Dans le contexte de crise sanitaire que nous vivons actuellement et des conséquences économiques qui en résultent pour la plupart des entreprises, il devient intéressant d’examiner l’application de la clause de « changement défavorable important » qu’on retrouve fréquemment dans la documentation juridique préparée dans un contexte d’acquisition d’entreprise ou de financement.
Nature de la clause
La clause de « changement défavorable important » constitue généralement une des conditions préalables imposées par un acheteur qui s’apprête à se porter acquéreur d’une entreprise.
Cette clause permettra de se retirer de la transaction envisagée, sans pénalité, lorsque survient, avant la date prévue pour la conclusion de la transaction, l’un ou l’autre des changements ou des situations qui sont décrits dans la clause.
Libellé d’une clause de « changement défavorable important »
Le libellé de cette clause fait généralement l’objet de négociation entre les avocats des parties impliquées dans la transaction. Les avocats de l’acheteur auront intérêt à étendre le plus possible les situations donnant ouverture à la clause, alors que ceux du vendeur auront plutôt intérêt à en restreindre l’application le plus possible.
Voici un exemple d’une clause de « changement défavorable important » :
« Changement défavorable important » désigne à l’égard d’une personne, un fait ou un état de fait, une circonstance, un changement, un effet ou un évènement qui, individuellement ou globalement, a ou est raisonnablement susceptible d’avoir un effet défavorable important sur l’entreprise, les actifs, les biens, la situation (financière ou autre), les activités, les résultats d’exploitation de cette personne et de ses filiales sur une base consolidée, ou sur leur capacité d’exécuter leurs obligations aux termes de la présente convention. »
Si nous avions à interpréter cette clause dans le contexte de la crise actuelle, nous pourrions convenir assez facilement que l’impact économique résultant de la COVID-19 sur la plupart des entreprises exerçant leurs activités au Québec (autres que celles rendant des services prioritaires) permettrait à un acheteur d’invoquer cette clause pour se retirer de la transaction envisagée.
Toutefois, ce n’est généralement pas si simple puisque dans le cadre des négociations d’une telle clause, le vendeur aura généralement pris soin d’en réduire l’application en y décrivant des situations qui, malgré leur impact sur son entreprise, ne seront pas assimilées à des changements défavorables importants. En voici quelques exemples :
« Ne constitue pas un changement défavorable important un état de fait, une circonstance, un changement, un effet ou un évènement résultant de ce qui suit :
a) un changement dans les principes comptables généralement reconnus ou des changements dans les exigences comptables réglementaires applicables aux secteurs au sein desquels une personne exerce ses activités;
b) un changement ou un fait nouveau relatif aux conditions économiques, commerciales ou réglementaires ou aux marchés financiers ou marchés des capitaux nationaux ou mondiaux;
c) un élément qui a été expressément divulgué par écrit par cette personne préalablement à la clôture de la transaction dans une lettre de divulgation;
d) une variation des taux d’intérêt, du taux de change entre les dollars canadien et américain ou des prix des matières premières;
e) un changement ou un fait nouveau relatif à la situation politique internationale, nationale ou régionale (y compris un acte de terrorisme ou le déclenchement d’hostilités ou de guerres ou leur escalade ou aggravation) ou une catastrophe naturelle;
f) un changement ou un fait nouveau touchant les secteurs au sein desquels cette personne ou ses filiales exercent leurs activités;
g) la négociation, la signature ou l’annonce de la conclusion de la présente convention, y compris la perte ou la menace de perte ou la modification défavorable ou la menace de modification défavorable de la relation de cette personne ou de l’une de ses filiales avec l’un de leurs fournisseurs, clients, concédants de licence, organismes de réglementation, locateurs, employés, sources de financement ou actionnaires en résultant;
h) une mesure prise (ou omise) par une personne ou par une de ses filiales qui doit être prise (ou omise) conformément à la présente convention ou demandée par écrit par l’autre partie aux présentes, ou le défaut de prendre des mesure interdites par la présente convention. »
En réaction aux exceptions proposées par les avocats du vendeur, l’acheteur voudra tout de même s’assurer que, malgré ces exceptions, l’entreprise qu’il s’apprête à acquérir ne sera pas affectée par l’une ou l’autre des situations faisant partie de ces exceptions de manière disproportionnée par rapport à ses concurrents.
À cette fin, il s’assurera d’ajouter, après la description des exceptions mentionnées ci-dessus, la clause suivante :
« Pourvu toutefois qu’un tel évènement, changement ou effet dont il est fait mention ci-dessus n’ait pas un effet défavorable nettement disproportionné sur le vendeur ou ses filiales pris dans leur ensemble comparativement à des sociétés comparables exerçant leurs activités dans les secteurs au sein desquels le vendeur et ses filiales exercent leurs propres activités. »
Conclusion
Si on devait s’en tenir à la clause de « changement défavorable important » dans son libellé initial, l’acheteur aurait pu se retirer de la transaction puisque la crise actuelle constitue un changement défavorable important en ce qu’elle affecte de manière générale la situation financière de l’entreprise visée.
Toutefois, en tenant compte des exceptions intégrées par le vendeur au libellé initial dans le but de restreindre l’application d’une telle clause, l’acheteur n’aurait pu se retirer de la transaction envisagée puisque la crise actuelle affecte toutes les entreprises, tout secteur d’activité confondu, sauf celles dont les activités figurent parmi la liste des services prioritaires.
De manière pratique, la résiliation d’une transaction pour un motif de changement défavorable important ne constitue pas la seule option possible. En effet, plutôt que de mettre fin à la transaction, un acheteur pourrait demander de reporter la clôture de la transaction pour lui permettre d’évaluer plus précisément les impacts de la crise sur l’entreprise visée ou encore renégocier à la baisse le prix initialement offert.
Le caractère inédit de la situation de crise actuelle, aussi improbable qu’inattendue, jette un éclairage nouveau sur une clause rarement invoquée pour mettre fin à une opération d’acquisition ou de financement. Parions qu’à compter de maintenant, le libellé d’une clause de « changement défavorable important » fera l’objet d’une attention accrue de la part des parties à une transaction. De même, verrons-nous l’utilisation généralisée des termes comme «crise sanitaire», «épidémie» et «pandémie» dans le libellé d’une telle clause à titre d’illustration de ce qu’est un changement défavorable important.
Pour des questions en matière d’acquisition ou de financement, adressez-vous à notre équipe ici ou encore à l’auteur du présent billet :
Me Michel Demers, Associé Michel.demers@steinmonast.ca 418 640-4408 |