DIFFICULTÉS FINANCIÈRES : QUELLES OPTIONS DE RESTRUCTURATION S’OFFRENT AUX ENTREPRISES?

8 mai 2020

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En cette période d’insécurités diverses, plusieurs dirigeants se questionnent sur le futur de leur entreprise. Devra-elle déclarer faillite? Peut-elle prendre entente avec ses créanciers? Quelle est la différence entre faire cession de ses biens et faire une proposition concordataire? Le présent billet a pour objet d’effectuer un bref survol des mécanismes offerts par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité1 (c la « LFI ») et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies2 (la « LACC »), tout en soulignant les principales différences entre ces deux (2) lois.

En effet, la LFI et la LACC prévoient toutes deux des mécanismes permettant à une entreprise insolvable de restructurer ses affaires notamment en faisant une offre à ses créanciers qui, si ces derniers l’acceptent et que le tribunal l’homologue, la libérera de ses dettes à l’égard de ceux-ci et lui permettra de poursuivre ses opérations sans déclarer faillite.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité

Faillite ou cession de bien

Le but premier de la LFI est la liquidation de l’actif du débiteur via un syndic de faillite au profit des créanciers. Il y aura donc un dessaisissement des biens du débiteur en faveur du syndic de faillite, qui obtiendra alors la saisine des biens du débiteur, à charge d’en faire la liquidation au profit des créanciers3.

La faillite a notamment pour effet de purger les créances du débiteur failli qui sont antérieures à la date où ce dernier s’est placé sous la protection de la loi.

Proposition concordataire

La proposition concordataire, prévue à la LFI, vise à éviter la faillite d’une personne insolvable4, y compris une entreprise, en la libérant de ses dettes.

Pendant la période de restructuration, la personne insolvable bénéficie d’une suspension des procédures judiciaires contre elle ou contre ses biens afin de maintenir un statu quo qui lui permet de mettre en place sa proposition. Dans le cadre de cette procédure, la personne insolvable peut demander au tribunal de constituer des charges pour garantir les obligations envers les personnes qui participent à sa restructuration, résilier certains contrats qui ont un effet négatif sur ses affaires, céder des contrats et même, avec la permission du tribunal, vendre la totalité ou une partie de ses actifs5. La proposition devra être approuvée par les créanciers qui, lors d’une assemblée, pourront voter et approuver la proposition, y demander des amendements ou la rejeter.

La proposition doit ensuite être homologuée par le tribunal qui prendra en considération l’intérêt des créanciers et le comportement de la personne insolvable, ainsi que le respect de certaines obligations imposées par la loi, tel que le paiement des salaires des employés et la contribution à leur régime de retraite, dans certains cas6. Une proposition homologuée permet donc de compromettre des dettes pour éviter une faillite. Tous les créanciers visés sont liés par la proposition et celle-ci prend fin par son exécution, son annulation ou par la faillite de la personne insolvable7. Cette procédure ressemble, pour plusieurs points, à un plan d’arrangement en vertu de la LACC tel qu’expliqué ci-après.

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies

La LACC permet à une compagnie qui éprouve des difficultés financières de proposer un arrangement à ses créanciers afin d’éviter la faillite, la saisie et la liquidation de ses actifs et favoriser ainsi la relance de l’entreprise8. Cette loi a comme avantage de procurer une plus grande souplesse et flexibilité aux entreprises pour procéder à une restructuration sur mesure9. Elle prévoit des mécanismes tels que la création de super-priorités, la possibilité pour la compagnie de résilier des contrats et la survie des conventions collectives pendant la restructuration d’entreprise10. L’arrangement se fait sous la supervision du tribunal et a pour effet de suspendre les recours des créanciers contre la compagnie11. Cette réorganisation doit se faire au bénéfice de tous les créanciers et ceux-ci ont le droit de voter sur le plan d’arrangement proposé12. L’objectif ultime de la loi est de préserver l’existence de la compagnie malgré ses difficultés financières, dans la mesure où il y a une possibilité que celle-ci redevienne rentable, tout en équilibrant les intérêts de toutes les parties, soit la compagnie, ses actionnaires, les créanciers et les employés 13.

Afin de pouvoir se prévaloir de cette loi, les réclamations contre la compagnie doivent être d’un montant supérieur à 5  M$14. Outre les obligations liées au salaire des employés et à leur régime de retraite, le plan doit prévoir le paiement intégral, dans les six (6) mois de l’homologation, de toutes sommes dues lors de la demande initiale quant aux déductions à la source au profit de la Couronne provinciale ou fédérale. Une particularité de la LACC est qu’elle laisse à la compagnie la discrétion de soumettre un arrangement à la seule catégorie de créanciers qui risquent de faire obstacle à la continuation des opérations, de causer sa faillite ou sa liquidation. Tous les créanciers d’une même catégorie doivent être traités également, mais la compagnie peut offrir un traitement différent aux diverses catégories de créanciers qu’elle a créées15.

Similitudes et différences entre les deux lois

Les outils de restructuration mis à la disposition d’une compagnie qui se qualifie de personne insolvable sont quasi identiques dans la LFI et dans la LACC. À l’exception du critère de la LACC exigeant de la compagnie débitrice un passif supérieur à 5 M$, une personne morale insolvable peut décider d’opter pour une loi ou l’autre et bénéficier des mêmes mécanismes16.

Certaines différences s’imposent toutefois et pourraient avoir un impact sur le choix du régime par la personne insolvable. D’abord, la durée de l’avis d’intention de déposer une proposition sous la LFI ne peut jamais dépasser six (6) mois, tandis que sous la LACC, il n’existe aucun délai, permettant donc à une personne insolvable d’obtenir une prorogation de la suspension des procédures à son endroit aussi souvent que cela est nécessaire et justifié. Dans le cas de certaines grandes entreprises, ce délai limitatif de six (6) mois sous la LFI pourrait alors s’avérer insuffisant compte tenu de la complexité de la restructuration envisagée17.

On note également que la LFI ne traite pas les fournisseurs essentiels de la même façon que la LACC. Contrairement à la LACC, la LFI ne prévoit pas la création par le tribunal d’une charge en faveur des fournisseurs essentiels pour les services à être rendus par ces derniers. Cet élément peut présenter un intérêt pour les grandes entreprises qui auraient besoin d’une telle charge pour s’assurer de la collaboration de fournisseurs essentiels lors de la restructuration18.

Finalement, les juges n’ont pas la même latitude sous la LFI que sous la LACC. La LACC permet une plus grande souplesse au tribunal et les personnes insolvables envisageant des solutions plus créatives pourraient privilégier la flexibilité supplémentaire qu’accorde la LACC19.

Conclusion

Sachez que le Surintendant des faillites a demandé à la chambre commerciale de la Cour supérieure de rendre une ordonnance omnibus afin de permettre et assurer plus de flexibilité dans l’administration des dossiers d’insolvabilité existants ou à être ouverts jusqu’au 30 juin 2020 dans la province de Québec en raison de la Covid-19. Le Surintendant des faillites a présenté une semblable demande dans chacune des provinces canadiennes afin d’y obtenir des ordonnances omnibus semblables et lui permettre d’arrimer de façon cohérente et constante ce qu’il recherche sur tout le territoire canadien. C’est ainsi que le 30 avril dernier, la Cour supérieure rendait une telle ordonnance, laquelle a prolongé la très grande majorité des délais prévus dans la LFI20.

Finalement, chaque cas demeure un cas d’espèce, mais sachez que nous sommes disponibles afin de vous accompagner et vous guider dans la restructuration de votre entreprise.

Pour toute question en matière de faillite, d’insolvabilité et de restructuration, adressez-vous aux membres de notre équipe de litige commercial ici ou aux auteurs du présent billet.

Antoine P. Beaudoin, Associé
antoine.beaudoin@steinmonast.ca
418 640-4440

Isabelle Germain, Associée
isabelle.germain@steinmonast.ca
418 640-4447

Caroline Tardif, Avocate
caroline.tardif@steinmonast.ca
418 640-4458


1 L.R.C. (1985), ch. B-3.
2 L.R.C. (1985), ch. C-36.
3 Antoine LEDUC, « Notion fondamentales, partage des compétences législatives et législation applicable », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Faillite, insolvabilité et restructuration, fasc. 1, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 22.
4  Selon la définition de « Personne insolvable » de l’article 2 LFI
5  Jean LEGAULT et Jonathan WARIN, « Proposition concordataire », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Faillite, insolvabilité et restructuration, fasc. 12, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 64.
6 Id., par. 102, 103 et 129.
7 Id., par. 135, 137 et 140.
8 Bernard BOUCHER, « Procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Faillite, insolvabilité et restructuration, fasc. 14, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 1.
9 Id.
10Id.
11 Id., par. 2.
12 Id.
13 Id., par. 2 et 3.
14 Id., par. 4.
15 Bernard BOUCHER, « Procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Faillite, insolvabilité et restructuration, fasc. 14, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 71 et 72.
16 Jean LEGAULT et Jonathan WARIN, « Proposition concordataire », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Faillite, insolvabilité et restructuration, fasc. 12, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, par. 146.
17 Id., par. 147.
18 Id.
19 Id.
20 Dans l’affaire de la proposition de consommateur de Michel St-Pierre, (C.S. 500-11-058237-203, 2020-04-30), j. Gouin.

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