L’INTERRUPTION DES AFFAIRES PARTIE 1: LA COUVERTURE D’ASSURANCE DE BASE

20 April 2020

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Le 3 avril dernier, des recours collectifs ont été entrepris en Saskatchewan et au Québec1 au nom d’entreprises s’étant vu refuser une indemnité d’assurance pour interruption des affaires liée à la COVID-19. Ces procédures, au stade de l’autorisation, visent plusieurs assureurs d’envergure au Canada.

Aux États-Unis, certains états ont annoncé l’adoption de lois visant à forcer les assureurs à indemniser les entreprises pour leurs pertes financières en lien avec la COVID-19, et ce, indépendamment du libellé du contrat émis. On parle notamment de l’Ohio, du Massachusetts, du New Jersey, de la Pennsylvanie et de New York.

En présence d’un événement d’une ampleur jusqu’alors inégalée, on assiste à une tentative généralisée d’élargir de façon importante la couverture d’assurance habituellement prévue en matière d’interruption des affaires. Pourtant, l’analyse approfondie du libellé de chaque contrat demeure essentielle afin de déterminer la couverture applicable.

La nécessité de l’existence d’un dommage matériel à un bien

De façon générale, le contrat d’assurance commerciale, en matière de garantie pour interruption des affaires, pose comme condition préalable la survenance d’un sinistre causant un dommage matériel couvert par la police à un bien entraînant la fermeture partielle ou complète de l’entreprise. Ce sera le cas lorsqu’un incendie endommage l’immeuble dans lequel l’assuré exploite son entreprise, nécessitant des travaux majeurs l’empêchant d’exploiter normalement son commerce.

Dans Guillet c. Federated compagnie d’assurance du Canada2, une décision rendue à la suite de la crise du verglas de 1998, l’entreprise n’avait pu opérer en raison de l’interruption de l’alimentation en électricité pour une période prolongée. La Cour conclut à l’absence de couverture pour interruption d’affaires, en l’absence de dommage ou de destruction des biens de l’assuré. Le même raisonnement a été retenu dans 3296008 Canada inc. c. Groupe Commerce Cie d’assurances3, dans des circonstances semblables.

Comme le libellé du contrat peut varier d’un assureur à l’autre, il est toutefois possible que le texte de la clause ne requière pas spécifiquement de dommage matériel. Dans un troisième jugement4 également rendu dans le contexte de la crise du verglas, la Cour apporte les nuances suivantes :

«Dans notre cas, la clause de la police d’assurance est d’une rédaction différente.  Les pertes de bénéfices alléguées résultent “directement de l’interruption des activités de l’entreprise de l’Assuré, devenue inévitable du fait d’un sinistre couvert ayant atteint les constructions, les machines, le matériel ou les stocks se trouvant sur les lieux”. On n’exige pas ici comme condition une destruction ou un dommage aux biens de l’assurée.»5

Ainsi, à moins d’un libellé plus large n’exigeant pas la présence de dommages, la preuve d’un dommage matériel à un bien couvert résultant d’un sinistre devra être faite par l’assuré qui désire être indemnisé pour interruption d’affaires.

Dans le cas de la pandémie actuelle, aucun dommage matériel à un bien couvert ne peut être invoqué à prime abords. La fermeture temporaire des entreprises exclues de la liste des services essentiels découle strictement d’un décret gouvernemental. C’est vraisemblablement sur cette base que de nombreux assureurs ont déjà nié couverture ou le feront.

La contamination des lieux par un virus peut-elle constituer un dommage matériel?

Qu’en est-il lorsque l’entreprise est autorisée à exercer ses activités, mais que les lieux sont contaminés par le virus, ce qui entraîne une fermeture temporaire? La contamination physique des locaux constitue-t-elle un dommage matériel?

Il nous apparaît que la présence du virus en elle seule n’a pas pour effet d’altérer le bien et ne pourrait constituer un dommage matériel, lorsque le contrat l’exige. La COVID-19 aurait une durée de vie variant de quelques heures à quelques jours, selon la surface sur laquelle elle se trouve.6 À tout événement, la durée de l’interruption des affaires au motif de contamination ne serait que de courte durée, étant restreinte à la période de nettoyage ou de survie du virus. Par ailleurs, la plupart des contrats prévoient une exclusion pour contamination et pollution que les assureurs pourraient potentiellement soulever.

La décision Ontarienne MDS inc. v. Factory Mutual Insurance Company (FM Global)7

Le 30 mars 2020, une décision a été rendue par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire MDS inc. et traite spécifiquement de la signification du concept de « resulting physical damage ».

Dans ce cas, l’entreprise réclamait de son assureur la perte de profits résultant de la fermeture d’un réacteur nucléaire s’étant prolongée en raison du fait que le  Canadian Nuclear Safety Commission exigeait qu’un protocole de sécurité conforme soit mis en place, nécessitant la correction et l’analyse du design des installations qui dataient de 1974.

La Cour rejette l’interprétation restrictive de l’assureur qui invoquait la nécessité d’un dommage physique au bien et retient plutôt une interprétation large de «resulting physical damage» qui inclut la simple perte d’usage du bien, faisant ainsi droit à la réclamation de l’assurée.

Nous devrons attendre l’expiration des délais applicables, mais il nous apparaît probable que cette décision soit portée en appel, vu l’importance qu’elle pourrait revêtir eu égard aux enjeux résultant de la COVID-19, certains anticipant que cette décision pourrait être utilisée dans le cadre de recours visant l’obtention d’indemnités pour interruption d’affaires liées à la pandémie. Le sort qui sera réservé à cette décision devra donc être suivi avec attention.

Conclusion

En assurance des entreprises, le niveau et la formulation des protections varient d’une entreprise à l’autre et même d’un assureur à l’autre. Chaque police doit ainsi être analysée en détail.

Bien que le plus souvent un dommage matériel au bien couvert soit nécessaire à l’application de la couverture d’assurance pour interruption d’affaires, les tribunaux seront appelés à se pencher sur ces questions. Il y a lieu de demeurer à l’affût de l’interprétation qui sera donnée aux différentes clauses et aux termes qui les composent, que ce soit au Québec, en Ontario ou aux États-Unis.

Par ailleurs, il existe sur le marché des extensions de garanties ou des couvertures autonomes particulières, moyennant évidemment une prime établie en conséquence. Ces types de couverture étendue ou spécialisée possiblement applicables à la présente pandémie seront abordés dans un prochain article.8

Pour toutes questions relativement à la couverture d’assurance pour interruption des affaires, adressez-vous aux membres de notre équipe en droit des assurances ici ou encore, aux auteures du présent billet :

Me Jessica Gauthier                                                           Me Carolane Gélinas
Associée                                                                                       Avocate
Jessica.gauthier@steinmonast.ca                                        carolane.gelinas@steinmonast.ca
418 640-4434                                                                              418 640-4415


1 9306-6876 Québec inc.  c. Intact compagnie d’assurance, 500-06- 001056-205.
2 2001 CanLII 6875 (QC CS)
3 2002 CanLII 10117 (QC CS), voir également Société en commandite stationnement de Montréal c. Cie. Canadienne d’assurances générales Lombard, 2003 CanLII 26540 (QC CS), au par. 43.
4 Ateliers Impact inc. c. Groupe Commerce (Le), compagnie d’assurances, 2010 QCCS 15 (CanLII).
5 Idem par. 128
6 https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/informations-generales-sur-le-coronavirus/
https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/2019-nouveau-coronavirus/prevention-risques.html?topic=tilelink#r
7 2020 ONSC 1924.
8 L’interruption des affaires partie 2: La couverture d’assurance de l’interdiction d’accès par les autorités civiles et autres produits spécialisés

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