Déclarer un homicide lors de la vente d’un immeuble: est-ce obligatoire ?

5 novembre 2018

Lemieux_Gilles-Etienne_0496_C dionne-karine Par : Me Gilles-Étienne Lemieux et Me Karine Dionne

Lors d’une transaction immobilière, les acheteurs et vendeurs sont tenus par les exigences de la bonne foi et aux obligations réciproques d’informer et de s’informer. L’acheteur devra faire preuve de prudence et de diligence alors que le vendeur devra agir de manière transparente relativement à toute situation dont il a connaissance qui pourrait affecter la valeur de l’immeuble et le consentement de son acheteur. Mais jusqu’où va l’obligation de divulgation du vendeur ? La survenance d’un décès, d’un suicide ou d’un homicide dans un immeuble l’oblige-t-il à en tenir informé son acheteur potentiel ? Le cas échéant, quelles en sont les limites ?

À quelques reprises, les tribunaux ont eu à décider si l’omission de déclarer la survenance d’un décès, d’un suicide, d’un homicide ou de toute autre mort violente dans un immeuble était constitutive d’une faute justifiant l’attribution de dommages et intérêts.

De manière générale, l’obligation précontractuelle d’information du vendeur implique qu’on ne peut se contenter de répondre honnêtement aux questions de l’acheteur, mais qu’on doit prendre l’initiative de lui divulguer tous les faits qui sont normalement susceptibles d’influencer son consentement de façon importante.

Toutefois, les tribunaux ont reconnu que les réticences généralement retenues comme fautives ont habituellement trait au titre, à la qualité ou à l’usage de l’immeuble (ex : infiltrations d’eau, fissures dans les fondations, incendies, etc.) et non pas à des considérations subjectives de l’acheteur telles que la survenance d’un homicide dans son enceinte. Suivant cette tendance, il appartiendrait plutôt à l’acheteur de poser des questions spécifiques sur les phobies, craintes ou autres considérations subjectives qui peuvent, à ses yeux, affecter la pleine jouissance de l’immeuble. Si la question lui est posée, le vendeur aura une obligation accrue de divulgation complète et devra nécessairement révéler qu’un homicide y est déjà survenu. Par contre, cette obligation de divulgation d’un homicide ne s’applique que si celui-ci est à la connaissance du vendeur et le fardeau d’en faire la preuve appartiendra nécessairement à l’acheteur. Dans ce cas, si le vendeur sait qu’un homicide est déjà survenu dans l’immeuble, mais prend des mesures actives pour cacher cette information potentiellement préjudiciable en émettant des déclarations fausses ou trompeuses, en tentant d’éluder la question ou en omettant tout simplement d’y répondre, cela pourrait être constitutif d’une faute et engager sa responsabilité face à son acheteur.

Nonobstant ce qui précède, depuis 2012, l’Organisme d’autorégulation des courtiers immobiliers du Québec (OACIQ) a déterminé l’importance de déclarer la survenance d’un suicide ou d’une mort violente dans un immeuble en ajoutant à son modèle de Déclaration du vendeur la clause D13.8 : À votre connaissance, y a-t-il déjà eu un suicide ou une mort violente dans l’immeuble ? D’emblée, il devient dès lors très difficile pour le vendeur d’éviter ou de refuser d’y répondre. De plus, le courtier immobilier aura, quant à lui, une obligation légale et déontologique d’en informer tout acheteur potentiel, sans quoi il risque des sanctions disciplinaires conformément au Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité. De plus, les sites de vente immobilière sans agent tels que duProprio et Publimaison ont également inclus à leur modèle de Déclaration du vendeur une clause similaire à la clause D13.8 ce qui a eu pour effet d’augmenter la portée de l’obligation de divulgation à un important volume de transactions faites sans courtier immobilier.

En 2013, dans l’affaire Fortin c. Mercier (2013 QCCS 5890), les tribunaux ont également ouvert la porte à considérer la survenance d’un suicide ou d’une mort violente comme étant un facteur diminuant objectivement la valeur d’un immeuble et au caractère obligatoire de sa divulgation.

Or, bien qu’en théorie tout porte à croire qu’un vendeur n’a pas d’obligation directe de révéler qu’un homicide est survenu dans un immeuble, sauf s’il est sondé d’y répondre, la pratique de l’industrie tend à une toute autre conclusion. Dès que la vente se fait par l’entremise d’un courtier immobilier ou d’un site de vente immobilière sans agent, le vendeur aura nécessairement l’obligation de révéler la survenance antérieure d’un homicide. Pour ce qui est des autres cas de vente sans intermédiaire, nous estimons que la prudence est de mise et qu’un vendeur ne devrait pas tenter de cacher ou d’éviter de déclarer la survenance d’un homicide malgré l’absence d’obligation légale. Les conséquences pourraient être encore plus importantes que le risque de perdre une vente potentielle. Ces conséquences s’étendent aux inconvénients inhérents à toute procédure judiciaire, à une demande en diminution de prix de vente, à une demande d’annulation de la vente et possiblement à une condamnation en dommages pour les coûts que l’acheteur a dû assumer pour les fins de la transaction immobilière et/ou en dommages moraux.

Finalement, vu le flou jurisprudentiel qui subsiste, la prudence et la transparence du vendeur supposent qu’il ne devrait pas restreindre sa déclaration qu’aux cas d’homicides  récents ou à ceux qui lui semblent déterminants aux yeux d’un acheteur. Après combien d’années un homicide cesse de suivre l’immeuble qui en a été la scène ? La déclaration du vendeur doit-elle se limiter qu’aux parties principales de l’immeuble ? S’étend-elle aux bâtiments accessoires, aux parties communes et au terrain extérieur ? Quoi faire dans un contexte de copropriété ? De fait, tant de questions demeurent auxquelles les tribunaux n’ont toujours pas répondu.

Texte publié le  5 novembre 2018 pour l’Association des Familles de Personnes Assassinées ou Disparues dans le Bulletin AFPAD Express de novembre 2018.

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