La responsabilité contractuelle des copropriétaires pour le fait des biens sous leur garde : la Cour du Québec clarifie les implications de l’article 1074.2 C.c.Q.

1 août 2024

 

Depuis l’entrée en vigueur le 17 mars 2020 de la deuxième mouture de l’article 1074.2 C.c.Q., plusieurs questionnements ont été soulevés quant à l’étendue de la responsabilité des copropriétaires divis, notamment en présence d’une clause de responsabilité dans la déclaration de copropriété.

La récente décision de la Cour du Québec, Syndicat de la copropriété 650 Marcel-Laurin c. Neng1 clarifie les choses. Mes Maud Rivard et Cloé Gélinas vous expliquent.

Les faits

Le 19 janvier 2021, une fuite d’eau survient par la toilette de l’unité de Mme Neng Liu (la « Copropriétaire ») causant des dommages à deux (2) autres unités privatives de l’immeuble.

Le syndicat de copropriété (le « Syndicat ») poursuit la Copropriétaire afin de lui réclamer le montant des dommages subis, estimant que cette dernière en est responsable pour ne pas avoir réparé et entretenu adéquatement sa toilette. Selon le Syndicat, il s’agirait d’une violation d’une obligation contractuelle prévue à la déclaration de copropriété (la « Déclaration »).

En outre, le Syndicat prétend que même si le Tribunal conclut que la Copropriétaire n’est pas responsable de la fuite en soi, ayant agi en tant que personne prudente et diligente, elle doit tout de même être condamnée en vertu de la clause contractuelle suivante de la Déclaration :

« 7° Each co-owner shall be responsible towards the other co-owners and the syndicate for damages resulting from his fault or negligence or that of one of his employees or caused by articles for which he is responsible. »

(la « Clause »)

Le Syndicat soutient que la Clause impose à la Copropriétaire le fardeau de faire la preuve que les dommages sont dus à une cause qui ne lui est pas imputable, lui offrant ainsi comme seuls moyens d’exonération la preuve d’une force majeure, de la faute d’un tiers ou de la faute de la victime.

La Copropriétaire conteste cette prétention, étant d’avis que la Clause doit être réputée non écrite, étant contraire à l’article 1074.2 C.c.Q. :

« 1074.2. Les sommes engagées par le syndicat pour le paiement des franchises et la réparation du préjudice occasionné aux biens dans lesquels celui-ci a un intérêt assurable ne peuvent être recouvrées des copropriétaires autrement que par leur contribution aux charges communes, sous réserve des dommages-intérêts qu’il peut obtenir du copropriétaire tenu de réparer le préjudice causé par sa faute et, dans les cas prévus au présent code, le préjudice causé par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’il a sous sa garde.

Est réputée non écrite toute stipulation qui déroge aux dispositions du premier alinéa. »

La décision

La contractualisation du régime du fait des biens et la responsabilité de la Copropriétaire à titre de gardienne du bien (art. 1074.2 et 1465 C.c.Q.)

D’emblée, la Cour rappelle que la relation envisagée à l’article 1074.2 C.c.Q. est de nature contractuelle.

Cet article fait notamment référence au régime du fait des biens (art. 1465 C.c.Q.), qui prévoit une présomption de faute du gardien du bien (la « Présomption de faute ») et la possibilité pour celui-ci de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant n’avoir commis aucune faute.

Ainsi, le copropriétaire visé par l’article 1074.2 C.c.Q. bénéficie de ce moyen d’exonération, qui renvoie à une obligation contractuelle de moyens.

Le second alinéa de l’article 1074.2 C.c.Q. prohibe l’intensification de cette obligation de moyens dans la déclaration de copropriété.

Par conséquent, l’interprétation que fait le Syndicat de la Clause n’est pas permise, puisqu’elle reviendrait à imposer une responsabilité stricte ou une obligation de résultat au copropriétaire, qui ne pourrait s’exonérer en prouvant l’absence de faute de sa part, comme le lui permet l’article 1465 C.c.Q., intégré à l’article 1074.2 C.c.Q.

La Cour conclut donc que c’est l’interprétation du Syndicat qui est problématique et non la Clause en elle-même, dont le libellé ne constitue qu’un renvoi à l’article 1074.2 C.c.Q. Ainsi, la Cour n’en déclare pas la nullité.

En ce qui concerne la responsabilité de la Copropriétaire en vertu du régime du fait des biens, la Cour conclut que cette dernière a repoussé la Présomption de faute, en ce qu’elle a réussi à démontrer avoir pris tous les moyens raisonnables afin de prévenir le fait ayant causé le dommage :

  • Elle visitait et nettoyait régulièrement la salle d’eau;
  • Elle n’a jamais observé d’eau sur le plancher ou de bruits inquiétants émanant de la toilette;
  • Elle n’a constaté aucun dysfonctionnement de la toilette avant le sinistre.

La responsabilité contractuelle de la Copropriétaire pour défaut d’avoir respecté la Déclaration (art. 1074.2 et 1458 C.c.Q.)

La Cour conclut que le Syndicat n’a pas démontré que la Copropriétaire aurait contrevenu à son obligation contractuelle d’entretien et de réparation à l’égard de la toilette. Plus précisément, le Syndicat a été incapable d’établir ce qui aurait dû être fait comme entretien ou réparation.

Par ailleurs, la Cour conclut que le Syndicat n’a pas davantage réussi à prouver que la Copropriétaire s’était aveuglée volontairement en ne faisant pas vérifier la toilette et ses composantes, malgré la présence de signes révélateurs d’une fuite. En effet, le Syndicat n’a pas démontré l’étendue de la présence de ces signes allégués.

Que retenir?

– Plusieurs enseignements clés peuvent être tirés de cette décision :

– Le deuxième alinéa de l’article 1074.2 C.c.Q. pose une limite importante à la liberté contractuelle dont bénéficie la relation du syndicat de copropriété et des copropriétaires, en ce qu’une déclaration de copropriété ne peut prévoir de clauses imposant une obligation de résultat ou une responsabilité stricte des copropriétaires pour le fait des biens qui sont sous leur garde, à l’égard desquels ils ont plutôt une obligation contractuelle de moyens;

– Ainsi, peu importe l’interprétation que fait un syndicat des clauses de la déclaration de copropriété, un copropriétaire dont la responsabilité est recherchée à titre de gardien du bien pour le fait de celui-ci peut s’exonérer en démontrant l’absence de faute de sa part, et ce, conformément aux articles 1074.2 et 1465 C.c.Q.;

– Une simple preuve générale d’absence de faute suffit;

– Par ailleurs, le syndicat qui allègue la responsabilité d’un copropriétaire sous le régime du fait des biens doit administrer une preuve moindrement précise quant aux causes potentielles du fait autonome du bien en question et de ses composantes;

– À défaut de ce faire, la réclamation du syndicat devra être rejetée, puisqu’il serait autrement difficile, voire impossible pour le copropriétaire de repousser la Présomption de faute en démontrant qu’il a entretenu et réparé adéquatement et raisonnablement les diverses composantes du bien, ne sachant pas lesquelles sont en cause;

– L’on ne peut imposer à un copropriétaire l’obligation de remplacer toute composante de tout bien qui pourrait potentiellement engendrer des fuites d’eau (ou tout autre type de dommages) pour repousser la Présomption de faute;

– Lorsqu’il allègue la violation d’une obligation contractuelle d’entretien et de réparation, le syndicat doit prouver ce qui aurait dû être fait comme entretien ou réparation. Il doit indiquer le contenu normatif qu’aurait dû revêtir cette obligation contractuelle et les normes d’entretien pour un bien du même âge auxquelles le copropriétaire aurait contrevenu;

– Le syndicat doit également indiquer les omissions d’entretien précises et leur causalité quant à la survenance du dommage, preuve qui relève de l’expertise;

– Lorsqu’il allègue un aveuglement volontaire du copropriétaire, le syndicat doit déterminer l’étendue de la présence de signes avant-coureurs allégués;

– En l’absence de signes avant-coureurs de défectuosité affectant un bien, un copropriétaire n’a pas l’obligation de le faire vérifier de manière régulière par des spécialistes externes – une surveillance générale convient.

Pour toute question en matière de copropriété divise, communiquez avec un membre de notre équipe ici ou encore avec les autrices du présent billet :

Me Maud Rivard, associée
maud.rivard@steinmonast.ca
418 640-4423

Me Cloé Gélinas, avocate
cloe.gelinas@steinmonast.ca
581 216-3017


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