Coup de main aux pompiers : sommes-nous à l’abri d’un recours en cas de faute?

18 février 2021

Pexels: Tim Eiden

Depuis plusieurs années déjà, il est reconnu par la jurisprudence que les membres des différents services de sécurité incendie du Québec peuvent bénéficier d’une exonération de responsabilité pour les dommages pouvant résulter de leur intervention lors d’un incendie1. Les villes et municipalités sont également visées par cette exonération dans la mesure où elles ont adopté un plan de mise en œuvre du schéma de couverture de risques et que celui-ci a été appliqué de façon conforme lors de l’intervention des pompiers2. Mais qu’en est-il d’un entrepreneur ou d’un fournisseur externe mandaté pour fournir un service aux pompiers?

Dans l’arrêt récent J. Noël Francoeur inc. c. Industrielle Alliance, assurance auto et habitation inc.3, la Cour d’appel a confirmé un jugement de la Cour du Québec4 qui statue sur cette question. Dans cette affaire, un entrepreneur en excavation a été mandaté par les pompiers afin de démolir ce qui restait d’un garage détruit par les flammes. À l’aide d’une pelle mécanique, l’entrepreneur devait remuer les débris pour permettre aux pompiers de procéder à l’extinction complète de l’incendie. Les manœuvres réalisées par l’opérateur de la pelle mécanique ont causé l’effondrement d’un mur du garage et le renversement d’un réservoir d’huile positionné le long de ce mur. Des travaux de décontamination et de réhabilitation du terrain ont été rendus nécessaires suite au déversement. L’assureur intimé a indemnisé son assuré, le propriétaire du garage incendié, et, subrogé dans ses droits, recherche maintenant la responsabilité de l’entrepreneur.

Il est établi que l’opérateur de la pelle mécanique a commis une faute en ne faisant rien pour prévenir le risque de renversement et de contamination du sol, faisant défaut d’agir de manière prudente et prévoyante. Les pompiers l’avaient informé de la présence de réservoirs dès son arrivée sur les lieux, mais il a omis de vérifier leur emplacement et leur contenu.

L’entrepreneur soutient toutefois qu’il bénéficie de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 47 de la Loi sur la sécurité incendie (« LSI »). La Cour est donc amenée à interpréter cette disposition législative sous un angle jamais analysé auparavant, à savoir si un entrepreneur qui a participé à l’extinction d’un incendie sur la base d’un contrat de services peut bénéficier de l’exonération. Pour ce faire, la juge procède à l’interprétation non seulement de l’article 47 LSI, mais également des articles 40 et 42 LSI qui prévoient que les pompiers peuvent accepter ou requérir l’aide de toute personne en mesure de les assister lorsqu’ils ne suffisent pas à la tâche. Cette personne bénéficiera de l’exonération de responsabilité et pourra par la suite demander une compensation pour le service rendu.

Selon le jugement de première instance, la notion d’aide prévue dans la LSI revêt un caractère bénévole et gratuit, le législateur ayant voulu compenser, défendre et protéger la personne qui agit bénévolement en assistant les pompiers5. En l’espèce, l’intervention de l’opérateur de la pelle mécanique ne répond pas à cette définition puisqu’il a été dépêché sur les lieux contre rémunération, suivant l’application d’un contrat de services. Par conséquent, l’entrepreneur ne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 47 LSI et doit être tenu responsable des dommages causés par sa faute6.

La Cour d’appel confirme la décision de première instance en précisant et rectifiant certains éléments :

  • La notion d’urgence ne doit pas être une condition essentielle à l’application de l’exonération de l’article 47 LSI7;
  • Il ne faut pas conclure de l’analyse qu’un entrepreneur ne pourra jamais bénéficier de l’exonération de responsabilité;
  • « Ce n’est ni la distinction entre personne physique ou personne morale, ni celle entre le statut d’entreprise, celui d’entrepreneur ou celui de particulier qui n’est pas un entrepreneur, qui sont déterminantes – seuls comptent la gratuité ou le caractère rémunérateur de l’intervention offerte ou requise pour aider les pompier»8 et;
  • L’exonération vise une aide fournie gratuitement, et non une intervention rémunérée aux termes d’un contrat de services.

Cette décision confirme donc une possibilité de recours contre les personnes et entreprises qui interviennent lors d’un incendie moyennant rémunération convenue au départ.

Pour toute question concernant cet article, adressez-vous aux membres de notre équipe de litige en assurance ici, en litige civil et commercial ici ou aux auteures du présent billet.

Jessica Gauthier, Associée
jessica.gauthier@steinmonast.ca
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Carolane Gélinas, Avocate
carolane.gelinas@steinmonast.ca
418-640-4415


 

1 Article 47 alinéa 1 de la Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S-3.4; Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. Ville de St-Jérôme, 2011 QCCS 1464, confirmé en appel, 2013 QCCA 1107.
2 Article 47 alinéa 2 LSI.
3 J. Noël Francoeur inc. c. Industrielle Alliance, assurance auto et habitation inc., 2020 QCCA 1676.
4 Industrielle Alliance, assurance auto et habitation inc. c. J. Noël Francoeur inc., 2018 QCCQ 7511.
5 Industrielle Alliance, assurance auto et habitation inc. c. J. Noël Francoeur inc., précité note 4, par. 40.
6 Idem, par. 50.
7 J. Noël Francoeur inc. c. Industrielle Alliance, assurance auto et habitation inc., précité note 3, par. 17.
8 Idem, par. 25 et 26.

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