Dans le cadre de ses activités, une entreprise est continuellement amenée à conclure un éventail de transactions. Les parties sous-estiment parfois l’importance des échanges précontractuels, ayant espoir de générer des économies de temps et de coûts et oublient que des termes et modalités imprécis ou incomplets peuvent devenir une source de litige et compromettre le succès de la transaction envisagée. C’est en étudiant le contenu obligationnel et le caractère exécutoire de ces divers échanges qu’il est possible d’en déterminer les effets juridiques.
L’obligation générale de négocier de bonne foi
En phase précontractuelle, les parties peuvent s’échanger des invitations à contracter sous la forme de lettres d’intention, accords de principe, avant-contrats ou esquisses établis pour fins de discussion. La distinction entre l’offre de contracter et la simple intention n’étant pas sans importance, les tribunaux ont fréquemment à trancher des débats relatifs à la nature contraignante de ces ententes préalables.
L’entente précontractuelle, bien qu’elle puisse être non-contraignante, oblige les parties à négocier de bonne foi. En cas de rupture abusive des négociations, la partie fautive peut voir sa responsabilité engagée. Cette obligation de négocier de bonne foi implique notamment l’interdiction d’entamer des négociations dans le seul but d’obtenir des informations ou de poursuivre des négociations une fois qu’elles sont vouées à l’échec.1
Cette obligation de bonne foi n’affecte en rien le principe de la liberté de ne pas contracter ou de cesser les négociations, mais elle commande de ne pas y mettre fin sans justification lorsqu’on a suscité chez le partenaire la confiance dans la conclusion de l’accord.
Offre de contracter vs promesse de contracter
Lorsqu’un document comporte tous les éléments essentiels du contrat envisagé et indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, il constitue une offre de contracter contraignante pour son auteur.2
La Cour d’appel réitère l’importance qu’une offre soit sérieuse, ferme et précise, car c’est ce qui permet de distinguer l’offre véritable, qui lie la personne de qui elle émane, de la simple invitation à contracter ou à entrer en pourparlers.3 La prudence est de mise puisqu’une offre de contracter, même sommaire est susceptible de lier son auteur.
L’offre doit être distinguée de la promesse de contracter. Tel que mentionné, l’offre est l’expression d’une volonté ferme d’être lié par ce qui y est stipulé en cas d’acceptation par l’autre partie. La promesse, quant à elle, manifeste une intention de contracter dans le futur, mais non dès maintenant.4 Une fois acceptée, la promesse unilatérale devient alors une promesse bilatérale par laquelle les parties conviennent de conclure ultérieurement le contrat projeté.5
Offre de contracter : éléments essentiels et pérennité contractuelle
L’offre de contracter est caractérisée notamment par la présence i) d’un accord ferme des parties sur tous les « éléments essentiels » du contrat envisagé et ii) de la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. Ces deux principes sont souvent au cœur d’un litige portant sur la nature d’un document précontractuel.
Bien que, sur une base objective, certains éléments soient considérés « essentiels », par exemple l’objet du contrat, les « essentiels » seront déterminés selon la nature du contrat envisagé, le comportement des parties et le contexte.6
Par exemple, advenant un litige portant sur la nature de l’écrit dans le contexte d’une transaction d’achat-vente, les tribunaux pourraient considérer, à titre d’éléments essentiels du contrat envisagé, la structure de la transaction, le prix ou un mécanisme de calcul du prix, le paiement d’un acompte, les conditions de financement, les représentations et garanties principales, la vérification diligente, les cas de résiliation de l’entente, la confidentialité des informations, la date de prise d’effet des étapes de la transaction et la date de clôture. Il n’est pas nécessaire que tous ces éléments soient déterminés et fermes, mais plutôt qu’il y ait une volonté commune sur tous les éléments essentiels du contrat et que le contrat contienne, dans le cas d’un élément qui n’est pas final, tous les indices et les critères nécessaires à sa détermination.
Il est donc possible que des éléments extérieurs à ceux qui sont objectivement essentiels s’ajoutent, selon les circonstances, et deviennent aussi essentiels, pourvu qu’ils aient été au cœur des pourparlers précontractuels.7
Par ailleurs, afin de déterminer si l’auteur a la volonté d’être lié en cas d’acceptation de son offre, le tribunal devra déterminer si l’écrit en question a atteint sa pérennité contractuelle et s’il était susceptible d’exécution immédiate à la lumière de son contenu obligationnel. Dans le cas contraire, l’écrit ne sera qu’une simple proposition de négocier un contrat, n’obligeant les parties qu’à négocier de bonne foi, sans plus.8 La prudence est de mise lors de la rédaction de telles offres de contracter, puisqu’en l’absence d’entente sur certains des éléments essentiels, les tribunaux ne pourront suppléer aux manquements pour déterminer les termes et conditions du contrat envisagé.
Interprétation : intention commune des parties dans l’appréciation de l’écrit
L’intention commune des parties a une valeur prépondérante dans l’évaluation de la nature contraignante de l’offre. Les tribunaux interpréteront l’entente préalable sur la base de l’écrit en question, de l’intention des parties et de l’ensemble des circonstances pour déterminer la nature de la relation juridique.9
Dans l’arrêt Toulon Development Corporation c. Revenue Properties Central Developments Ltd.10, la Cour d’appel énonce que le document antérieur à un contrat n’oblige les parties que si cet écrit et les circonstances l’entourant permettent de conclure à une volonté manifeste des parties de se soumettre aux engagements stipulés à l’écrit. Ainsi, les circonstances entourant la conclusion de l’accord préalable seront admissibles en preuve pour déterminer cette intention commune.
Dans l’affaire T.L. c. Y.L.11, le vendeur prétendait que l’entente conclue avec l’acheteur potentiel n’était pas suffisamment précise pour constituer une promesse de vente. Le vendeur invoquait, dans le cadre de la vente de certains terrains et bâtisses dont il était propriétaire, que la superficie des terrains vendus et les bâtiments vendus, par rapport à ceux qu’il conservait, ainsi que l’assiette d’un droit de passage n’étaient pas adéquatement décrits pour que l’entente soit exécutoire. Or, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance ordonnant la passation de titre, considérant que les imprécisions invoquées par le vendeur, en regard de l’intention évidente des parties qui se dégageait de la preuve, étaient suffisantes pour inférer la force exécutoire de l’avant-contrat conclu.
Les tribunaux, selon leur examen de la preuve, peuvent donc tolérer certaines imprécisions et ainsi confirmer le caractère contraignant d’un avant-contrat, pour donner préséance à l’intention réelle des parties.
Conclusion
Les parties ont grandement intérêt à négocier et rédiger judicieusement les modalités d’une entente précontractuelle reflétant leur véritable intention commune afin de réduire les risques de conflits et ainsi assurer le bon déroulement de la transaction. Comme l’a souligné la Cour d’appel, « quel que soit le nom qu’on puisse donner à un document antérieur à un contrat qui en est la suite, il n’oblige les parties qu’en autant qu’il le dit expressément ou implicitement. »12 La nature contraignante ou non de l’écrit, les éléments essentiels ou non du contrat envisagé et la véritable intention commune des parties détermineront son caractère exécutoire et sa nature contraignante.
Il faut entrevoir la phase précontractuelle comme une opportunité d’organiser et de planifier la transaction plutôt qu’un simple passage obligé pour atteindre une finalité.
Pour toute question relative à la rédaction, la négociation ou à l’interprétation d’un contrat ou un avant-contrat, adressez-vous aux membres de notre équipe en droit des affaires ici ou aux auteurs du présent billet :
Me Antoine Leclerc, avocat
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Me Emmanuelle-Salambo Deguara, avocate
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418 640-3620
1 Goulet c. Carrière, 2014 QCCS 5801, par. 104.
2 Article 1388 C.c.Q.
3 Howick Apparel Ltd. c. Champoux, 2007 QCCA 674, par. 13.
4 Article 1396 C.c.Q.
5 2736-4694 Québec inc. c. Carleton-St-Omer (Ville de), 2006 QCCS 4726.
6 Société en commandite de Copenhague c. Corporation Corbec, 2014 QCCA 439, par. 33-34.
7 Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2018, n° 277, note de bas de page n° 13.
8 Jolicoeur c. Rainville, 2000 CanLII 30012 (QCCA), par. 49 et 50.
9 Goulet c. Carrière, 2014 QCCS 5801, par. 38.
10 Toulon Development Corporation c. Revenue Properties Central Developments Ltd, 1988 CanLII 287 (QC CA).
11 T.L. c. Y.L., 2011 QCCA 1205.
12 Toulon Development Corporation c. Revenue Properties Central Developments Ltd, préc. note 10.