Commentaire sur la décision CNH Industrial Canada ltée c. Claude Joyal inc. – L’illustration de la nécessité d’établir un préjudice découlant de l’absence de transmission d’un avis de dénonciation d’un vice caché pour empêcher un recours de cette nature

18 septembre 2019

Par Me Vincent Lemay, avocat

Résumé

L’auteur commente cette décision dans laquelle la Cour d’appel confirme le jugement de première instance ayant retenu la responsabilité du fabricant malgré l’absence d’avis de dénonciation d’un vice caché et l’impossibilité pour ce dernier d’inspecter le bien. La Cour conclut en effet à l’absence de préjudice pour le fabricant, rappelant que le préjudice doit être réel et non purement théorique.

INTRODUCTION

L’arrêt Joyal 1, qui a été rendu en 2014, a fait couler beaucoup d’encre alors que la Cour d’appel énonçait que l’absence de transmission d’un avis de dénonciation d’un vice caché n’entraînait pas automatiquement le rejet d’un recours de cette nature et qu’il appartenait plutôt au juge du fond d’apprécier les conséquences d’un tel défaut. Maintenant cinq ans plus tard, voilà que la Cour d’appel vient de rendre jugement sur le fond de l’affaire, concluant que l’absence de dénonciation n’avait pas, dans les circonstances de cette affaire, causé de préjudice au fabricant, si bien qu’elle l’a condamné malgré l’absence d’avis de dénonciation à son égard et l’impossibilité pour ce dernier d’inspecter le bien. Il s’agit de la décision CNH Industrial Canada ltée c. Claude Joyal inc. 2.

I– LES FAITS

Les faits de cette affaire remontent à 2006, alors que la Ferme G. & L. Philie s.e.n.c. (« Philie ») achète auprès de Claude Joyal inc. (« Joyal ») une moissonneusebatteuse, laquelle avait été fabriquée par CNH Industrial Canada ltée (« CNH »). Environ deux ans plus tard, la moissonneuse-batteuse en question est complètement détruite après s’être enflammée pour une raison qui demeurera inconnue. Philie réclame alors une indemnité d’assurance à son assureur qui, après l’avoir indemnisée, est subrogé dans ses droits.

Joyal est rapidement informée des circonstances entourant l’incendie et entrepose d’ailleurs la carcasse de la moissonneuse-batteuse à sa succursale durant plusieurs mois. Or, et bien qu’elle reçoive un avis de dénonciation d’un vice caché et une mise en demeure de l’assureur de Philie, elle n’en informe pas CNH 3.

Après que Joyal et l’assureur de Philie eurent réalisé une expertise sur la moissonneuse-batteuse, celle-ci est démantelée. Quelques mois après le démantèlement de la moissonneuse-batteuse, l’assureur de Philie entreprend un recours judiciaire contre Joyal, s’appuyant sur la garantie de qualité prévue aux articles 1726 et suivants du Code civil du Québec. Joyal entreprend alors un recours en garantie à l’encontre du fabricant, CNH.

CNH rétorque aussitôt avec une demande en irrecevabilité, alléguant que l’absence d’avis de dénonciation et l’impossibilité d’examiner le bien rendaient le recours irrecevable à son égard. Après que la Cour supérieure 4 eut retenu les prétentions de CNH, la Cour d’appel a infirmé le jugement et a rejeté le moyen d’irrecevabilité au terme de ce qui est devenu un arrêt de principe, en l’occurrence l’arrêt Joyal 5. Pour l’essentiel, la Cour d’appel a conclu que « l’appréciation des conséquences d’un défaut de dénonciation ne peut que relever du juge qui entendra la preuve » 6 et a ainsi référé la question au juge du fond.

Le dossier a donc été réacheminé à la Cour supérieure pour être entendu au mérite.

II– LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE

Au terme d’un procès de quatre jours, la Cour supérieure a fait droit au recours subrogatoire de l’assureur de Philie à l’encontre de Joyal 7. De fait, appliquant la présomption énoncée à l’article 1729 C.c.Q., la Cour a conclu que la détérioration prématurée de la moissonneuse-batteuse permettait de faire présumer l’existence du vice au moment de la vente.

La Cour supérieure a également fait droit au recours en garantie de Joyal à l’encontre de CNH, concluant que l’absence d’avis de dénonciation et l’impossibilité d’examiner la moissonneuse-batteuse ne lui avaient pas causé de préjudice. CNH a interjeté appel de cette décision, ce qui a donné lieu à ce qui risque d’être considéré comme la « suite » de l’arrêt Joyal.

III– LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL

La Cour d’appel a maintenu le jugement de première instance, confirmant ainsi la condamnation de CNH malgré l’absence d’avis de dénonciation à son égard. Avant d’évaluer les circonstances propres à cette affaire, la Cour d’appel a réitéré les principes énoncés cinq ans plus tôt eu égard à l’exigence prévue à l’article 1739 C.c.Q. de dénoncer le vice. Plus particulièrement, la Cour d’appel a énoncé que :

  • L’objectif de la dénonciation prévue à l’article 1739 du Code civil du Québec est de « permettre au vendeur de constater le vice, d’examiner la preuve et de procéder aux réparations en limitant les coûts » 8 ;
  • La transmission de l’avis de dénonciation est considérée comme une condition de fond à l’exercice d’un recours basé sur la garantie de qualité 9 ;
  • Le défaut de transmettre un avis de dénonciation entraînera généralement le rejet de la demande 10, bien que cela ne soit pas automatique 11 ;
  • Les conséquences du défaut de dénonciation « doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit, afin de justifier l’irrecevabilité du recours » 12 ;
  • Conclure autrement signifierait que le vendeur échapperait à sa responsabilité simplement parce qu’il n’a pas été avisé du vice même lorsque l’absence de
    dénonciation ne lui cause aucun préjudice 13 ;
  • Il appartient au juge du fond d’apprécier les conséquences du défaut de dénonciation à la lumière de la preuve afin de déterminer si le vendeur ou le fabricant subit un préjudice réel de l’absence de dénonciation 14 ;

Une fois ces principes exposés, la Cour d’appel a conclu que c’est à bon droit que la juge de première instance a refusé de rejeter le recours en garantie sur la seule base de l’absence d’avis de dénonciation, ajoutant qu’il lui appartenait de déterminer si cette omission avait « causé un préjudice réel et non purement théorique » 15 à CNH.

Tout en reconnaissant que CNH avait été privée de l’occasion d’examiner la moissonneuse-batteuse, la Cour d’appel a décidé que la juge de première instance était justifiée de conclure à l’absence de préjudice à la lumière de la preuve qui lui a été présentée. Cette conclusion s’explique d’une part par l’état de destruction de la moissonneuse-batteuse et, d’autre part, par la preuve administrée quant à l’état, l’utilisation et l’entretien de celle-ci avant la perte.

Plus particulièrement, la preuve, autant testimoniale que documentaire, a révélé que la moissonneuse-batteuse était une perte totale au point où les experts ne pouvaient pas déterminer la cause de l’incendie, comme en ont conclu les experts mandatés à la fois par Joyal et l’assureur de Philie. Les débris n’ont d’ailleurs été vendus que pour quelque 8 000 $ sur une valeur de 300 000 $.

La preuve a de surcroit révélé une utilisation et un entretien minutieux de la moissonneuse-batteuse par Philie, ayant mené les experts à écarter les hypothèses d’une mauvaise utilisation du bien ou d’un défaut d’entretien. Elle a également révélé l’absence de toute modification à l’appareil et/ou l’ajout de composantes non d’origine. CNH n’ayant pas établi que les démarches des experts de Joyal et de l’assureur de Philie étaient incomplètes et/ou que son propre expert aurait été en mesure de faire des constats additionnels en examinant les débris, la Cour d’appel a déterminé que la juge de première instance était justifiée de conclure qu’une inspection de la moissonneuse-batteuse n’aurait vraisemblablement pas permis de repousser la présomption édictée à l’article 1729 C.c.Q. CNH n’ayant pas davantage établi qu’elle était privée d’un appel en garantie potentiel contre un fournisseur, la Cour d’appel a conclu que l’absence d’avis et l’impossibilité d’inspecter la moissonneuse-batteuse ne lui avaient pas causé de préjudice réel.

La Cour d’appel a par ailleurs rejeté l’argument de CNH fondé sur le droit à une défense pleine et entière enchâssé à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, concluant qu’une atteinte de cette nature ne justifiait le rejet du recours qu’en présence d’un préjudice ou, du moins, d’une possibilité réelle de préjudice, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Considérant la conclusion à laquelle en est venue la Cour d’appel, celle-ci ne s’est pas prononcée sur l’argument relatif à la solidarité prévalant entre le vendeur professionnel, le distributeur et le fabricant et l’effet de celle-ci sur la transmission de l’avis de dénonciation à l’un d’entre eux seulement 16. Les enseignements énoncés par la Cour d’appel en 2014 dans l’arrêt Joyal 17 demeurent donc d’actualité sur cette question.

IV– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR ET LA CONCLUSION

L’arrêt commenté est l’illustration par excellence de l’importance de laisser au juge du fond la charge d’évaluer les conséquences liées à l’absence de transmission d’un avis de dénonciation d’un vice caché, étant entendu que seule l’administration complète de la preuve est susceptible de permettre l’évaluation du préjudice en résultant.

En cette matière, chaque cas doit être examiné en fonction de ses faits propres. La conclusion à laquelle est arrivée la Cour d’appel dans cette affaire trouve largement appui dans la preuve administrée et ne doit pas être considérée comme un assouplissement à l’obligation de transmettre un avis de dénonciation. Au contraire, la Cour d’appel a spécifiquement rappelé que « le défaut de faire parvenir un avis de dénonciation au vendeur entraîne généralement le rejet de la demande » 18. Plus loin dans son jugement, la Cour d’appel a énoncé clairement que l’absence d’avis de dénonciation peut priver les vendeurs de la possibilité d’administrer la preuve requise pour repousser la présomption prévue à l’article 1729 C.c.Q. « et, de ce fait, leur causer un préjudice réel » 19.

Par ailleurs, si l’on peut retenir qu’en cas de destruction complète d’un bien, la finalité de l’avis de dénonciation peut être anéantie, l’on ne doit pas en conclure ainsi automatiquement. Il demeure en effet plusieurs cas où la cause de la perte pourra être déterminée suite à un examen minutieux de la scène par des experts, notamment en cas d’incendie. L’opinion d’un expert sera assurément de mise pour établir que l’état de destruction aurait empêché d’établir la cause de la perte. D’ailleurs, dans l’affaire sous étude, le fait qu’aucun des experts ayant eu accès à la moissonneuse-batteuse n’ait été capable d’identifier la cause de l’incendie semble avoir été déterminant. De la même façon, le vendeur, le distributeur ou le fabricant n’ayant pas reçu d’avis de dénonciation aura tout intérêt à retenir les services d’un expert pour établir le préjudice subi découlant de cette situation.

Considérant les difficultés susceptibles d’être occasionnées par l’absence de transmission d’un avis de dénonciation et la lourdeur du fardeau permettant d’éviter les conséquences en découlant, l’on ne peut faire autrement que de fortement encourager la transmission d’un avis de dénonciation à toutes les personnes susceptibles d’être tenues à la garantie de qualité. Cela est d’autant vrai considérant les faibles coûts qui y sont afférents. Il demeure néanmoins qu’en cas d’omission, des arguments s’offrent à la partie défaillante.


* Me Vincent Lemay est avocat chez Stein Monast, où il pratique dans le secteur litige-assurance. À ce titre, il travaille principalement dans les domaines des assurances et de la responsabilité civile et professionnelle. Sa pratique est orientée autant en recouvrement, où il intente des recours subrogatoires au nom des assureurs, qu’en défense, où il assume la défense des assurés qui ont droit au bénéfice de l’assurance, tant en matière civile que professionnelle.

  1. Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd., 2014 QCCA 588, EYB 2014-234922 (« arrêt Joyal »).
  2. 2019 QCCA 1151, EYB 2019-313278.
  3. Joyal a tenté d’argumenter que durant la période d’entreposage, un représentant de CNH oeuvrant dans la formation de mécaniciens aurait remarqué la présence de la moissonneuse-batteuse, mais la Cour supérieure a estimé cela insuffisant pour constituer une dénonciation. Cet argument n’a pas été repris en appel.
  4. Axa Assurances inc. c. Claude Joyal inc., 2012 QCCS 476, EYB 2012-202477.
  5. Précité, note 1.
  6. Ibid., par. 37.
  7. EYB 2017-284358 (C.S.).
  8. Par. 7 de la décision commentée, référant à l’arrêt Joyal, par. 27.
  9. Ibid., par. 7.
  10.  Ibid.
  11.  Ibid., par. 8.
  12.  Ibid., par. 8, référant à l’arrêt Joyal, par. 35.
  13.  Ibid., par. 10.
  14.  Ibid., par. 9.
  15.  Ibid., par. 15.
  16.  Ibid., par. 21.
  17.  Arrêt Joyal, par. 50 à 57.
  18.  Par. 7 de la décision commentée.
  19.  Ibid., par. 16. À titre d’illustration, voir Nadeau c. Mercedes Benz Canada inc., 2017 QCCA 470, EYB 2017-277658 (demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2017-09-21, no 37576).
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