En matière d’assurance de responsabilité civile, il n’est pas rare qu’une police d’assurance dite primaire soit souscrite pour un montant d’assurance déterminé et que toute somme réclamée au-delà de la limite d’assurance de la police primaire soit couverte par la police dite excédentaire, jusqu’à concurrence de sa propre limite. Plusieurs polices d’assurance excédentaires peuvent être souscrites jusqu’à ce que le montant d’assurance désiré par l’assuré soit atteint.
La police d’assurance primaire agit comme police de référence quant aux termes et conditions, tandis que la police d’assurance excédentaire prévoit le plus souvent qu’elle adopte les mêmes termes et conditions. Le terme « follow form » est fréquemment employé pour qualifier une telle police excédentaire. Pour assurer une application et une couverture uniforme, les polices d’assurance devraient en effet être homogènes quant à leurs éléments essentiels. En cas de divergence entre le texte des polices, des difficultés d’interprétation et d’application peuvent survenir.
La Cour d’appel de l’Ontario, dans sa récente décision Cronos Group inc. v. Assicurazioni Generali S.p.A., 2022 ONCA 525, jette un éclairage nouveau sur l’interaction entre les polices d’assurances primaire et excédentaire. Plus particulièrement, elle analyse les clauses d’extension de la période de couverture contenues dans une police d’assurance primaire et leur impact sur la couverture de la police excédentaire.
Les faits
Cronos Group inc. (« Cronos ») est une entreprise internationale œuvrant dans la vente de cannabis et de ses produits dérivés. Elle disposait d’une police d’assurance primaire couvrant la responsabilité de ses administrateurs et dirigeants jusqu’à concurrence de 5 000 000 $ (« police primaire »). Elle avait également souscrit une police d’assurance excédentaire, de type « follow form », couvrant un montant additionnel équivalent (« police excédentaire »).
La police primaire prévoyait qu’en cas de non-renouvellement, Cronos pouvait se prévaloir d’une clause optionnelle permettant, malgré l’expiration de la police, de prolonger la durée de celle-ci en échange du paiement d’une prime additionnelle (« clause OEP »). Ainsi, la clause OEP permettait à Cronos de dénoncer à son assureur primaire toute réclamation lui étant formulée durant la période de couverture additionnelle, et ce, uniquement pour des actes fautifs posés avant la date d’expiration de la police d’assurance. La prime additionnelle requise était près du double de la prime initialement payée.
Quant à la police excédentaire, sa clause 2 énonçait des exceptions au principe de « follow form » en ces termes : [traduction libre] « La police est soumise aux mêmes termes, conditions, limites et exceptions (sauf ceux relatifs à la prime […] et le renouvellement d’une entente) que ceux de la Police Primaire » [nos soulignements].
De plus, sa clause 8 prévoyait qu’aucune modification à la police primaire ne pourrait étendre la portée de la couverture de la police excédentaire si cette modification reposait sur le paiement d’une prime additionnelle, à moins que l’assureur excédentaire n’y consente par écrit.
En février 2020, les assureurs primaire et excédentaire ont refusé de renouveler les polices d’assurance de Cronos suivant sa décision de retarder la publication de ses états financiers.
Cronos s’est alors prévalue de la clause OEP auprès de son assureur primaire. La police excédentaire étant de type « follow form », Cronos a aussi tenté de se prévaloir de cette clause auprès de son assureur excédentaire en versant une prime additionnelle selon le même ratio que celui prévu dans la police primaire.
Or, l’assureur excédentaire a refusé d’accorder une telle extension de la période de couverture, au motif que sa police ne contenait pas de clause de type OEP.
Un premier jugement a tranché en faveur de Cronos en concluant que la clause OEP était également applicable à l’assureur excédentaire. Insatisfait de ce jugement, ce dernier l’a porté en appel.
Rejet de l’appel
La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel et a confirmé le jugement de première instance. D’abord, elle a souligné que la police excédentaire de type « follow form » devait respecter les termes et conditions de la police primaire, dont la clause OEP.
En effet, les exceptions relatives à la prime et au renouvellement énoncées à la clause 2 de la police excédentaire ne s’appliquaient pas puisque la clause OEP n’a pas pour effet de renouveler la police primaire. Elle permet uniquement de prolonger la période dont jouit Cronos pour dénoncer une réclamation faite à son endroit, pour un geste commis durant la période initiale de couverture d’assurance.
De plus, la Cour d’appel a estimé que la clause 8 de la police excédentaire était inapplicable en l’espèce. En effet, l’extension de la période de couverture de la police primaire n’avait pas pour effet de modifier la portée de la couverture de la police excédentaire, les gestes couverts demeurant les mêmes. Par ailleurs, le fait que la police excédentaire soit silencieuse sur le montant de la prime additionnelle permettant de bénéficier de la clause OEP n’était pas pertinent pour la Cour.
Le tribunal a conclu que le montant de la prime additionnelle devait être le double de la prime initiale de la police excédentaire à l’instar de ce qui était prévu dans la police primaire. C’est donc à bon droit que Cronos a versé à son assureur excédentaire une somme additionnelle équivalant au double de la prime initiale pour bénéficier d’une extension de couverture.
Conclusion
Cette décision démontre l’importance accordée à l’homogénéité des obligations contractées par les différents assureurs primaire et excédentaire(s). En principe, la police d’assurance excédentaire ne peut accorder moins de protection à l’assuré que la police d’assurance primaire, dont elle suit et intègre essentiellement le libellé. L’assureur excédentaire ayant émis une police d’assurance « follow form » devra intégrer et respecter le contenu fondamental de la police primaire, à moins d’une exclusion explicite de l’application d’une clause prévue à la police primaire, compatible avec la couverture émise.
Ces enseignements s’accordent avec ceux de la jurisprudence québécoise récente portant sur le contenu obligationnel implicite d’une police « follow form », notamment ceux de l’arrêt SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495.
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