SIGNATURE ÉLECTRONIQUE : UN OUTIL ESSENTIEL POUR LE TÉLÉTRAVAIL

14 April 2020

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Notion de signature électronique en droit québécois

En ces temps de la COVID-19 où le télétravail est à prioriser, la notion de signature électronique est d’autant plus importante et mérite de s’y attarder pour comprendre à quelles conditions une telle signature pourra produire les effets juridiques recherchés.

Une signature au sens traditionnel est une marque distinctive qui permet de faire le lien entre une personne et un document1. Le Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que cette marque distinctive doit être personnelle au signataire et utilisée « de façon courante, pour manifester son consentement »2. Cette définition est large et permet d’inclure la signature électronique mais également toute forme de marque, soit un NIP ou encore des initiales, dans la mesure où cette marque est utilisée couramment par une personne pour exprimer son consentement.

Concernant la signature électronique, certaines exigences doivent être respectées. Pour qu’une signature électronique soit opposable à son auteur, il faut que l’intégrité du document technologique où elle a été apposée soit assurée et que le lien entre le document et la signature soit maintenu et préservé pour la durée de vie du document3.

L’intégrité d’un document est assurée lorsqu’il est possible de vérifier que l’information contenue dans le document n’a pas été altérée et que le support de l’information lui procure la stabilité et la pérennité voulues4.

Bien que dans certaines circonstances il soit possible de présumer de l’intégrité d’un document technologique5, il demeurera toujours important de préserver l’information entourant la création, la signature et la préservation du document. Pour ce faire, la préservation du fichier d’origine sur lequel la signature a été appliquée s’avère essentielle.

À titre d’exemple, dans l’affaire Tabet c. Equityfeed Corporation6, la Cour supérieure a conclu que la simple apposition dactylographiée d’un nom au bas d’un contrat ne répondait pas aux exigences du C.c.Q. en matière de signature puisque cela ne constituait pas une marque personnelle utilisée couramment pour exprimer son consentement7. Dans cette affaire, le contrat que le demandeur invoquait avoir signé électroniquement n’existait plus qu’en version papier, l’ordinateur contenant le contrat ayant été détruit.

Ainsi, le juge a conclu qu’en l’absence de preuve permettant d’établir l’intégrité du document, le contrat ne présentait pas les garanties suffisantes pour pouvoir s’y fier et le juge a refusé d’y donner l’effet juridique recherché8.

L’envers de la médaille : la protection des renseignements personnels

L’utilisation d’une signature électronique peut également avoir un impact en matière de protection des renseignements personnels.

Dans un récent billet, notre collègue Me Jacques Cossette-Lesage rappelait l’importance pour les entreprises de protéger les renseignements personnels qu’elles détiennent.

Une signature, qu’elle soit manuscrite ou électronique, est une donnée susceptible de se qualifier comme un renseignement personnel lorsqu’elle concerne une personne physique et qu’elle permet de l’identifier.

Dans une décision récente, la Commission d’accès à l’information a mentionné que « [l]a signature d’une personne révèle la façon dont elle choisit de s’identifier lorsqu’elle appose sa signature sur un document » et qu’ « [i]l s’agit d’un choix sur la façon de s’exprimer qui lui est propre »9.

Il faut toutefois souligner que selon l’article 58 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels10, le simple fait d’apposer sa signature au bas d’un document n’a pas pour effet de rendre automatiquement personnels les renseignements qui y figurent. Il faut plutôt analyser, en fonction de chaque situation, si la signature révèle un renseignement personnel permettant d’identifier une personne physique. Dans bien des situations, l’association de la signature avec les autres informations contenues dans le document permettra de la qualifier de renseignement personnel. Par conséquent, la signature devra être protégée selon les exigences légales applicables, sous peine notamment d’une amende pénale.

Finalement, soulignons que des règles particulières s’appliquent aux entreprises privées et aux organismes publics, ainsi qu’en fonction du fait qu’ils soient soumis à la juridiction fédérale ou provinciale11.

Applications pratiques en droit du transport

Malgré la pandémie, l’industrie du transport routier de marchandises n’a certainement pas chômé. Le gouvernement provincial ayant identifié les services de transport de marchandises de tout type comme étant prioritaires12, et pour répondre aux besoins de la population, les opérations doivent se poursuivre.

Or, le transport de marchandises comporte son lot de documents, lesquels doivent être échangés et signés par les divers intervenants dans le cadre d’un même mouvement de transport. C’est notamment le cas du connaissement, c’est-à-dire l’écrit qui constate le contrat de transport de biens13. Le Règlement sur les exigences applicables aux connaissements14 prévoit effectivement que cet écrit doit notamment être signé par l’exploitant de véhicules lourds qui agit comme transporteur ainsi que par l’expéditeur15. De telles signatures ont leur importance puisque le connaissement fait foi « de la prise en charge, de la nature et de la quantité, ainsi que de l’état apparent du bien »16. Comme la règlementation applicable n’exige pas le support papier, le connaissement et les signatures à y apposer pourront être en format électronique, étant entendu qu’il devra être possible d’en assurer l’intégrité.

Enfin, bien qu’ils soient propres au conducteur et que leur circulation est moindre que celle du connaissement, soulignons également les cas de la fiche journalière et du rapport de ronde de sécurité. Le Règlement sur les heures de conduite et de repos des conducteurs de véhicules lourds17 et le Règlement sur les normes de sécurité des véhicules routiers18 permettent que ces documents soient produits en format numérique. Ainsi, si les exigences de la LCJTI et du C.c.Q. sont respectées, la signature électronique du rapport de ronde de sécurité et de la fiche journalière sera reconnue.

Pour des questions en matière de signature électronique, adressez-vous aux auteurs du présent billet :

Me Catherine Pilote-Coulombe, Avocate
catherine.pilote-coulombe@steinmonast.ca
418 640-4445
Me Xavier Parenteau, Avocat
Xavier.Parenteau@steinmonast.ca
418 649-4015

Me Sarah Routhier, 
Avocate
sarah.routhier@steinmonast.ca
418 640-4414

1 Art. 39, al. 1 et 75 Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ c. C-1.1 (« LCJTI »).
2 Art. 2827 C.c.Q.
3 Art. 39, al. 2 LCJTI.
4 Art. 2839 C.c.Q. et 6 LCJTI.
5 Art. 7 LCJTI. Par exemple dans le cas où le support technologique contient des métadonnées. Voir à cet égard l’explication de la Cour d’appel dans l’arrêt Benisty c. Kloda, 2018 QCCA 608, par. 90 et s.
6 Tabet c. Equityfeed Corporation, 2017 QCCS 3303.
7Tabet c. Equityfeed Corporation, 2017 QCCS 3303, par. 30-31.
8 Tabet c. Equityfeed Corporation, 2017 QCCS 3303, par. 49-51.
9 Côté Chabot Morel Architectes c. Assemblée nationale, 2019 QCCAI 297, par. 54.
10 RLRQ, c. A-2.1 (« Loi sur l’accès»).
11 Voir notamment, la Loi sur l’accès; la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1; la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P-21 ; la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5.
12 Décret 223-2020, (2020) 152 G.O.Q. II, 1140 daté du 24 mars 2020.
13 Art. 2041, al. 1, C.c.Q..
14 Règlement sur les exigences applicables aux connaissements, RLRQ, c. T-12, r. 6.
15 Ibid, art. 7, al. 1.
16 Art. 2042, al. 2  C.c.Q.
17 Règlement sur les heures de conduite et de repos des conducteurs de véhicules lourds, RLRQ, c. C-24.2, r. 28.
18 Règlement sur les normes de sécurité des véhicules routiers, RLRQ c. C-24.2, r. 32.

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