faire ou entretenir une construction, un ouvrage ou une plantation sur sa propre propriété, le tout suivant certaines conditions :

« 987. Tout propriétaire doit, après avoir reçu un avis, verbal ou écrit, permettre à son voisin l’accès à son fonds si cela est nécessaire pour faire ou entretenir une construction, un ouvrage ou une plantation sur le fonds voisin. » 3

Les conditions du droit d’échelage :

Un propriétaire peut se prévaloir de ce droit d’échelage si, et seulement si :

  • Les travaux projetés sont sur sa propriété et l’accès au fonds voisin en est l’accessoire;
  • Un avis, verbal ou écrit, doit avoir été remis au propriétaire du lot voisin avant le début de tels travaux;
  • L’accès au fonds voisin doit être nécessaire pour l’exécution de ces travaux.

Quant à l’avis, il constitue la seule démarche imposée par la loi au propriétaire qui veut se prévaloir du droit d’échelage. D’ailleurs, la Cour d’appel rappelle que celui qui requiert l’accès n’a pas à obtenir l’autorisation du tribunal en cas de refus de son voisin d’accéder à sa propriété, malgré la réception d’un tel avis4.

Quant à la nécessité de l’accès, il n’est pas requis de démontrer l’absolue nécessité d’accéder au fonds d’autrui, alors que rien n’est impossible et que d’autres alternatives soient toujours disponibles5. On ne peut par contre accéder ou empiéter sur le terrain de son voisin pour un simple prétexte ou un simple caprice6. De plus, la nécessité s’interprète en fonction des travaux projetés. Le propriétaire voisin ne peut donc exiger que les travaux envisagés soient modifiés et/ou déplacés afin d’éviter tout accès sur son fonds. Cela contrevient directement à l’essence même du droit d’échelage qui découle de l’idée qu’un propriétaire a le droit de bâtir à la limite de son terrain7.

Si toutes les conditions susmentionnées sont rencontrées, le propriétaire voisin doit, de façon péremptoire, permettre l’accès à son fonds. Ceci revêt un caractère impératif8. Il n’y a pas de demi-mesure : le propriétaire ne peut négocier la question de savoir s’il donnera accès ou ne donnera pas accès9. En ce sens, il ne peut imposer certaines conditions, y compris la démonstration que les ouvrages et travaux ne viendront en rien menacer l’intégrité de sa propriété, sinon laisser quelconque empreinte négative sur son immeuble. Une telle démonstration constitue une intervention préventive que la loi n’exige pas10. Par ailleurs, le refus injustifié d’un propriétaire intransigeant ou l’imposition par celui-ci de conditions pour permettre l’accès à son fonds (ex : indemnité ou d’une garantie, choix d’un entrepreneur, approbation préalable des travaux, programme de réparation permanente, calendrier comportant une description détaillée des travaux, interdiction/autorisation de travaux durant une période imposée, etc.), le tout rendant difficile l’exercice de bonne foi du droit d’échelage, pourraient être déclarés abusifs et être sanctionnés par les tribunaux11.

Cependant, le propriétaire du fonds voisin bénéficie du corollaire du droit d’échelage : celui qui use d’un tel privilège devra réparer tout préjudice subi sur ce fonds :

« 988. Le propriétaire qui doit permettre l’accès à son fonds a droit à la réparation du préjudice qu’il subit de ce seul fait et à la remise de son fonds en l’état. »12

Ainsi, celui qui bénéficie du droit d’échelage n’est pas libre de faire ce qui lui plait : l’exercice de ce droit doit se faire dans le respect des droits de son voisin.

La portée de l’accès

Alors que l’article 987 C.c.Q. se limite aux termes « accès au fonds », que le droit d’échelage doit être interprété restrictivement et que celui-ci n’était, jusqu’à tout récemment, encore assimilé qu’à un droit de passage temporaire13, la Cour d’appel conclut dans Messier c. Lepage qu’un tel droit ne ferait que peu de sens s’il ne visait que le passage, et non l’empiètement sur le terrain voisin. Ainsi, le droit d’échelage ne se limite plus qu’au droit de passage sur le fonds d’autrui, mais est désormais élargi jusqu’à permettre également à celui qui s’en prévaut la possibilité d’excaver, quand cela est nécessaire14.

Évidemment, puisque l’article 987 C.c.Q. accorde un droit qui excède le sens commun du droit de propriété, celui-ci ne crée pas en faveur de celui qui s’en prévaut un droit de passage ou d’empiètement permanent15. L’exercice de ce droit est temporaire : celui qui en bénéficie devra remettre les lieux en l’état et réparer le préjudice qui en découle, conformément aux dispositions de l’article 988 C.c.Q.

Quelques mesures à prendre

Tout propriétaire ne doit pas commettre d’actes excessifs ou anormaux16 et les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent17. De fait, l’exercice du droit d’échelage doit s’exercer conformément aux exigences de la bonne foi et viser une atteinte minimale à la propriété du voisin18 . C’est précisément dans ces situations que doivent intervenir les règles de bon voisinage, alors que des droits opposés s’affrontent19. Cela dit, certaines mesures peuvent être envisagées afin de démontrer à vos voisins – et au tribunal – les précautions prises, les considérations des droits de vos voisins et l’exercice de bonne foi des vôtres.

Tout d’abord, la transmission d’un avis écrit – bien que l’avis verbal soit permis – est privilégiée, puisqu’il facilitera la preuve du respect de la condition d’avis préalable. Ensuite, certains agissements, bien que non exigés par la loi, pourraient rassurer le voisinage. On pense notamment à :

  • Faire préparer et communiquer au propriétaire voisin des expertises démontrant l’absence de risques des travaux pour son fonds;
  • Retenir les services d’un ingénieur et/ou d’un architecte de manière à assurer la supervision des travaux;
  • Communiquer au voisin concerné la documentation relative aux travaux;
  • Adapter l’échéancier et le déroulement des travaux en fonction du secteur et de la réalité du voisinage;
  • Contracter une assurance en vue des bris, dommages et préjudices éventuels;
  • Fournir un cautionnement;

Ne perdez pas de vue qu’en accédant au fonds d’autrui, vous intervenez « exceptionnellement » sur une propriété qui n’est pas la vôtre20.

Pour toute question relative à l’exercice de vos droits de propriété, adressez-vous aux membres de notre équipe en litige ici et en immobilier ici ou encore à l’auteur du présent billet :

Me Gilles-Étienne Lemieux, Avocat
gilles-etienne.lemieux@steinmonast.ca
418 640-4430


1 Messier c. Lepage, 2020 QCCA 488.
2 Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2010, « échelage ».
3 Code civil du Québec, c. CCQ-1991, art. 987.
4 Précité, note 1.
5 Voir la décision de première instance Messier c. Lepage, 2019 QCCS 4243.
6 Belcourt Properties Inc. c. Ace Holdings Ltd., 2011 QCCS 4468.
7 Précité, note 1.
8 Précité, note 5.
9 Précité, note 6.
10 Précité, note 5.
11 Ouimet c. Fournier, 2007 QCCQ 1484.
12 Code civil du Québec, c. CCQ-1991, art. 988.
13 Carbone c. Turgeon, 2005 CanLII 26264 (QC CS).
14 Précité, note 1.
15 Précité, note 13.
16 Code civil du Québec, c. CCQ-1991, art. 7.
17 Code civil du Québec, c. CCQ-1991, art. 976.
18 Précité, note 1.
19 Gourdeau c. Letellier De St-Just, 2022 CanLII 41118 (QC CA).
20 Dupuis c. Dufresne, 2018 QCCQ 10248.

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