Les antécédents criminels: l’importance de poser des questions lors de la souscription

Par Maud Rivard, associée, et Catherine Pilote-Coulombe, avocate

24 avril 2019

Tout récemment, la Cour du Québec a rappelé l’importance de poser des questions spécifiques à l’assuré sur ses antécédents criminels lors de la souscription1, et ce, même lorsqu’une question a déjà été posée à cet égard lors d’une souscription antérieure portant sur un autre risque auprès du même assureur.

Faits

Dans cette affaire, l’assureur d’un propriétaire d’équipement agricole refuse d’indemniser son assuré suivant la perte totale de cet équipement ayant été détruit par un incendie accidentel. L’assureur annule la police ab initio vu le défaut de l’assuré de divulguer un antécédent criminel de vol de carburant agricole.

La police d’assurance a été souscrite en juillet 2015 et un deuxième équipement a été ajouté en novembre de la même année. Lors de la souscription en juillet 2015, aucune question n’a été posée à l’assuré relativement à ses antécédents criminels. À cette époque, l’assuré n’avait aucun antécédent, mais faisait l’objet d’une accusation pour laquelle il a, par la suite, plaidé coupable le 9 novembre 2015. L’assuré n’a jamais divulgué cette information à son assureur.

Avant de souscrire à cette assurance commerciale, l’assuré avait déjà souscrit à une assurance résidentielle en août 2014 auprès du même assureur, lors de laquelle ce dernier avait spécifiquement posé des questions sur ses antécédents criminels. L’assureur considère donc que l’assuré ne pouvait ignorer qu’il s’agissait d’un élément important susceptible d’influencer son évaluation du risque.

L’assuré normalement prévoyant et les questions de l’assureur

Malgré tout, la Cour du Québec considère que l’assuré n’a pas manqué à son obligation de divulguer les circonstances aggravant le risque et à son devoir d’agir comme un assuré normalement prévoyant tel que l’exige le Code civil du Québec à ses articles 2466 et 2409. La Cour rappelle les différents facteurs à analyser dans le cadre de l’évaluation de la conduite d’un assuré normalement prévoyant2, que nous pouvons résumer ainsi :

  1. Les circonstances lors de la souscription : le mode de transmission de l’information (en personne, par téléphone ou autre) et la remise de documentation explicative sur la déclaration du risque sont des indices de l’importance qu’accorde l’assureur aux informations demandées et sur le fait que l’assuré était informé de ce qu’il devait divulguer;
  2. La police souscrite : le type d’information qui doit être divulgué peut varier selon le type d’assurance souscrite, tel qu’une assurance-vie ou une assurance de biens ou encore une couverture temporaire par rapport à une couverture à long terme;
  3. L’expérience et les caractéristiques propres à l’assuré : le fait que l’assuré ait préalablement négocié avec plusieurs compagnies ou qu’il souscrive souvent à ce type d’assurance fait peser sur ce dernier une obligation plus importante de divulgation. De même, les caractéristiques propres à l’assuré peuvent influencer le degré d’obligation de divulgation qui lui incombe. La Cour donne l’exemple d’un médecin qui a une meilleure connaissance de ce qu’il doit divulguer lors de la souscription d’une assurance-vie qu’une personne sans connaissance médicale.

Dans cette affaire, la Cour conclut que l’assuré est un ouvrier forestier peu scolarisé qui a toujours fait affaire avec le même assureur et qui n’a aucune expérience des politiques des assureurs. Jumelé à l’absence de questions sur les antécédents lors de la souscription de la police commerciale, la Cour conclut que l’assuré n’a pas manqué à ses obligations en ne divulguant pas ses antécédents, et ce, même si l’assureur a posé ces questions lors de la souscription de la police résidentielle. On constate donc que l’absence de questions par l’assureur lors de la souscription de la police commerciale est déterminante dans la décision de la Cour de rejeter sa défense.

L’assureur raisonnable

Par ailleurs, la Cour conclut également que même si l’assuré n’avait pas agi comme un assuré normalement prévoyant, elle aurait tout de même rejeté la défense de l’assureur puisque ce dernier n’avait pas fait la preuve qu’un assureur raisonnable aurait allégué la nullité ab initio de la police.

En effet, la Cour souligne que lorsque les circonstances n’établissent pas de façon évidente que la nullité ab initio est la sanction appropriée au manquement reproché, l’assureur doit faire la preuve qu’un assureur raisonnable aurait pris la même décision, ce qui nécessite le témoignage de tiers familiers de l’industrie. Dans le présent cas, la Cour considère que l’antécédent de vol de carburant n’est pas suffisamment lié au risque assuré, même si ce vol avait servi pour le bien assuré, puisque le sinistre affectant l’équipement était accidentel. Comme la preuve de l’assureur raisonnable n’a pas été faite, la Cour conclut qu’elle aurait de toute façon rejeté la défense de l’assureur.

En conclusion,

Par conséquent, la Cour du Québec accueille le recours et condamne l’assureur au paiement de l’indemnité équivalent à la valeur de l’équipement au moment du sinistre.

Cette décision démontre l’importance pour l’assureur de poser les questions les plus complètes à l’assuré lors de la souscription, particulièrement sur les éléments susceptibles d’influencer son appréciation du risque à assurer. Nous constatons une tendance jurisprudentielle selon laquelle les tribunaux sont plus cléments envers des assurés non expérimentés et plus exigeants envers des assureurs qui omettent de poser suffisamment de questions lors de la souscription. À notre avis, cette tendance rehausse d’autant plus l’importance de poser spécifiquement des questions à l’assuré sur tout ce que l’assureur considère pertinent dans sa décision de souscrire le risque.

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1 9007-1739 Québec inc. c. Promutuel Boréale, société mutuelle d’assurances générales, 2018 QCCQ 10245.
2 Ces critères sont tirés de l’arrêt G.M.A.C. Location Ltée c. Assurances générales des caisses Desjardins Inc., 2004 CanLII 12753 (C.S.).

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