Par Me Pierre-Olivier Ménard Dumas, associé et Me Gilles-Étienne Lemieux, avocat
Le comble de l’industrie du transport : la vitesse des affaires. Les demandes de services et les transports se succèdent jusqu’au moment où vient le temps de tenter de recouvrer les frais de transport impayés. C’est toujours à ce moment que l’expéditeur ou l’intermédiaire en services de transport repousse les échéances de paiement, ne donne plus de nouvelle, voire même, est déclaré insolvable. Fait vécu ? Probablement.
L’absence de contrat de transport est usuelle. Dans ce cas, les transports sont alors régis par les dispositions prévues aux connaissements, aux lois particulières applicables et au Code civil du Québec (le « CcQ »).
Il est spécifié au CcQ que les frais de transport sont à la charge de l’expéditeur et généralement payables à la livraison, sauf en cas de dispositions contraires prévues spécifiquement au connaissement ou contractuellement entre les parties. De plus, la Loi sur les connaissements et le CCQ prévoient tous deux que le destinataire du transport acquiert les droits et assume les obligations découlant du contrat de transport. À ce titre, le paiement des frais de transport est assimilé à l’une de ces obligations. Il devient donc possible pour le transporteur de recouvrer ses frais de transport impayés directement de l’expéditeur et/ou du destinataire, sous réserve de ce qui suit.
La règle générale prévoit donc que le destinataire qui fait l’objet d’une réclamation par le transporteur pour ses frais de transport devra généralement devoir l’acquitter. Il appartiendra par la suite au destinataire de prendre les moyens nécessaires auprès de l’expéditeur ou de l’intermédiaire de transport pour obtenir le remboursement de ces frais.
Tant la Loi sur les connaissements que le CcQ imposent contre le destinataire une présomption de responsabilité du paiement des frais de transport.
Afin de se dégager d’une telle présomption, le destinataire peut établir (i) l’existence d’une autre entente impliquant l’expéditeur à laquelle celui-ci s’est engagé à assumer exclusivement le paiement des frais de transport ou (ii) que le transporteur a renoncé à une cette présomption légale de façon implicite ou expresse. Une telle renonciation peut découler d’une clause spécifique au contrat de transport liant le transporteur à l’expéditeur, sinon même à des annotations contenues aux connaissements.
De plus, la notion « prépayée » ou « prepaid » apparaissant au connaissement peut également aider à exonérer le destinataire de son obligation légale envers le transporteur pour le paiement des frais de transport. Toutefois, ce sera le cas que lorsque cette indication est réellement perçue par le destinataire comme tel, c’est-à-dire lorsqu’il est entendu et manifeste que le transporteur a dûment été payé avant d’effectuer le transport. S’il s’avère que les frais de transport devaient être payés après la délivrance, la notion « prépayée » ou « prepaid » ne devrait pas avoir d’incidence sur le recours du transporteur contre le destinataire pour le paiement de ses frais de transport.
En somme, à défaut pour le destinataire de pouvoir se dégager de son obligation de paiement, le transporteur bénéficiera de deux sources distinctes pour le recouvrement de ses frais de transport, et ce, peu importe la solvabilité de l’expéditeur ou de l’intermédiaire en services de transport. La loi impose ainsi l’ajout d’un nouveau débiteur, au choix et au bénéfice du transporteur.
Enfin, ce recours est particulièrement intéressant lorsque la solvabilité de la partie qui devrait – normalement – avoir à charge les frais de transport est compromise. Par exemple, en cas de faillite ou d’un autre régime de protection du débiteur des frais de transport (ex : proposition concordataire, restructuration sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, etc.), le transporteur bénéficiera généralement d’une option envers le destinataire pour le recouvrement de ses frais. Dès lors, le destinataire contraint d’acquitter les frais de transport pourrait être subrogé dans les droits du transporteur lui permettant ensuite de se joindre à la masse des créanciers du failli/débiteur, le tout à ses propres risques de recouvrer, en tout ou en partie, sa créance.
À titre de transporteur, soyez aux aguets : (i) assurez-vous de détenir un connaissement valide et complet, (ii) ne renoncez jamais, explicitement et même implicitement, à vos recours contre le destinataire et (iii) entamez rapidement les démarches de recouvrement auprès de l’expéditeur ou de l’intermédiaire de transporteur et même du destinataire.