Au moment de la rédaction d’un contrat, les parties ont habituellement l’objectif commun de stipuler des dispositions claires et précises reflétant leur entente.
Toutefois, il est possible qu’au moment d’exécuter le contrat, des difficultés surviennent dans l’application de certaines dispositions, notamment si celles-ci sont contradictoires ou permettent aux parties d’en tirer des conclusions différentes.
Interprétation
La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Uniprix c. Gestion Gosselin et Bérubé1, a prévu deux grandes étapes que les tribunaux doivent respecter dans l’exercice d’interprétation d’un contrat.
Il faut d’abord déterminer si les termes du contrat sont clairs ou ambigus. En effet, le fait que des parties se heurtent à une divergence d’ordre interprétatif n’entraîne pas automatiquement la présence d’une réelle ambiguïté. Si les termes sont clairs, il faut simplement les appliquer à la situation en cause. Lors de cette première étape, le juge ne devrait pas recourir aux principes d’interprétation énoncés aux articles 1425 à 1432 du Code civil du Québec. Il peut cependant considérer le contexte entourant la conclusion et l’exécution du contrat afin de confirmer la clarté de ses termes.2 Cette première étape se veut plus superficielle que la seconde, mais demeure toutefois nécessaire pour éviter de dénaturer un contrat dont les termes sont déjà clairs.
Si une ambiguïté ou un doute est décelé quant au sens à donner aux termes d’un contrat, il faut alors avoir recours aux principes d’interprétation prévus au Code civil du Québec (C.c.Q.). L’un des jalons guidant cette seconde étape est le principe établi à l’article 1425 C.c.Q.
1425 C.c.Q. : la recherche de la commune intention des parties
Cet article commande que le sens littéral des termes utilisés soit mis de côté au profit d’une recherche de la commune intention des parties.
La commune intention des parties signifie qu’il faut s’attarder à ce dont les parties ont véritablement voulu convenir au moment de la formation du contrat plutôt qu’au sens littéral de ce qui y est stipulé. Cependant, il demeure tout à fait possible que le tribunal, bien qu’une ambiguïté ait été identifiée, conclue au terme de son analyse que le sens littéral des termes est celui qui convient le mieux en l’espèce.
Dans 7235313 Canada inc. c. Sobeys Capital incorporée3 (respectivement « 7235 » et « Sobeys »), le tribunal est saisi d’une demande en jugement déclaratoire. Les parties ont des points de vue opposés quant aux droits et obligations prévus dans un bail.
Sobeys a adressé à 7235 une offre de location d’une durée initiale de quinze (15) ans, laquelle fut acceptée par 7235 le 10 décembre 2009. Il est à noter que (i) la durée initiale de quinze (15) ans était une demande de 7235, notamment pour faciliter son financement, (ii) que Sobeys a accepté cette demande sous réserve de bénéficier du droit de résilier le bail après dix (10) ans (le « Droit de résiliation ») et (iii) que 7235 a demandé et obtenu que le Droit de résiliation soit constaté dans un document distinct.
Le 12 avril 2010, les parties signent donc le bail d’une durée de quinze (15) ans (le « Bail »), qui inclut une clause d’interprétation intitulée « Convention complète » (la « Clause ambiguë »).
En 2019, 7235 reçoit une offre d’achat pour les lieux loués et avise Sobeys de l’offre conformément au droit de premier refus prévu dans le Bail. Sobeys n’exerce pas son droit de premier refus et avise 7235 qu’elle exerce plutôt son Droit de résiliation.
7235 étant d’avis que la Clause ambiguë rend caduc le Droit de résiliation, le tribunal doit déterminer si la commune intention des parties était, lors de la signature du Bail, d’y incorporer le Droit de résiliation. En tenant compte des circonstances entourant la conclusion de l’offre de location et du Bail ainsi que le comportement des parties, le tribunal conclut que l’intention des parties était de convenir d’un Droit de résiliation en faveur de Sobeys.
Les clauses d’intégralité
La commune intention des parties peut parfois être reflétée dans une clause d’intégralité stipulée au contrat. Ce type de clause a notamment pour objectif de guider l’interprétation et spécifier le traitement que doivent recevoir certains documents précontractuels ou accessoires à un contrat faisant l’objet de l’exercice d’interprétation.
Par exemple, il n’est pas rare de prévoir que le contrat représente l’accord complet des parties et qu’il annule et remplace toutes les négociations ou contrats intervenus antérieurement entre elles.
Par ailleurs, dans certaines circonstances, il sera jugé préférable d’établir la primauté d’un contrat, de sorte que d’autres écrits le complètent sous réserve que leurs dispositions ne soient pas incompatibles. Ces clauses peuvent être d’une grande utilité lorsqu’elles sont bien rédigées et qu’elles sont adaptées au contexte précis du contrat.
Dans la décision Aéroports de Montréal c. Meilleur4, la Cour d’appel a donné pleine application aux clauses d’intégralité spécifiques qui étaient prévues aux contrats, puisqu’elles représentaient la volonté des parties d’exclure expressément les ententes intervenues dans le processus de négociation ainsi que tout renvoi à la phase précontractuelle. En cas de doute, il n’était donc pas possible d’utiliser ces éléments pour interpréter les contrats.
Malgré l’utilité d’une clause d’intégralité, il n’en demeure pas moins qu’il faut rester vigilant lors de la rédaction et de l’utilisation d’une telle clause. Il faut prendre le temps de l’adapter à la situation en cause, puisqu’à défaut, les tribunaux pourraient l’écarter afin de rechercher la véritable intention des parties5. En effet, les tribunaux seront plus enclins à appliquer une clause d’intégralité spécifique plutôt qu’une clause de style ne reflétant pas la véritable intention des parties6.
Conclusion
Les parties à un contrat ont grandement intérêt à convenir de dispositions précises, limpides et exemptes de contradictions afin d’éviter tout litige en matière d’interprétation. Ironiquement, certaines clauses visant à faciliter l’interprétation d’un contrat peuvent elles aussi devenir source d’ambiguïté et nécessiter un exercice d’interprétation si elles ne sont pas soigneusement rédigées, comme l’a démontré l’affaire Sobeys7.
Pour toute question relative à la rédaction, la négociation ou à l’interprétation d’un contrat, adressez-vous aux membres de notre équipe en droit des affaires ici ou à l’auteur du présent billet8:
Antoine Leclerc, avocat
antoine.leclerc@steinmonast.ca
418 649-4010
1 [2017] 2 R.C.S.
2 Habitations Gilles Stébenne inc. c. 9166-9929 Québec inc., 2016 QCCS 2953, par. 34 et 41 à 47.
3 2020 QCCS 4190.
4 1997 CanLII 10820 (QC CA).
5 Préc., note 4, 2020 QCCS 4190.
6 Caroline DION et Marc-André Landry, « Les clauses standards dans les contrats commerciaux : leur raison d’être et leurs effets pratiques », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit des affaires (2016), Cowansville, Éditions Yvon Blais, à la page 5.
7 Préc., note 4, 2020 QCCS 4190.
8 L’auteur remercie madame Rosalie Grenier, stagiaire en droit, pour son apport au présent texte.