La Cour supérieure s’est penchée sur la notion de nullité ab initio du contrat d’assurance dans l’affaire Croteau (Succession de Roy) c. TD Compagnie d’assurance-vie, 2020 QCCS 3539. Après avoir rappelé les principes applicables et l’importance de la déclaration initiale du risque, le tribunal a tranché en faveur de l’assureur.
Le contexte
En juillet 2012, Stéphane Roy (« Roy ») et Nancy Croteau (« Croteau ») achètent une résidence à Québec. Ils contractent un emprunt auprès de la banque Toronto-Dominion (la « Banque »). La Banque offre à Roy de souscrire une police d’assurance-prêt hypothécaire maladie grave et vie.
Une proposition est complétée par Roy le 6 août 2012 et il répond à certaines questions sur son état de santé. Une des réponses est positive et Roy doit remplir un questionnaire médical plus détaillé. Il déclare alors avoir un taux élevé de cholestérol et souffrir d’anxiété et de dépression. La Banque fait suivre le questionnaire à l’assureur qui requiert alors que soit rempli un autre questionnaire expédié à Roy par la poste. Roy ayant déménagé dans l’intervalle, il ne recevra jamais ce dernier questionnaire. N’ayant reçu aucune réponse, l’assureur conclut que la démarche est abandonnée et ferme son dossier.
Vers la fin 2015, Roy et Croteau se séparent. Roy rachète la part de Croteau dans l’immeuble et souscrit à un nouvel emprunt auprès de la Banque qui lui offre la protection d’assurance vie couvrant le solde hypothécaire. Une proposition est complétée par Roy le 20 octobre 2016. Il répond à certaines questions portant sur son état de santé. Les réponses données par Roy entraînent une démarche plus approfondie de l’assureur, qui approuve finalement l’assurance suivant la réception des informations médicales demandées.
Roy décède le 16 novembre 2017. Croteau, liquidatrice et ex-conjointe du défunt, réclame le paiement de l’indemnité d’assurance. L’assureur effectue une enquête et conclut qu’il y a eu fausses déclarations ou omissions matérielles au moment de la souscription en ce que Roy aurait omis de déclarer qu’il avait été traité pour une dépression, qu’il avait des problèmes intestinaux, qu’il avait reçu des résultats de tests anormaux et qu’il recevait une rente d’invalidité.
la nature du contrat d’assurance : la plus haute bonne foi
Le tribunal rappelle que le niveau de bonne foi exigé en matière d’assurance est plus élevé que pour tout autre type de contrat. En effet, le contrat d’assurance repose sur la plus haute bonne foi. Cela se justifie notamment par l’importance de la notion de risque qui en est l’élément fondamental. Pour évaluer adéquatement le risque, l’assureur doit pouvoir compter sur la plus haute bonne foi du preneur.
Comme celui qui sollicite une protection d’assurance sait habituellement des choses que l’assureur ignore, il doit déclarer les éléments pertinents propres à permettre à l’assureur de procéder à une évaluation convenable du risque soumis.
Le tribunal rappelle plusieurs principes applicables en cette matière. C’est d’abord à l’assureur qu’incombe le fardeau de la preuve de convaincre le tribunal d’annuler la police d’assurance en vigueur. Ensuite, le preneur a l’obligation de déclarer les faits qu’il connaît et qui sont pertinents à l’évaluation du risque et à la fixation de la prime. Cette obligation s’apprécie en fonction du test de l’assuré raisonnable et normalement prudent. Enfin, le fait de ne pas déclarer les éléments pertinents au risque peut entraîner la nullité du contrat d’assurance.
Décision
D’abord, le tribunal conclut à l’existence de fausses déclarations en réponse à des questions claires de l’assureur.
Croteau plaidait que la condition dépressive de Roy avait été divulguée dans un questionnaire de 2012. Citant l’article 2408 C.c.Q. et l’arrêt Falduto c. Compagnie d’assurance vie Federated du Canada1 le tribunal écarte cet argument et rappelle qu’une réponse apparaissant dans une proposition antérieure ne peut excuser une fausse déclaration ultérieure lorsqu’il s’agit de deux demandes différentes.
Quant à l’omission de déclarer l’existence d’une rente d’invalidité, Croteau référait à trois demandes de crédit personnel remplies pour la Banque. Ces documents précisaient les revenus de Roy, dont ceux de retraite et d’invalidité. Or, selon le tribunal, il faut distinguer la Banque et l’assureur même si l’un peut parfois agir comme mandataire de l’autre. La Banque n’avait pas à communiquer ces informations, surtout si elle ne disposait pas d’un consentement pour le faire.
Ensuite, le tribunal réitère que pour obtenir la nullité du contrat d’assurance, il ne suffit pas d’établir qu’il y a eu omission de déclarer ou fausse représentation. Citant l’arrêt de principe CGU, compagnie d’assurances du Canada c. Paul2, le fardeau de l’assureur comporte deux volets : « Il doit justifier sa position sur l’importance de ce qui est reproché. Il lui faut référer aux normes de souscription ou de tarification qu’il utilise. De plus, l’article 2408 C.c.Q. impose une analyse qui va au-delà des pratiques de l’assureur concerné. On doit voir plus large et comparer sa décision avec le marché de l’assurance pour ce genre de produit, ce qui se prouve par le témoignage de tiers familiers de l’industrie. »3.
Après avoir entendu la directrice de la souscription de l’assureur ainsi qu’une experte et consultante en tarification indépendante, le tribunal conclut que l’assureur s’est déchargé de son fardeau, rejette la réclamation de Croteau et déclare la couverture d’assurance de Roy nulle ab initio.
Commentaires
Cette décision constitue un rappel important de l’obligation du preneur de déclarer le risque et du fardeau imposé à l’assureur qui veut obtenir la nullité ab initio du contrat d’assurance en raison d’un manquement à cette obligation.
Elle confirme qu’en plus d’être légitime, l’analyse du risque par l’assureur fait partie des éléments essentiels qui lui permettent d’accepter une proposition de façon éclairée. C’est pourquoi le preneur a l’obligation positive et spontanée de déclarer les faits qu’il connaît et qui sont pertinents à l’évaluation du risque et à la fixation de la prime.
Cette décision confirme également que le fardeau de l’assureur comporte deux volets : une preuve subjective établissant que, correctement informé, l’assureur n’aurait pas accepté le risque et une preuve objective qu’un assureur raisonnable aurait pris la même décision.
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1 Falduto c. Compagnie d’assurance vie Federated du Canada, 2008 QCCA 438.
2 CGU, compagnie d’assurances du Canada c. Paul, 2005 QCCA 315.
3 Par. 72.