Compétence des tribunaux québécois à l’égard d’un contrat de réassurance : la Cour d’appel réitère les principes

22 October 2020

Crédit photo: Fauxels

Dans le récent arrêt Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc.1 la Cour d’appel révise les règles du droit international privé québécois dans un contexte de réassurance.

Les faits

Partner Reinsurance Company Ltd. (« Partner Re »), conclut un contrat de réassurance et de rétrocession avec Optimum Réassurance inc. (« Optimum »). Plusieurs des assurés et des risques visés sont au Québec, mais Partner Re est domiciliée aux Bermudes et Optimum, à Montréal. Le contrat prévoit une clause de non-concurrence au bénéfice d’Optimum.

En 2016, Partner Re avise Optimum qu’elle se porte acquéreuse d’un réassureur actif sur le marché canadien en matière d’assurance-vie. Optimum accepte de renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence en contrepartie du paiement de certaines indemnités par Partner Re et de la possibilité pour Optimum de reprendre certains portefeuilles ayant été cédés à Partner Re. Les parties négocient les modalités de cette reprise, sans succès.

Optimum intente donc une action en jugement déclaratoire afin de faire confirmer l’exercice valide de son droit de reprise, ce à quoi Partner Re répond que les tribunaux québécois n’ont pas compétence.

La compétence des tribunaux québécois en matière contractuelle

Selon l’article 3148 (3o) C.c.Q., les tribunaux québécois ont compétence pour entendre un litige lorsque la faute, le préjudice, le lien de causalité ou l’obligation contractuelle ont lieu au Québec2. Ces facteurs de rattachement sont alternatifs et non cumulatifs3.

La Cour précise que le facteur selon lequel une obligation contractuelle doit être exécutée au Québec ne consiste pas à démontrer que l’obligation a dans les faits été exécutée au Québec, mais plutôt qu’elle devait l’être en vertu du contrat4. Ainsi, dès qu’une seule des obligations prévues au contrat doit être exécutée au Québec, les tribunaux québécois auront compétence5.

Le lieu de la faute de non-concurrence

La question de savoir où doit être exécutée une obligation de non-concurrence a ceci de particulier que l’obligation dont il est question est une obligation négative, soit celle de ne pas faire quelque chose.

Dans cette affaire, l’obligation de non-concurrence incluait l’obligation pour Partner Re d’informer Optimum de son intention d’intégrer le marché canadien par l’envoi d’un avis à son siège social situé à Montréal. La Cour d’appel considère que les tribunaux québécois sont compétents, même si le contrat ne précisait pas les modalités d’exercice de cet avis6, puisque la faute d’omission est considérée avoir lieu à l’endroit où l’obligation préexistante doit être remplie, à savoir le lieu où l’avertissement aurait dû être reçu7.

Le préjudice économique : un facteur de rattachement suffisant

Partner Re invoque également que le simple préjudice économique n’est pas un facteur de rattachement suffisant. Au contraire, la Cour rappelle que cette question a déjà été tranchée8 et que ce type de préjudice est suffisant s’il a été subi pour l’essentiel au Québec, plutôt que d’y être simplement comptabilisé.

Ici, le préjudice invoqué par Optimum découle non seulement du fait d’avoir été privée des valeurs de reprise, mais également de la difficulté de gérer les portefeuilles situés au Québec et les contrats d’assurance sur la vie d’assurés québécois9. Partant, le préjudice économique a donc bel et bien eu lieu au Québec

Une demande en jugement déclaratoire peut être fondée sur l’article 3148 C.c.Q.

Finalement, Partner Re affirme que comme l’article 3148 C.c.Q. fonde la compétence du tribunal sur les aspects classiques d’un recours en dommage, il ne peut être invoqué dans le cadre d’une action en jugement déclaratoire puisqu’il n’y a pas de réclamation visant l’indemnisation de dommages.

La Cour rappelle que cet article peut viser une demande en jugement déclaratoire, dans la mesure où cette demande cherche à régler une difficulté réelle. Dans le présent cas, Optimum allègue une difficulté réelle, soit le fait d’avoir été privée des valeurs de reprise. Ainsi, même si elle n’en réclame pas le remboursement, cela n’empêche pas d’en faire l’assise de la compétence des tribunaux québécois dans le cadre d’une demande en jugement déclaratoire10.

Les clauses d’élection de for : une solution simple

Une façon simple d’éviter ce type de problème est de prévoir spécifiquement au contrat une clause par laquelle les parties identifient à l’avance les tribunaux qui auront compétence pour décider de toute mésentente, aussi appelée une clause d’élection de for. En effet, le droit québécois prévoit la validité de ces clauses11. De plus, la jurisprudence reconnaît leur importance puisqu’elles confèrent aux relations commerciales une prévisibilité et une stabilité, soit deux principes fondamentaux du droit international privé12.

Pour toutes questions relatives à cet article, adressez-vous aux membres de notre équipe de droit des assurances, de la responsabilité civile et professionnelle ici ou encore aux auteures du présent billet :

Me Marie-hélène Bétournay, Associée
Marie-helene.betournay@steinmonast.ca
418 640-4454

Me Catherine Pilote-Coulombe, Avocate
Catherine.pilote-coulombe@steinmonast.ca
418 640-4445


1 Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490
2 À noter que l’article 3150 C.c.Q. prévoit spécifiquement la compétence des tribunaux en matière d’assurance, mais que vu les conclusions de la Cour quant à l’article 3148 C.c.Q., celle-ci ne se prononce pas sur la question de savoir si l’article 3150 C.c.Q. peut s’appliquer à un contrat de réassurance.
3 Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490, par. 47.
Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490, par. 48.
5 Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490, par. 55.
6 Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490, par. 61.
Air Canada c. Mcdonnell Douglas Corp., [1989] 1 RCS 1554, p. 1569.
8 Dans l’affaire Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, par. 45-46.
Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490, par. 84.
10Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490, par. 90-92.
11 3148 (4o) C.c.Q.
12GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, par. 22

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