Délai pour déposer une plainte disciplinaire : la Cour d’appel réitère les principes applicables

15 octobre 2020

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Champagne c. Colas, 2020 QCCA 1182

Dans un arrêt rendu le 15 septembre 2020, la Cour d’appel précise qu’une plainte disciplinaire, bien qu’elle ne soit soumise à aucun délai de prescription, doit être déposée dans un délai raisonnable qui ne porte pas préjudice au professionnel visé.

L’historique des procédures débute le 19 décembre 2012 lorsque la syndique (« Syndique ») de la Chambre de la sécurité financière (« CSF ») dépose une plainte contre M. Charles Colas (« Colas »), conseiller en sécurité financière et planificateur financier. On lui reproche la commission d’actes non autorisés en vertu de sa certification, qui se sont déroulés entre 1999 et 2004 mais qui n’ont été signalés à la Syndique qu’à la fin de l’année 2011 par l’Autorité des marchés financiers (« AMF »). Une période de 8 à 13 ans s’est donc écoulée entre les événements reprochés et le dépôt de la plainte disciplinaire.

En première instance, le Comité de discipline de la CSF (« Comité ») déclare Colas coupable sur tous les chefs d’accusation et rejette un de ses moyens de défense fondé sur les délais écoulés entre les gestes reprochés et le dépôt de la plainte, argument soulevé afin d’obtenir l’arrêt des procédures1. Colas invoquait que la mémoire défaillante des témoins de la Syndique sur des éléments lui permettant de se défendre, lui causait un préjudice grave et sérieux. Écartant cet argument, le Comité répond que c’est plutôt la Syndique qui risquait de subir un préjudice si elle n’était pas en mesure de rencontrer son fardeau de preuve et donc, que l’arrêt des procédures n’était pas justifié.

Colas a interjeté appel de la décision du Comité devant la Cour du Québec2 qui devait déterminer si la décision du Comité était raisonnable3.

En référant à l’arrêt Blencoe4 de la Cour suprême du Canada, la Cour du Québec précise qu’il faut déterminer « si un préjudice grave découle de l’incapacité de M. Colas d’assumer une défense pleine et entière en raison du délai survenu depuis la commission des infractions »5. Concluant que le Comité n’a pas analysé correctement cette question, le tribunal a statué que la possibilité que la mémoire imprécise des témoins ait également une incidence pour la Syndique n’empêche pas que cet argument puisse être invoqué par Colas pour obtenir le rejet de la plainte, et ce, même s’il n’y a pas de prescription en matière déontologique.

Après avoir rappelé que tout le contexte de l’affaire doit être analysé, la Cour conclut que la décision du Comité prise dans son ensemble n’est pas raisonnable, que la preuve retenue n’était pas suffisante pour entraîner la responsabilité déontologique de Colas et casse le jugement de culpabilité. Elle retient notamment que le Comité a eu tort de mettre de côté le long délai écoulé depuis les gestes reprochés en considérant uniquement l’impact pour la Syndique, alors qu’il est difficile pour Colas de démontrer en 2013 les faits survenus en 1999, 2001 ou 2004.

La Syndique s’est par la suite adressée à la Cour d’appel qui a rejeté les moyens qu’elle a invoqués et confirmé le jugement de la Cour du Québec6.

La Cour d’appel constate que le juge de la Cour du Québec a identifié des erreurs de droit justifiant la réformation de la décision du Comité sur la question du délai et conclut que :

  1. Le fait que la Syndique ait pu être désavantagée par le délai qu’invoquait Colas n’a rien à voir avec le préjudice potentiel de ce dernier7;
  2. Le préjudice infligé à une partie n’est pas compensé par un préjudice également infligé à l’autre partie8;
  3. L’absence de prescription en matière déontologique ne peut en soi neutraliser un argument fondé sur un tel délai s’il est excessivement long et préjudiciable9;
  4. Le Comité semble s’appuyer sur le fait que la plainte de décembre 2012 a été déposée avec célérité puisque le signalement de l’AMF n’avait été effectué qu’environ un an avant. Cette circonstance peut expliquer le long délai entre la plainte et les faits reprochés, mais elle ne saurait le justifier10.

Par cet arrêt, la Cour d’appel réitère donc l’importance en matière disciplinaire de la question du délai écoulé entre l’infraction reprochée et le moment où la plainte est déposée, et ce, malgré l’absence de prescription. En effet, ce délai peut justifier l’arrêt des procédures lorsqu’il entraîne un préjudice pour la personne visée par la plainte.

Pour toute question à ce sujet, adressez-vous aux membres de notre équipe de litige en assurance ici, en litige civil et commercial ici ou aux auteures du présent article.

Carolane Gélinas, Avocate
carolane.gelinas@steinmonast.ca
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Émilie Bilodeau, Associée
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418-640-4435


1 Champagne c. Colas, 2015 QCCDCSF 35.
Colas c. Champagne, 2018 QCCQ 6092.
3 Dunsmuir c, Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47.
4 Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307.
5 Colas c. Champagne, 2018 QCCQ 6092, par. 43.
6 En appliquant les nouveaux critères développés récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.
7 Champagne c. Colas, 2020 QCCA 1182, par. 16.
8 Idem.
9 Idem.
10 Idem, par. 17.

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