Une procédure judiciaire, réelle ou appréhendée, peut faire obstacle à une demande d’accès à vos renseignements personnels

2 March 2022

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L’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (la « Loi ») établit le principe de base selon lequel :

« 27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l’existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant.

[…] »

La Loi prévoit cependant certaines exceptions, dont celle énoncée à l’article 39(2) :

« 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement :

[…]

2o d’avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l’une ou l’autre de ces personnes a un intérêt. »

Pour que cette exception s’applique, quatre (4) conditions doivent être réunies1 :

  1. Il doit s’agir d’un renseignement personnel concernant la personne qui fait la demande de communication;
  2. Le refus doit être en relation avec une procédure judiciaire dans laquelle le demandeur d’accès ou l’entreprise qui la reçoit a un intérêt;
  3. La divulgation du renseignement risque vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire; et
  4. Le risque de procédure judiciaire et l’effet de la divulgation doivent être évalués au moment de la décision de refuser l’accès au renseignement demandé.

Un bref survol de chacune de ces conditions s’impose.

  1. Il doit s’agir d’un renseignement personnel concernant la personne qui fait la demande de communication.

Selon l’article 2 de la Loi, « [e]st un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l’identifier. »

Selon un test établi par la Commission d’accès à l’information (ci-après, la « CAI ») :

« un renseignement est personnel s’il fait connaître quelque chose à quelqu’un, s’il est en rapport avec une personne physique et que ce renseignement est susceptible de distinguer cette personne par rapport à quelqu’un d’autre »2.

Il importe donc d’analyser les informations visées par la demande d’accès afin de déterminer si elles constituent des renseignements personnels au sens de la Loi.

À titre d’exemple, des passages d’un rapport d’expertise sur les dommages à un immeuble qui identifient nommément l’assuré et sa conjointe pourront être considérés comme des renseignements personnels au sens de la Loi3.

Par contre, des informations administratives, comme des numéros de dossier, ne constituent pas des renseignements personnels.

  1. Le refus doit être en relation avec une procédure judiciaire.

Il n’est pas nécessaire qu’un recours judiciaire ait été effectivement entreprise. Il doit toutefois exister un risque vraisemblable qu’une telle procédure soit intentée. Ce risque ne doit pas être qu’hypothétique : les procédures doivent être prévisibles, probables ou imminentes4. Afin de déterminer la possibilité que des procédures judiciaires soient entreprises, il importe d’analyser l’ensemble des circonstances5.

Par exemple, une mise en demeure formelle établit le risque de procédure judiciaire, mais elle n’est pas nécessaire. L’intention, verbale ou écrite, clairement manifestée d’intenter des procédures peut être suffisante.

Par contre, le fait d’exprimer son insatisfaction dans le cadre d’une réclamation d’assurance n’établit pas l’intention d’intenter une procédure judiciaire. De même, le fait d’analyser ses options et même d’obtenir les conseils un avocat n’est pas en soi suffisant pour conclure à l’imminence d’un recours judiciaire6.

Soulignons que la procédure judiciaire n’inclut pas uniquement le recours civil, mais également, par exemple, un grief7 ou le dépôt d’une plainte devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse8. Par contre, ne constitue pas une preuve suffisante de l’imminence de procédures judiciaires le recours à des mécanismes administratifs internes de contestation9 ni la crainte d’un éventuel recours contre l’entreprise basée sur des plaintes ou recours antérieurs formulés par le même demandeur d’accès contre d’autres organismes10.

En raison de la formulation de l’article 39(2), le demandeur d’accès ou l’entreprise qui reçoit la demande d’accès doit avoir un intérêt dans la procédure judiciaire. Il ne peut donc pas s’agir d’une procédure complètement étrangère aux parties.

  1. La divulgation du renseignement risque vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire.

L’« effet » sur la procédure judiciaire n’a pas à être déterminant sur le sort du litige : il suffit qu’une preuve prépondérante démontre qu’il y a une relation entre les renseignements demandés et la procédure en question et que la divulgation aurait une influence vraisemblable sur celle-ci11, qu’elle soit négative ou positive.

  1. Le risque de procédure judiciaire et l’effet de la divulgation doivent être évalués au moment de la décision de refuser l’accès au renseignement demandé.

Puisque les contestations du refus de communiquer les renseignements sont souvent entendues longtemps après la décision initiale, il peut être tentant d’invoquer des faits postérieurs pour la justifier. Or, le risque doit être analysé au moment de la décision sur la demande d’accès12, selon les informations alors disponibles.

Considérant que la demande d’examen de mésentente à la CAI ne porte que sur les motifs soulevés dans la lettre de refus, il est de bonne pratique d’y invoquer toutes les exceptions applicables.

En terminant, soulignons que l’existence de cette exception spécifique dans la Loi n’empêche pas une entreprise d’invoquer le secret professionnel ou le privilège relatif au litige13 lorsque possible. L’existence de cette restriction n’empêche pas non plus une ordonnance de communication des documents et renseignements personnels dans le cadre d’une instance judiciaire ou administrative s’ils s’avèrent pertinents pour trancher le litige.

Pour toute information relative à la protection des renseignements personnels, n’hésitez pas à communiquer avec un des membres du groupe de litige civil ici ou avec les auteures du présent billet :


Me Émilie Nadeau
, avocate
emilie.nadeau@steinmonast.ca
418-640-4007

Me Catherine Cloutier, associée
catherine.cloutier@steinmonast.ca
418 640-4424

Les auteures remercient Mme Imène-Fattouma Lammali et M. Pierre-Charles Noël, étudiants en droit, pour leur contribution.


1 La Personnelle Vie, corporation d’assurance c. Cour du Québec, 1997 CanLII 9194 (QC CS); Intact Assurance c. Landry, 2021 QCCQ 428, par. 48 (CanLII).

Chouquet c. Fédération des Caisses Desjardins du Québec, 2020 QCCAI 376, par. 33 à 36 (CanLII). Voir également J.C. c. SSQ, société d’assurances générales inc., 2017 QCCAI 129 (CanLII).

Intact Assurance c. Landry, précitée, note 1.

La Personnelle Vie, corporation d’assurance c. Cour du Québec, précitée, note 1.

M.G. c. Fonds d’assurance-responsabilité professionnelle de l’Ordre des dentistes du Québec, 2010 QCCAI 113 (CanLII).

6Talbot c. Intact Assurances, 2018 QCCAI 101 (CanLII), par. 35; Laplante-Maillette c. La Capitale assureur de l’administration publique inc., 2019 QCCAI 20 (CanLII); Tomasino c. La Capitale assureur de l’administration publique inc., 2019 QCCAI 235, par. 36 et 37; Gauvreau c. Promutuel Assurance, 2020 QCCAI 347, par. 69.

7Tessier c. Pratt & Whitney Canada Corp., 2019 QCCAI 68, par. 22 (CanLII).

8Papaeconomou c. Pratt & Whitney Canada, [2000] C.A.I. 41; S.C. c. Desjardins Sécurité financière, 2010 QCCAI 263; G.L. c. Conseil des Anicinapek de Kitcisakik, 2013 QCCAI 212 (CanLII).

9 R.F. c. Desjardins Assurances générales, 2012 QCCAI 414 (CanLII), par. 42.

10 Alvarez Garcia c. Agir, 2021 QCCAI 33 (CanLII), par. 70 à 77.

11 M.B. c. Intact assurances, 2017 QCCAI 54, par. 43 à 46 (CanLII).

12 C.L. c. Union Canadienne (L’), compagnie d’assurances, 2008 QCCAI 229, par. 20.

13 Intact Assurance c. Landry, précitée, note 1.

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