Le 9 novembre 2018, la Cour suprême du Canada a rendu le Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48. Dans un arrêt unanime, la Cour suprême reconnait la constitutionnalité de la proposition du gouvernement fédéral et de certaines provinces visant la mise en place d’un régime coopératif de réglementation pancanadienne des valeurs mobilières (le « Régime coopératif »), d’un organisme unique chargé de sa mise en œuvre (« l’Autorité ») et reconnait la constitutionnalité du projet de loi fédéral intitulé la Loi sur la stabilité des marchés des capitaux (l’« Ébauche de la loi fédérale »).
Le contexte
En 2011, la Cour suprême s’est prononcée dans un premier renvoi sur l’ancienne mouture du régime pancanadien qui, selon la Cour, empiétait « massivement » sur les compétences des provinces[1]. La Cour suprême a toutefois reconnu qu’une réglementation pancanadienne basée sur la prévention et la gestion du risque systémique lié aux marchés des capitaux canadiens pouvait relever de la compétence fédérale.
Forts de ces enseignements, le Canada et les provinces intéressées sont retournés à leur table à dessin et ont présenté une deuxième mouture, soit le présent projet de Régime coopératif. Ce projet prévoit la mise en place d’un protocole définissant les termes de l’accord entre les législatures fédérale et provinciales participantes (le « Protocole »), la mise en place d’une loi provinciale et territoriale type portant sur les aspects courants du commerce des valeurs mobilières (la « Loi provinciale type ») et la mise en place de l’Ébauche de la loi fédérale portant sur la prévention et la gestion des risques systémiques et créant des infractions criminelles relatives aux marchés financiers. Un organisme national de réglementation chargé de l’application de ce régime est ainsi créé, soit l’Autorité, et cette dernière est supervisée par un conseil des ministres composé des ministres responsables de la réglementation des marchés des capitaux de chacune des provinces participantes et du ministre fédéral des Finances (le « Conseil des ministres »).
Le Québec a donc posé par renvoi les deux questions suivantes à la Cour d’appel du Québec :
- La Constitution du Canada autorise-t-elle la mise en place du Régime coopératif sous la gouverne de l’Autorité tel que le prévoit le Protocole ?
- L’Ébauche de la loi fédérale excède-t-elle la compétence du parlement fédéral en matière de commerce selon la Loi constitutionnelle de 1867?
La Cour d’appel du Québec
En réponse à la première question, les juges majoritaires concluent que le Régime coopératif est inconstitutionnel pour deux raisons: (i) puisque les modifications à la Loi provinciale type doivent être approuvées par le Conseil des ministres, cela a pour effet d’entraver la souveraineté des provinces et (ii) le Protocole a pour effet de conférer aux provinces participantes un droit de veto à l’égard des règlements fédéraux, ce qui contrevient au principe du fédéralisme. En réponse à la deuxième question, la Cour d’appel conclut que l’Ébauche de la loi fédérale n’excède pas la compétence du Canada et relève de sa compétence en matière de trafic et de commerce à l’exception des articles énonçant le rôle du Conseil des ministres dans la prise de règlements fédéraux pour les mêmes raisons que celles énoncées à la première question. La Cour d’appel ajoute que faute de retirer ces articles, l’Ébauche de la loi fédérale serait inconstitutionnelle dans son ensemble.
La Cour suprême
Question 1 – Le Régime coopératif n’entrave pas la souveraineté des provinces
La Cour suprême conclut que la souveraineté des législatures n’est pas compromise par le rôle exercé par le Conseil des ministres. En effet, même si le Protocole prévoit que les modifications à la Loi provinciale type doivent être approuvées par le Conseil des ministres, la souveraineté des législatures provinciales ne s’en trouve pas compromise puisque ces dernières demeurent libres de rejeter les lois proposées ainsi que leurs modifications. De fait, si le Protocole devait effectivement entraver le pouvoir des provinces d’adopter, de modifier ou d’abroger leurs lois relatives aux valeurs mobilières, le Régime coopératif serait inopérant, car contraire au principe de la souveraineté parlementaire. La Cour précise également que le Régime coopératif n’empêche pas les provinces d’apporter des modifications à leurs propres lois sur les valeurs mobilières.
Par ailleurs, les juges refusent de conclure que le pouvoir conféré au Conseil des ministres relativement à l’approbation de la Loi provinciale type et de ses modifications constitue une délégation illégale du pouvoir provincial de légiférer sur les valeurs mobilières. En d’autres mots, ni le Protocole ni la Loi provinciale type n’habilitent le Conseil des ministres à modifier unilatéralement les législations provinciales et, de surcroît, rien dans le Régime coopératif n’impose de limite juridique au pouvoir législatif des provinces participantes d’adopter, de modifier ou d’abroger leurs lois respectives en matière de valeurs mobilières. C’est donc dire que malgré les pouvoirs importants conférés au Conseil des ministres, les provinces demeurent pleinement souveraines dans leur choix d’adopter ou non la Loi provinciale type.
Question 2 – L’Ébauche de loi fédérale respecte le partage des compétences
Lorsqu’il s’agit de déterminer si une loi adoptée par un palier de gouvernement respecte le partage des compétences, il faut d’abord qualifier l’objet véritable de la loi et par la suite déterminer si cet objet relève du champ de compétence invoqué pour soutenir la validité de la loi.
La Cour suprême conclut, que l’Ébauche de la loi fédérale relève de la compétence fédérale en matière de trafic et de commerce.
En effet, la Cour suprême affirme que le caractère véritable de l’Ébauche de la loi fédérale est d’endiguer le risque systémique d’instabilité du système financier du pays susceptible d’avoir des conséquences négatives importantes sur l’économie canadienne. Le risque systémique est compris comme un « effet domino » selon lequel la défaillance d’un participant du marché risque de nuire à la faculté des autres participants de s’acquitter de leurs obligations juridiques et ainsi de provoquer une série de chocs néfastes se répercutant sur l’ensemble du secteur financier. Le rôle de la législation fédérale dans la réglementation des marchés des capitaux se limite ainsi au repérage, à la prévention et à la gestion du risque systémique pour la stabilité de l’économie canadienne. En outre, la Cour suprême conclut que l’Ébauche ne vise pas à remplacer les lois provinciales et territoriales sur les valeurs mobilières, mais plutôt à les compléter.
Ainsi défini, le caractère véritable de l’Ébauche de la loi fédérale porte sur une matière d’importance et de portée véritablement nationale touchant le commerce et se distingue des enjeux provinciaux. Ce faisant, la Cour suprême conclut que l’Ébauche de la loi fédérale respecte le partage des compétences. Contrairement à la Cour d’appel du Québec, la Cour suprême considère que la faculté accordée aux provinces membres du Conseil des ministres de s’opposer à certaines modifications de la Loi provinciale type et à ses modifications n’a aucune incidence sur la constitutionnalité de l’Ébauche de la loi fédérale. En effet, comme la législature fédérale a compétence pour légiférer dans ce domaine, elle jouit incidemment du pouvoir de délégation de certains pouvoirs administratifs à un organisme de son choix, même si cet organisme est par ailleurs composé de représentants des législatures provinciales.
Les auteurs tiennent à remercier Félix-Antoine Blais, stagiaire chez Stein Monast Avocats, pour son apport à la rédaction de cet article.