LES CONSÉQUENCES DE L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE SUR L’INDUSTRIE DE LA CONSTRUCTION

20 avril 2020

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Les réclamations de toutes natures sont devenues, au fil des ans, une réalité dans l’industrie de la construction. Que ce soit à cause du non-respect des dispositions contractuelles, de retards sur l’échéancier, de travaux additionnels ou encore de malfaçons et déficiences, sans oublier les retenues contractuelles, les occasions de présenter une réclamation sont multiples et les contextes sont déjà complexes.  Pour preuve, la jurisprudence sur la question foisonne et malgré quelques grands courants qui semblent se dégager, chaque cas demeure un cas d’espèce, en fonction de la preuve administrée.

En cette période de pandémie, est-ce que les valeurs de tolérance, d’entraide, de collaboration et de solidarité mises de l’avant sauront se transposer dans l’industrie de la construction? Bien que ce serait souhaitable, pas forcément! Les retards s’accumuleront, sans toutefois qu’ils soient tous imputables à la crise de la Covid-19. Bref, la suspension des activités sur les chantiers sera forcément à la source de plusieurs tracas contractuels et financiers pour les acteurs de l’industrie qui n’auront d’autre choix que de présenter des réclamations pour préserver leurs intérêts, sinon se sortir la tête de l’eau.

Voici quelques pistes de réflexion vous permettant de vous préparer à une telle situation.

L’urgence sanitaire et la force majeure dans l’industrie de la construction

« Un évènement que le débiteur ne pouvait prévoir, auquel il ne pouvait résister et qui a rendu impossible l’exécution de l’obligation »1 : voilà comment est définie la force majeure. De façon générale, pour que le débiteur soit libéré de son obligation, cet évènement doit présenter des caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité2. Une différence s’impose entre le fait d’être dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations et celui de les exécuter à perte en fonction des aléas du marché3.

Le concept de force majeure peut être encadré, limité et même faire l’objet d’une renonciation entre des parties à un contrat, ce qui ferait passer l’obligation de résultat à une obligation de garantie. Il est ainsi primordial de s’en remettre aux dispositions prévues au contrat de construction afin d’en connaître la portée. Selon les termes du contrat, la force majeure pourrait exonérer la responsabilité d’un cocontractant, suspendre temporairement ses obligations, ou n’avoir aucun effet, selon les circonstances.

Or, la partie qui prétend bénéficier d’une exonération ou d’une suspension de ses obligations pour cause de force majeure doit démontrer, selon la balance des probabilités, (i) qu’elle n’a pas renoncé contractuellement à une telle exonération ou suspension et (ii) que l’inexécution de ses obligations  est due à un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur auquel une personne raisonnable et prudente, placée dans les mêmes circonstances, n’aurait pu résister… et non d’un aléa du marché ou d’une décision d’affaires qui lui est propre.

Les conséquences de l’état d’urgence sanitaire 

Le 24 mars 2020, le gouvernement du Québec a imposé de nouvelles mesures draconiennes afin de limiter la propagation de la pandémie. L’une d’elles : la suspension des chantiers de construction. Bien que ceux-ci aient repris le 20 avril, du moins pour la construction résidentielle et sous de strictes conditions, il n’en demeure pas moins que cette mesure mette en veille l’avancement de plusieurs projets de construction sur l’ensemble du Québec. Ceci ne sera pas sans conséquence relativement aux obligations de résultat des professionnels, entrepreneurs et sous-traitants qui y travaillent, puisque cela n’emporte pas nécessairement l’extinction de telles obligations. Ceux-ci pourraient « bénéficier » uniquement d’un délai additionnel pour leur exécution.

En somme, dans la mesure où il sera déterminé qu’une épidémie, pandémie ou quarantaine constitue un cas de force majeure aux termes du contrat, la suspension des chantiers de construction en raison de l’état d’urgence sanitaire retardera l’exécution des obligations respectives des parties, sans possibilité pour elles, sauf exception prévue contractuellement, d’en réclamer les dommages qui en découlent.

Encore une fois, sous réserve des dispositions contractuelles, celui qui bénéficie de l’échéancier des travaux ne pourrait reprocher à l’entrepreneur un retard dans leur exécution et ce dernier ne pourrait réclamer en retour un dédommagement pour le préjudice qui découle de la suspension, y compris notamment :

  • Les salaires et avantages sociaux de la main-d’œuvre;
  • Les coûts d’entreposage des équipements et matériaux;
  • Les coûts de démantèlement et de démobilisation, de chauffage et de protection pour la période de suspension (sécurité du chantier, protection contre les intempéries, signalisation et protection hivernale);
  • Les impacts financiers sur son entreprise et ses activités;
  • Les pertes de bénéfices et profits;
  • Les autres coûts d’impact.

De plus, le retour au chantier ne se fera pas sans désagréments. Nous n’avons qu’à penser aux impacts suivants dus au ralentissement des activités et de l’économie :

  • La fluctuation des salaires et avantages sociaux, des coûts d’équipements et des matériaux et de leur disponibilité;
  • Les coûts de remobilisation;
  • Les coûts de réparation des bris survenus en cours de suspension;
  • Les procédures administratives relatives à la reprise des travaux;
  • Les difficultés financières de certains entrepreneurs, sous-traitants ou fournisseurs et l’arrêt définitif de leurs activités.

Toutes ces conséquences s’ajouteront aux autres causes de réclamation bien connues. Mais comment distinguer les conséquences de l’état d’urgence sanitaire des autres problématiques rencontrées en temps normal sur le chantier?

La mise en place de bonnes pratiques de gestion 

Chaque partie devrait prendre conscience de la situation existante avant, pendant et après la suspension d’un chantier de manière à démontrer, après coup, que les retards, coûts, dommages et préjudices sont attribuables à l’état d’urgence sanitaire plutôt qu’aux agissements d’une partie, aux aléas du chantier et aux risques de l’industrie.

En l’absence d’une telle distinction, il deviendra difficile, tant pour la partie qui présente la réclamation que pour celle qui s’en défend, de séparer le bon grain de l’ivraie.

Il est ainsi préférable de mettre en place de bonnes pratiques de gestion en documentant, sur une base régulière, les salaires et avantages versés à la main-d’œuvre, les coûts des matériaux et des équipements, la disponibilité de la main-d’œuvre et des tels équipements et matériaux, les pertes de temps, les dépenses additionnelles, les coûts et économies potentiels ainsi que les retards réels et futurs qui y sont associés.

Cette prise de conscience et la mise en place de telles pratiques éviteront les réclamations frivoles ou dilatoires mais par ailleurs permettront de soutenir les positions raisonnables en cas d’impasse et de judiciarisation du processus.

Pour toute question concernant l’impact et les conséquences de la suspension des chantiers, adressez-vous aux membres de notre équipe en litige commercial ici ou aux auteurs du présent billet.

Me Samuel Massicotte, Associé
Samuel.massicotte@steinmonast.ca
418 640-4421

Me Gilles-Étienne Lemieux, Avocat
Gilles-etienne.lemieux@steinmonast.ca
418 640-4430


1 Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 844.
2 Voir notamment l’article 1470 du Code civil du Québec, CCQ-1991.
3 Services Rivoca inc. c. Ville de Chambly, 2020 QCCS 739 (décision du 6 mars 2020 – délai d’appel non expiré au moment de la publication du présent article).

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