La Cour suprême du Canada reconnaît l’obligation de bonne foi dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire contractuel.

20 avril 2021

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Dans l’arrêt Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage1 (l’« affaire Wastech »), la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») a reconnu l’obligation générale de bonne foi dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire contractuel. Cette décision s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Bhasin2.

Les faits

En 1996, Wastech Services Ltd. (« Wastech ») a conclu un contrat de services de 20 ans avec Greater Vancouver Sewerage and Drainage District (« Metro ») pour le transport et l’élimination de déchets. Wastech devait transporter des déchets vers trois sites d’élimination et d’enfouissement, soit Vancouver, Burnaby et Cache Creek.

Le contrat intervenu entre les parties prévoyait un tarif plus bas pour le transport de courte distance (Vancouver et Burnaby) et un tarif plus élevé pour le transport de longue distance (Cache Creek). Le contrat prévoyait également le « pouvoir discrétionnaire absolu » de Métro de répartir les déchets entre les différents sites.

En ce qui concerne la rémunération de Wastech, les parties avaient convenu de cibler un ratio de bénéfice d’exploitation de 11 % (le « ratio cible »). Il est cependant important de noter Métro ne garantissait pas que Wastech atteindrait le ratio cible. Les parties étant conscientes que des scénarios pourraient empêcher Wastech de l’atteindre, elles ont par ailleurs convenu de mettre en place une procédure d’ajustement permettant, ultimement, à Wastech de réaliser un bénéfice au terme de cette entente.

En 2011, Metro a modifié la répartition des déchets et en a fait transporter de plus grandes quantités aux sites de Vancouver et Burnaby. Cette nouvelle répartition a réduit substantiellement la rémunération de Wastech, qui exploitait alors à perte. Après l’application des clauses d’ajustements, Wastech tirait un bénéfice d’exploitation de 4 %, soit bien en deçà du ratio cible de 11 %.

Wastech a donc intenté une procédure d’arbitrage, soutenant que la conduite de Metro violait le contrat en ne tenant pas compte des intérêts contractuels légitimes de Wastech, contrevenant ainsi au principe directeur de la bonne foi reconnu dans Bhasin.

Les développements du droit

La Cour suprême reconnaît l’existence d’une obligation de bonne foi dans l’exercice de tout pouvoir discrétionnaire contractuel. Un pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon raisonnable, c’est-à-dire s’inscrire dans un éventail d’issues raisonnables.

La Cour suprême a d’abord précisé que le concept d’exercice « raisonnable » d’un pouvoir discrétionnaire ne requiert pas l’examen en profondeur des motivations d’une partie. Elle a ensuite reconnu qu’il n’est pas non plus question de savoir si la décision est sage au niveau commercial. De surcroît, les parties demeurent libres d’agir selon leurs propres intérêts, sans avoir à subordonner leurs intérêts à ceux de leurs cocontractants. À titre d’exemple, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de façon abusive ou arbitraire ne correspond pas un exercice « raisonnable » et constitue une violation de l’obligation de bonne foi.

Par ailleurs, selon la Cour suprême, les parties à un contrat ne peuvent exclure l’obligation d’exercer un pouvoir de bonne foi. La seule limite inhérente d’un pouvoir discrétionnaire absolu revient donc à l’exercer de bonne foi selon les objectifs du contrat. Par conséquent, lorsqu’un contrat dévoile une intention claire d’accorder un pouvoir discrétionnaire, les tribunaux doivent donner effet à cette intention. À défaut d’avoir clairement indiqué l’objectif du pouvoir discrétionnaire, les tribunaux peuvent l’interpréter en examinant le contrat dans son ensemble.

En l’espèce, la Cour suprême a confirmé que Metro a exercé son pouvoir discrétionnaire raisonnablement, sans aucune tromperie ni conduite arbitraire. La Cour a procédé à une analyse du contrat en accordant une attention particulière aux attendus et a examiné les négociations précontractuelles pour interpréter l’objectif du pouvoir discrétionnaire absolu. Les juges ont ainsi rejeté l’argument de Wastech selon lequel des obligations additionnelles ou plus larges devraient s’appliquer considérant les aspects relationnels à long terme du contrat.

Finalement, la Cour suprême a tranché que le contrat ne contenait pas de garantie selon laquelle Wastech atteindrait le ratio cible. Bien au contraire, les clauses d’ajustements démontraient assurément que les parties comprenaient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro pouvait provoquer une situation où le ratio cible ne serait pas atteint. Bien que ce scénario ait été peu probable à la signature du contrat, les parties ont néanmoins déterminé que ce serait Wastech qui assumerait ce risque. Sur ce point, la Cour suprême est catégorique : l’obligation de bonne foi ne permet pas à une partie d’obtenir un avantage qui n’a pas été négocié et qu’elle a abandonné lors des négociations précontractuelles.

Les conseils pratiques

Rédigez avec précision les objectifs du pouvoir discrétionnaire. Le préambule et les attendus peuvent constituer une preuve de l’objectif visé par le contrat dans son ensemble ou spécifiquement sur une clause portant sur le pouvoir discrétionnaire. Les objectifs du contrat détermineront l’éventail des décisions qui seront jugées raisonnables.

Portez attention aux limites du pouvoir discrétionnaire contractuel. Il est particulièrement important de porter attention à la nature et aux limites du pouvoir discrétionnaire. Un pouvoir discrétionnaire, même absolu, doit néanmoins s’interpréter en fonction des objectifs du contrat et respecter les exigences de l’obligation de bonne foi. Lorsqu’elles exercent un pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’un contrat existant, les parties devraient examiner le caractère raisonnable de cet exercice et comment il pourrait être évalué par un tribunal, le cas échéant.

Gardez des traces des négociations précontractuelles. Dans l’affaire Wastech, les juges majoritaires ont non seulement examiné les conditions du contrat, mais aussi les preuves des négociations précontractuelles des parties, malgré la présence d’une clause d’intégralité de l’entente. Il est donc important de conserver des traces du contenu et des échanges ayant précédé la finalisation de l’entente, car elles peuvent s’avérer pertinentes, même des années plus tard.

Pour plus d’informations sur le sujet, communiquez avec un membre de notre équipe ici ou encore avec les auteurs du présent billet :

Me Louis Mazurette, associé
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418-640-4443

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Les auteurs remercient M. Alexandre St-Pierre Marcoux, stagiaire en droit, pour son apport à la rédaction du présent billet.


1 Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7.
2 Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71.

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