La clause «Shotgun» – Un duel digne du Far West

29 October 2020

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Lors de la négociation d’une convention entre actionnaires, les futurs partenaires d’affaires se questionnent fréquemment sur l’opportunité d’insérer une clause « shotgun ». L’inclusion d’une telle clause n’est pas automatique. Au contraire, elle devrait être analysée avec sérieux et être ajoutée au contrat seulement si les parties sont prêtes à accepter les conséquences drastiques de son application éventuelle.

Nature de la clause et opportunité

La clause « shotgun » est un duel digne du « Far West »1 qui se présente usuellement de deux façons, modulables quant à son mécanisme :

1) l’actionnaire offrant offre de vendre ses actions à son co-actionnaire, et si ce dernier refuse de les acheter, il se voit dans l’obligation d’offrir ses propres actions à l’actionnaire offrant (lequel est forcé ou non de les acheter, selon ce qui sera convenu par les actionnaires); ou

2) l’actionnaire offrant offre d’acheter les actions de son co-actionnaire, et si ce dernier refuse de les lui vendre, il se voit dans l’obligation d’acheter les actions de l’actionnaire offrant.

Cette clause devrait être insérée principalement lorsque deux ou trois actionnaires détiennent les actions à parts égales dans une société. Il est alors possible que les parties se retrouvent dans une impasse à l’occasion d’un conflit et qu’elles souhaitent mettre un terme à leur aventure commerciale.

Au-delà de trois actionnaires, ou si la détention des actionnaires est inégale, il peut devenir hasardeux d’intégrer ce genre de clause à une convention entre actionnaires. Il faut éviter que la clause « shotgun » devienne un outil qui permettrait à un actionnaire d’échapper à l’application d’autres dispositions qui pourraient s’avérer plus opportunes, comme la clause de retrait.

Même si les actionnaires sont égalitaires, il convient de considérer d’autres facteurs avant d’insérer une telle clause, comme l’âge de chacun des actionnaires et leur implication respective dans les opérations courantes de l’entreprise.

Termes et conditions

La réciprocité constitue l’essence d’une offre d’achat exercée en vertu d’une clause « shotgun »2. L’actionnaire offrant doit se rappeler que toutes les conditions présentées à l’offre d’achat lui seront applicables si son partenaire refuse de lui vendre ses actions et décide plutôt d’acheter les siennes. La bonne foi doit toujours guider la conduite des parties.

  • Prix des actions et modalités de paiement

Quant à la fixation du prix des actions, les actionnaires peuvent convenir d’avance dans la clause « shotgun » d’une formule d’évaluation de leur valeur ainsi que des modalités de paiement. En fixant à l’avance des paramètres objectifs, les actionnaires ne seront pas à la merci d’un prix établi selon le libre arbitre de l’actionnaire offrant ni confrontés à des modalités de paiement déraisonnables.

Il est aussi possible de prévoir à la clause « shotgun » que l’actionnaire offrant pourra déterminer le prix qu’il jugera raisonnable au moment de l’exercice de la disposition. Cette option peut ouvrir la porte aux abus. Par exemple l’actionnaire pourrait profiter d’une difficulté financière de son partenaire d’affaires pour offrir un prix escompté, ou pour exiger que le paiement se fasse en un seul versement comptant.

  • Autres conditions

La clause « shotgun » peut prévoir d’autres conditions à sa réalisation, telles que le remboursement par la société des avances consenties par l’actionnaire sortant, la libération des cautionnements personnels octroyés par ce dernier en garantie des créances de la société et le respect des engagements de non-concurrence et de non-sollicitation qui pourraient être opposables à l’actionnaire sortant.

L’offre d’achat devra minimalement prévoir les termes et conditions convenus à la clause « shotgun », mais pourra également établir des modalités additionnelles, dans la mesure où elles n’entrent pas en contradiction avec la convention entre actionnaires3. Suivant l’acceptation de l’offre d’achat, la convention d’achat/vente des actions qui suivra devra, quant à elle, être conforme aux termes essentiels de l’offre d’achat4.

Autres considérations pratiques

L’actionnaire désireux d’exercer la clause « shotgun » doit procéder de façon organisée, et non pas à la hâte. Certains aspects pratiques doivent être considérés avant d’enclencher un tel processus.

Il convient d’abord de vérifier si la transaction envisagée peut être sujette à l’obtention du consentement de tiers. À titre d’exemple, il est probable que la société ait conclu certaines ententes de prêt. Ces ententes peuvent prévoir que le consentement écrit préalable du créancier est requis avant de procéder à tout changement de contrôle de la société ou encore qu’aucune avance ne puisse être remboursée avant que le prêt consenti par le créancier ne soit remboursé dans son intégralité. Il pourrait donc être requis de trouver un terrain d’entente avec le prêteur pour éviter de mettre la société en défaut aux termes de ses conventions de prêt.

Il en va de même de l’obtention du consentement des créanciers eu égard à la libération des cautionnements personnels consentis par l’éventuel actionnaire sortant. La pratique nous apprend qu’il est possible que ce consentement ne puisse être obtenu avant la clôture de la transaction, de sorte que l’offre d’achat devrait prévoir que l’actionnaire offrant tiendra l’actionnaire sortant indemne et à couvert de toute réclamation faite contre lui en raison de cautionnements personnels non libérés.

Il peut également être opportun de communiquer avec l’assureur de la société afin de vérifier si des approbations doivent être obtenues ou si certaines polices devront être annulées ou cédées en raison de la transaction envisagée.

Il s’avère primordial d’effectuer ces vérifications au préalable afin d’éviter les mauvaises surprises, car n’oublions pas qu’une fois la clause « shotgun » enclenchée, il n’y aura qu’un seul gagnant.

Pour des questions en matière corporative, adressez-vous à notre équipe ici ou encore à l’autrice du présent billet :

Me Sophie Vachon-Therrien, avocate
sophie.vachon-therrien@steinmonast.ca
418 476-3619


1 Fondements doctrinaux tirés de : MARTEL, Paul, Les conventions entre actionnaires : une approche pratique, 2011, 10e ed., Éditions Wilson & Lafleur, ltée, chapitre 4.
2 Désy c. Groulx, 2019 QCCS 4776, par. 54.
3 Idem.
4 Trépanier c. Trépanier, 2008 QCCA 425, par. 42.

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