Congédiement déguisé : La Cour suprême se prononce

3 novembre 2020

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Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd., 2020 CSC 26

Le 9 octobre 2020, la Cour suprême du Canada s’est prononcée unanimement au sujet d’une affaire particulière issue de la Nouvelle-Écosse qui porte sur les réparations pouvant être demandées par un salarié qui s’estime victime d’un congédiement déguisé. Cette affaire a également donné l’occasion à la Cour de revoir certains principes importants en matière de congédiement.

Les faits

Dans cette affaire, David Matthews (« Matthews »), un chimiste d’expérience à l’emploi de Ocean Nutrition Canada Ltd. (« Ocean »), a joué un rôle important au sein de l’entreprise jusqu’à l’embauche d’un nouveau directeur de l’exploitation avec qui les relations furent difficiles. Matthews est alors marginalisé, ses responsabilités sont réduites et son avenir au sein de l’entreprise devient très incertain.

Ocean avait mis en place un régime d’intéressement à long terme (« RILT ») afin de récompenser certains cadres supérieurs dont Matthews. Il était susceptible de toucher une prime importante dans l’éventualité où l’entreprise était vendue. Toutefois, avant que la vente ne soit conclue, Matthews accepta un poste chez un autre employeur. Or, environ 13 mois après son départ, Ocean fut finalement vendue et puisque Matthews n’était plus à son emploi, elle refusa de lui verser ladite prime.

Matthews intenta des procédures contre Ocean alléguant avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé, que l’employeur avait agi de manière abusive et que le congédiement avait été fait de mauvaise foi.

Les décisions des instances inférieures

En première instance, le juge conclut que Matthews a effectivement été victime d’un congédiement déguisé en application de l’arrêt de principe rendu dans l’affaire Potter1, qu’il a notamment droit à un préavis de fin d’emploi d’une durée de 15 mois et a droit au paiement de la prime prévue par le RILT.

La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a confirmé le congédiement déguisé ainsi que la durée du préavis, mais les juges majoritaires ont plutôt conclu que Matthews n’avait pas droit au paiement de la prime prévue au RILT.

L’arrêt de la Cour suprême

Le juge Kasirer, qui rédige les motifs de la Cour, rappelle que le fait que le salarié ait été congédié de manière déguisée et qu’il ait droit à un préavis de fin d’emploi ne sont plus des éléments en litige devant la Cour suprême. Il souligne donc qu’il s’agit plutôt de déterminer quelles sont les réparations auxquelles le demandeur a droit, et plus particulièrement, de déterminer si Matthews peut toucher la prime du RILT.

La Cour fait également quelques remarques importantes à propos du congédiement, notamment que :

  • L’arrêt ne remet pas en doute le droit d’un employeur de congédier un salarié sans cause juste et suffisante lorsqu’il lui donne en contrepartie un préavis raisonnable;2
  • Lorsque l’employeur ne s’acquitte pas de cette obligation, ou donne un préavis qui est insuffisant, cela peut donner lieu au paiement de dommages-intérêts compensant l’absence ou l’insuffisance du préavis;
  • Lorsqu’il s’avère que l’employeur a contrevenu à son obligation d’agir de bonne foi dans la manière dont il a effectué le congédiement, cette faute ne constituera pas un critère servant à évaluer la durée du préavis, mais il s’agira plutôt une faute contractuelle distincte qui devra être analysée de manière indépendante.3

Le juge Kasirer poursuit en soulignant que « [d]ans la mesure où M. Matthews a fait l’objet d’un congédiement déguisé sans préavis, il avait droit à des dommages‑intérêts correspondant au salaire, y compris les primes, qu’il aurait touché durant la période de préavis »4 et que ces dommages « ont pour objet de rétablir l’employé dans la situation où il se serait trouvé s’il avait continué de travailler jusqu’à la fin de la période de préavis ».5

La Cour conclut que puisque Matthews aurait reçu la prime au cours du préavis qui aurait dû lui être donné par l’employeur, il avait le droit de recevoir le montant de la prime à titre de dommages-intérêts. La Cour indique également que le RILT, compte tenu de sa teneur, n’écartait pas non plus le droit de common law de Matthews à bénéficier de la prime dans le contexte de son congédiement. L’arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a donc été cassé et le jugement de première instance fut rétabli.

En terminant, il importe de souligner qu’il s’agit d’un arrêt relevant de la common law et qu’il ne fait pas autorité d’emblée au Québec. Cependant, la Cour suprême a déjà souligné dans les arrêts Farber6 et Potter7 qu’il demeure intéressant de se référer à la jurisprudence de common law en droit québécois en matière de congédiement déguisé. Il y a donc lieu de croire que la Cour suprême du Canada serait arrivée au même résultat si le litige avait pris naissance au Québec.

Pour toute question à ce sujet, adressez-vous aux membres de notre équipe de droit du travail ici ou aux auteurs du présent billet.

Me André Johnson, Associé
andre.johnson@steinmonast.ca
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xavier.parenteau@steinmonast.ca
418 649-4015


1 Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10.
2 Il faut noter que la durée du préavis jugée « raisonnable » peut s’avérer litigieuse dans bien des cas.
3 Dans ce litige, il semble que l’employeur ait effectivement eu un comportement répréhensible envers Matthews dans la manière dont il a été congédié, mais celui-ci ne réclamait plus, en appel, de dommages susceptibles d’être compensés en raison de ce comportement fautif.
4  Paragraphe 49.
5 Paragraphe 59.
6 Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 RCS 846, par. 35.
7 Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, par. 90.

 

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