LE FINANCEMENT D’UN LITIGE PAR UN TIERS : LA COUR SUPRÊME TRANCHE

26 mai 2020

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La Cour suprême a récemment rendu un arrêt qui pourrait faciliter l’accès à la justice pour les entreprises dans une situation financière précaire. En effet, dans l’arrêt 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., le plus haut tribunal du pays a infirmé l’arrêt de la Cour d’appel en rétablissant la décision d’un juge surveillant qui approuvait le financement temporaire d’un litige par un tiers. Cette décision attire notre attention notamment puisqu’elle permet aux entreprises en difficulté de contracter un prêt temporaire (un « DIP ») pour financer  les dépenses associées à une demande en justice dont l’issue pourrait avoir pour objectif de maximiser les montants auxquels ses créanciers pourraient avoir droit.

Les faits

Il s’agit d’un litige opposant la société Bluberi Gaming Technologies Inc. (9354-9186 Québec inc.) (« Bluberi »), une entreprise qui fabriquait et entretenait des appareils de jeux électroniques destinés aux casinos, à la société Callidus Capital Corp (« Callidus »), un prêteur s’intéressant particulièrement aux entreprises en difficulté financière.

C’est en 2012 que la relation entre les parties débute, alors que Bluberi effectue une demande de financement à Callidus. Bluberi garantit alors partiellement le crédit consenti par Callidus en signant une entente mettant en gage ses actions. La situation financière de Bluberi durant les trois années suivantes ne cesse de se détériorer, si bien qu’en 2015 elle doit environ 85 millions de dollars à Callidus.

C’est dans ce contexte que Bluberi, le 11 novembre 2015, dépose une requête pour la délivrance d’une ordonnance initiale sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») alléguant que ses problèmes financiers sont directement liés aux agissements de Callidus. Selon ses allégations, Callidus exercerait un contrôle de facto sur l’entreprise en dictant plusieurs décisions d’affaires, tout cela dans l’intention de nuire à Bluberi. Bluberi prétend que Callidus désire porter atteinte à la valeur des actions pour éventuellement devenir propriétaire de Bluberi et la vendre. La requête est accueillie. Un juge surveillant (le juge Michaud) prend alors charge du dossier rendant une ordonnance initiale sous le régime de la LACC, confirmant le statut de compagnie débitrice de Bluberi au sens du paragraphe 2(1) LACC, suspendant toutes les procédures intentées contre Bluberi et désignant Ernst & Young Inc. à titre de contrôleur.

En février 2017, suite aux recommandations du contrôleur, Bluberi procède à la vente de ses actifs à Callidus en échange d’une réduction de sa dette s’élevant maintenant à 135,7 millions de dollars. La dette sera réduite à un montant de 3 millions de dollars. Suite à cette transaction, les seuls éléments d’actifs de Bluberi sont les réclamations réservées (en lien avec les agissements de Callidus qui auraient mené à ses déboires financiers). Ces créances réservées représentent la seule garantie que possède Callidus pour sa propre créance.

Le 11 septembre 2017, Bluberi dépose une demande afin d’obtenir l’approbation d’un financement temporaire de 2 millions de dollars sous forme de facilité de crédit dans l’objectif de financer les procédures reliées aux réclamations réservées. Callidus propose ensuite un plan d’arrangement, qu’elle souhaite soumettre à l’approbation des créanciers. Le plan n’obtient toutefois pas l’appui nécessaire.

DEMANDE CONTESTÉE

Le 6 février 2018, Bluberi demande au tribunal l’autorisation de conclure un accord de financement du litige par un tiers (« AFL ») avec Corporation Bentham IMF Capital, (« Bentham »), un bailleur de fonds international. Elle demande également l’autorisation de grever son actif d’une charge superprioritaire de 20 millions de dollars en faveur de Bentham. L’AFL est contesté par Callidus au motif qu’il constitue un plan d’arrangement nécessitant le vote des créanciers. L’AFL ainsi que la charge superprioritaire seront accordés alors que les prétentions de Callidus seront déboutées.

Analyse

LE FINANCEMENT D’UN LITIGE PAR UN TIERS

Le financement temporaire est un outil souple prévu par la LACC pouvant revêtir plusieurs formes différentes. Il vise principalement à soutenir le fonds de roulement dont la société débitrice a besoin pour survivre durant la restructuration ainsi qu’à procéder au paiement des frais liés à son processus de sauvetage. En bref, il permet à l’entreprise en difficulté financière de protéger sa valeur d’exploitation en attendant de trouver une solution viable à son insolvabilité.

La décision rendue en l’espèce permet d’ajouter le financement de litige par un tiers aux options s’offrant à la société débitrice lorsque vient le temps de trouver un financement temporaire. Le financement de litige par un tiers est un mécanisme par lequel une personne ou une entité n’ayant aucun lien avec le litige convient de payer les honoraires d’avocats et les débours en lien avec la demande en échange d’une part de la somme qui sera recouvrée à titre de dommages-intérêts ou de dépens.

Ce type d’accord a fait l’objet de plusieurs débats, notamment en raison des risques qu’il soit motivé par des buts illégitimes et que certaines entités ne cherchent qu’à s’enrichir au détriment de la personne à l’origine de la demande en justice.  La Cour suprême met fin à une partie du débat en rappelant qu’il n’existe aucune raison qui empêcherait un juge surveillant d’approuver ce type d’accord à titre de financement temporaire puisqu’ils ne sont pas illégaux en soi.

La présente affaire revêt toutefois une particularité qui pourrait tempérer le principe voulant que les accords de financement de litige par un tiers soient toujours approuvés. En l’espèce, Bluberi ne disposait d’aucun autre actif pouvant garantir le remboursement des créanciers. L’AFL était en quelque sorte le dernier recours dont elle disposait. On comprend de la lecture de cet arrêt qu’un objectif de maximisation du recouvrement des créances a également motivé la décision du juge surveillant. On pourrait ainsi penser que le financement d’un litige par un tiers ne saurait être approuvé en toutes occasions.

La Cour conclut en précisant que l’appréciation d’un AFL demeure soumise à la discrétion du juge surveillant, qui est le mieux placé pour conjuguer les objectifs de la LACC avec les faits et l’intérêt des parties étant donné sa grande connaissance du dossier dont il a la responsabilité.

Conclusion

Cette décision vient confirmer les larges pouvoirs discrétionnaires dont jouit le juge surveillant dans l’administration des dossiers dont il est saisi ainsi que du grand degré de déférence que les juges des instances d’appel doivent adopter à l’égard des jugements du juge surveillant. Ce dernier est tout désigné, étant donné sa maîtrise des faits du dossier qui l’occupe, pour rendre un large éventail d’ordonnances permettant d’arrimer les objectifs réparateurs de la LACC aux circonstances factuelles propres à la situation qui lui est présentée. Le juge surveillant dans la présente affaire a agi conformément à ses pouvoirs discrétionnaires et à la LACC en limitant le droit de vote d’un créancier ayant des intentions illégitimes.

Enfin, cette décision ouvre officiellement la porte au controversé financement de litige par un tiers en permettant que ce type d’accord soit utilisé à titre de financement temporaire dans le cadre de procédures de faillite. En l’espèce, l’AFL était le dernier moyen permettant aux créanciers de Bluberi de pouvoir espérer un recouvrement de leurs créances respectives.

Dans le présent contexte économique, difficile pour plusieurs entreprises, il ne serait pas étonnant de voir une augmentation de ce type de financement temporaire.

Pour toute question en matière de faillite, d’insolvabilité et de restructuration, communiquez avec notre équipe de litige commercial ici ou encore avec les auteurs du présent billet :

Me Antoine P. Beaudoin, Associé
Antoine.beaudoin@steinmonast.ca
418 640-4440

Me Caroline Tardif, Avocate
Caroline.tardif@steinmonast.ca
418 640-4458

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