CONTAMINATION À LA COVID-19 : VOTRE ENTREPRISE PEUT-ELLE S’EXONÉRER OU LIMITER SA RESPONSABILITÉ?

11 August 2020


Dans le contexte bien particulier de la présente pandémie, les entreprises ont dû procéder à de nombreux changements afin de s’adapter à une toute nouvelle réalité. Elles ont, entre autres, instauré des mesures visant à protéger leur personnel et leur clientèle telles que la distanciation sociale obligatoire, l’installation de barrières physiques, la tenue d’un registre de présences, l’imposition du lavage des mains et du port du masque, etc.

Confrontées au risque que présente l’ennemie invisible qu’est la COVID-19, plusieurs entreprises exigent désormais que les clients complètent un questionnaire et/ou signent un formulaire contenant une clause d’exonération ou de limitation de responsabilité en cas de contamination, dans l’optique d’éviter de potentielles réclamations. Ces documents peuvent s’apparenter à ceux exigés préalablement à la participation à une activité sportive ou présentant un risque quelconque. Mais quelle est la valeur ou la portée juridique de ces clauses?

Une clause d’exonération ou de limitation de responsabilité permet de limiter ou d’écarter totalement sa responsabilité future. Toutefois, au Québec, le Code civil du Québec (« C.c.Q ») et la Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. ») ont grandement réduit la portée de ces clauses1.

a) Loi sur la protection du consommateur

Selon l’article 10 L.p.c., est interdite la stipulation par laquelle un commerçant se dégage des conséquences de son fait personnel ou de celui de son représentant. Cet article est d’ordre public2 et, selon la Cour d’appel, il s’agit d’une prohibition absolue de toute clause d’exonération ou de limitation de responsabilité dans les contrats de consommation3.

À noter que le contrat de consommation est celui conclu entre un consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce et ayant pour objet un bien ou un service4.

b) Code civil du Québec

La clause d’exonération ou de limitation de responsabilité contenue dans les autres types de contrat sera régie par le droit commun.

L’article 1474 alinéa 1 C.c.Q. prévoit qu’une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé par sa faute intentionnelle ou sa faute lourde. Le second alinéa du même article édicte qu’une personne ne peut jamais exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui.

Les trois catégories de préjudice, matériel, corporel et moral, peuvent entraîner à la fois des dommages pécuniaires et non pécuniaires5. À titre d’exemple, un préjudice corporel (perte non pécuniaire) peut également entraîner des pertes salariales (perte pécuniaire). Toutefois, c’est le préjudice initial, plutôt que les conséquences de ce préjudice, qui sert de fondement pour décider du type de préjudice subi6, de sorte que la perte salariale ainsi causée demeure qualifiée de dommage corporel.

L’article 1476 C.c.Q. empêche une personne d’exclure ou de limiter sa responsabilité par simple avis public ou affiche du type « pas responsable des accidents » ou « prenez garde au chien »7. Toutefois, un tel avis peut valoir comme dénonciation d’un danger.

Enfin, soulignons qu’en vertu de l’article 1609 C.c.Q., les quittances, les transactions ou les déclarations, lorsqu’elles sont liées à un préjudice corporel ou moral subi par la victime, sont sans effet si elles sont obtenues dans les trente jours du fait dommageable et sont préjudiciables à cette dernière. Cet article « […] vise ainsi à protéger la victime d’un préjudice corporel ou moral contre d’éventuelles pressions qu’elle peut subir de la part de l’auteur du fait dommageable, de son représentant ou son assureur.8 »

Conclusion

Au moment d’écrire ces lignes, les tribunaux québécois ne se sont pas encore penchés sur l’application de ces clauses d’exonération ou de limitation de responsabilité en lien avec la transmission de la COVID-19.

L’analyse des dispositions pertinentes permet toutefois de dégager certains principes :

– Il n’est pas possible pour un commerçant de se dégager des conséquences de son fait personnel ou de celui de son représentant en ayant recours à une clause d’exonération face à un consommateur selon la Loi sur la protection du consommateur.

– Le Code civil du Québec reconnaît la validité des clauses d’exonération ou de limitation de responsabilité uniquement en présence d’un préjudice matériel, et non d’un préjudice corporel.

La contamination par un virus et les symptômes qui s’ensuivent étant de l’ordre d’un préjudice corporel, tout comme les pertes financières pouvant en découler, il serait étonnant que les tribunaux québécois confirment le caractère exécutoire de ces clauses en cas de faute commise par l’entreprise.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, pour avoir gain de cause, la victime devra établir qu’elle a bel et bien contracté le virus lors de l’activité visée, que l’entreprise a commis une faute dans l’étendue des mesures de protection mises en place ou la manière de les faire respecter et qu’elle a subi un préjudice découlant de ces faits.

Prenons l’exemple d’un transporteur de personnes. Il pourrait être ardu pour un usager contaminé de prouver la faute de ce transporteur si ce dernier a mis en place et fait respecter, non seulement les mesures obligatoires prévues par décrets et arrêtés, telles que le port d’un couvre-visage dans les autobus9, mais également les recommandations et lignes directrices des autorités gouvernementales, comme l’installation d’écrans en plexiglass dans les véhicules10. Une analyse individualisée de chaque cas devrait évidemment être faite.

Il est également important de souligner l’obligation corollaire des usagers et clients de respecter les exigences et les mesures mises en place par les entreprises puisqu’une part de responsabilité pourrait leur être également attribuée en cas de défaut.

Enfin, ajoutons qu’une toute autre analyse devra être effectuée dans le cas d’une réclamation présentée par les proches d’une personne infectée, en cas de décès.

Pour toutes questions, adressez-vous aux membres de notre équipe de litige et droit civil ici ou encore aux auteurs du présent billet :

Me Jessica Gauthier, Associée
jessica.gauthier@steinmonast.ca
418-640-4434

Me Nicolas Dubé, avocat
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418-640-4422

Me Sarah Routhier, avocate
Sarah.routhier@steinmonast.ca
418-640-4414


1 Frédéric LEVESQUE, Précis de droit québécois des obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p.255.
2 Article 262 L.p.c.
3 Quantz c. ADT Canada Inc., 2002 CanLII 41216 (QC CA), par. 55 et 56.
4 Article 2 L.p.c.
5 Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc., 2016 QCCA 76, par. 139.
6 Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, par. 102.
7 F. LEVESQUE, préc. note 1, p.256.
8 Vincent KARIM,  Les obligations, vol. 1, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015.
9 Décret 813-2020, (2020) 152 G.O.Q. II, 3076 daté du 23 juillet 2020.
10 Gouvernement du Canada, Mesures communautaires de santé publique pour atténuer la propagation des maladies à coronavirus (COVID-19) au Canada, https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/2019-nouveau-coronavirus/professionnels-sante/mesures-sante-publique-utilisees-reduire-covid-19.html#a6.8, [consulté le 6 août 2020].

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