Le Cahier des charges et devis généraux et sa procédure de réclamation stricte : une nuance s’impose

23 septembre 2022

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La presque totalité des travaux de construction conclus avec le ministère des Transports du Québec (« MTQ ») sont assujettis au Cahier des charges et devis généraux (« CCDG »). Le CCDG prévoit une procédure de réclamation lorsqu’un entrepreneur croit qu’il est lésé d’une façon quelconque par rapport aux clauses du contrat. À titre d’exemple, lorsqu’un entrepreneur fait face à des conditions de sols manifestement différentes de celles prévues aux documents d’appel d’offres, la procédure du CCDG prévoit que la réclamation doit notamment être présentée 120 jours suivant la date de réception par l’entrepreneur de l’estimation finale des travaux, tel que le prévoit la clause 8.8 :

« 8.8 PROCÉDURE DE RÉCLAMATION

Si l’entrepreneur croit qu’il est lésé d’une façon quelconque par rapport aux clauses du contrat, il doit transmettre directement au directeur une lettre recommandée, avec copie au surveillant, dans laquelle il expose et motive son intention de réclamer. Cette lettre doit être transmise dans un délai maximal de 15 jours à compter du début des difficultés qui, selon lui, justifient son intention de réclamer.

Après étude du grief, le Ministère fait part de son point de vue à l’entrepreneur et propose, s’il y a lieu, une solution. Cette proposition ne met aucunement fin aux droits du Ministère et ne peut être considérée comme une reconnaissance ou une acceptation de quelque nature que ce soit.

À défaut d’entente, l’entrepreneur peut présenter une réclamation. Celle-ci doit être détaillée et adressée directement au ministre et reçue à son bureau au plus tard 120 jours suivant la date de réception par l’entrepreneur de l’estimation finale des travaux. Dans le cas où une réception avec réserve est faite par le Ministère, la réclamation détaillée doit être reçue au bureau du ministre au plus tard 120 jours suivant la réception par l’entrepreneur de l’estimation des travaux faisant l’objet de la réception avec réserve. Pour les travaux exécutés entre la réception avec réserve et la réception sans réserve, la réclamation détaillée doit être reçue au bureau du ministre au plus tard 120 jours suivant la réception par l’entrepreneur de l’estimation finale des travaux. […] »

Or, qu’arrive-t-il lorsque la réclamation de l’entrepreneur n’est pas déposée dans les délais prévus? Est-il forclos automatiquement de déposer sa réclamation? La Cour d’appel vient apporter une nuance importante dans l’arrêt Procureur général du Québec c. Opron1, rendu le 24 janvier 2022.

Les faits de cette affaire s’inscrivent dans le cadre d’un contrat forfaitaire conclu en juillet 2018 entre le MTQ et Opron inc. (« Opron »), une compagnie de construction, à la suite d’un appel d’offres pour la réfection de deux viaducs. Opron a ensuite octroyé un contrat de sous-traitance à Construction Valrive inc., la mise en cause dans cette affaire.

Les travaux étaient prévus en deux phases selon un échéancier déjà déterminé dans les devis. Certains retards ont été occasionnés sur le chantier, faisant en sorte qu’un nouvel échéancier fut convenu entre le MTQ et Opron le 30 octobre 2008, lors d’une rencontre. Il avait été entendu verbalement qu’Opron allait accélérer les travaux et que le MTQ assumerait les coûts supplémentaires. Or, le MTQ refuse une partie des frais réclamés par Opron au motif notamment qu’elle n’a pas respecté la procédure prévue à la clause 8.8 du CCDG, qui prévoit le délai de 120 jours. Le MTQ allègue également que le juge de première instance a erré en appliquant le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publicsRCTCOP ») pour certains des montants réclamés par Opron.

La procédure de réclamation prévue à la clause 8.8 du CCDG est une exception au principe des contrats forfaitaires selon lequel l’entrepreneur exécute les travaux à gain ou à perte pour la somme prévue au contrat. La clause doit donc être interprétée restrictivement. Cependant, l’application de cette clause n’est pas en cause ici, puisque l’entente conclue entre les parties au mois d’octobre 2008 constitue un avenant au contrat initial. En effet, tel que le mentionne la Cour d’appel : « lorsque l’entrepreneur réclame paiement pour des travaux supplémentaires en vertu d’un avenant au contrat, il n’y a rien d’exorbitant au droit commun et la clause 8.8 ne s’applique pas »2. Les travaux d’accélération effectués par Opron n’avaient donc pas à faire l’objet d’une réclamation sous la procédure du CCDG, s’agissant de la simple exécution du contrat.

De plus, la Cour d’appel procède de nouveau à l’analyse des autres montants réclamés par Opron, partant du principe qu’il n’y a pas lieu d’appliquer le RCTCOP en l’espèce. Ce règlement constitue plutôt d’un outil d’interprétation complémentaire en cas d’ambigüité.

En conclusion, la procédure de réclamation du CCDG et conséquemment les délais y étant prévus s’appliquent dans la mesure où la réclamation vise réellement des « travaux additionnels » et non des travaux compris dans un avenant, écrit ou verbal, au contrat initial. Dans ce cas, il y a lieu de ne pas déroger au droit commun et de permettre l’exécution du contrat.

Pour toute question relative à une réclamation visée par le CCDG, n’hésitez pas à contacter notre équipe de litige commercial ici ou encore les auteurs du présent billet :

Me Mathieu Ayotteassocié
mathieu.ayotte@steinmonast.ca
418 640-4459

Me Marianne Lamontagne
Marianne.lamontagne@steinmonast.ca
418-649-4013

Me Cloé Gélinas
cloe.gelinas@steinmonast.ca
581 216-3017


1 2022 QCCA 98.
2 2022 QCCA 98, par. 61.

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