Par Maud Rivard, associée, et Carolane Gélinas, avocate
Dans un jugement du 15 avril 2019, la Cour supérieure s’est prononcée sur une demande dirigée par les propriétaires d’un immeuble incendié à l’encontre de leur assureur, lequel niait couverture en soutenant qu’il y avait exploitation d’une culture de marijuana dans l’immeuble et donc que l’exclusion relative à l’utilisation du bien assuré pour des activités illégales ou criminelles prévue dans la police d’assurance s’appliquait1.
Les assurés étaient propriétaires d’un quadruplex, dans lequel ils occupaient l’appartement #3, lorsqu’un incendie est survenu le 1er mai 2013. Le sinistre résulte de la défaillance d’une lampe située dans l’appartement #4 utilisée pour la culture d’une plantation de cannabis. Avant de débuter son analyse, le juge Blanchard rappelle, en référant à deux jugements de cette même Cour2, que « la preuve de la connaissance de l’activité illicite par l’assuré entraîne l’application de la clause d’exclusion »3, que « ce fardeau repose sur les épaules de l’assureur »4 et que cette démonstration peut être établie par des présomptions graves, précises et concordantes.
Le tribunal relève plus d’une vingtaine d’éléments factuels dont l’appréciation dans leur ensemble le porte à conclure que « la version des demandeurs ne possède aucune crédibilité et s’avère totalement invraisemblable pour ne pas dire rocambolesque et farfelue »5. Notamment, la Cour retient que :
- Les trois (3) autres logements étaient inhabités et exclusivement dédiés à la culture du cannabis, on n’y retrouvait aucun effet personnel et les salles de bain n’étaient pas fonctionnelles;
- Des conduits de ventilation ont été installés dans les trois (3) logements et sortaient par les fenêtres des salles de bain situées à l’arrière du bâtiment qui étaient placardées à l’aide de contreplaqué;
- Un conduit de ventilation similaire à ceux dans les trois (3) autres logements se retrouve dans l’appartement occupé par les assurés;
- Toutes les fenêtres et portes extérieures des trois (3) logements étaient obstruées;
- Les installations pour la culture de la marijuana étaient identiques dans les trois (3) logements alors que, selon les assurés, il y aurait trois (3) locataires différents;
- Des travaux ont été effectués par l’un des assurés sur la toiture ainsi que dans l’appartement #1;
- Des mégots de cigarettes d’une marque que l’un des assurés admet fumer ont été retrouvés dans l’appartement #4, ce même assuré ayant reconnu pendant son témoignage avoir fumé les cigarettes en question;
- Des feuilles de cannabis ont été retrouvées dans un sac en plastique dans le congélateur de l’appartement occupé par les assurés;
- Tous les locataires ont quitté l’immeuble au plus tard à l’automne 2012 et les baux originaux qui ont été produits en pièce sont, selon le tribunal, en toute probabilité des documents qui ont été confectionnés après le sinistre par les assurés;
- Les locataires qui habitaient prétendument les trois (3) logements n’ont pu être retracés ni par les assurés, ni par les représentants de l’assureur;
- Les assurés payaient les factures d’électricité de tous les logements, lesquelles étaient extrêmement élevées pour les appartements dédiés à la culture de marijuana, et il n’y a aucune preuve que les locataires auraient remboursé quelque somme que ce soit aux assurés locateurs.
Ainsi, considérant les faits mis en preuve par l’assureur, l’absence de crédibilité accordée par le juge à la version des assurés ainsi que les sérieuses lacunes de la preuve avancée par ces derniers, le tribunal conclut que la clause d’exclusion relative aux activités illégales ou criminelles trouve application et rejette la réclamation des assurés.
La Cour d’appel a également rendu un arrêt le 10 juin 20196 dans lequel elle traite plus particulièrement des règles de preuve applicables en matière de déclarations extrajudiciaires. Dans cette affaire, l’appelant réclamait le versement d’une indemnité par son assureur, l’intimée, à la suite de dommages causés à son immeuble à vocation commerciale en raison de l’exploitation par un locataire d’une plantation hydroponique de cannabis. Lors de la découverte des dommages, les équipements avaient disparu et le locataire avait quitté les lieux. La juge de première instance a donné raison à l’assureur qui invoquait la nullité ab initio du contrat d’assurance au motif que l’assuré ne lui a pas déclaré la situation alors qu’il avait connaissance des activités de production de cannabis et y participait de façon directe ou indirecte.
La décision de la juge de première instance se fonde principalement sur des enregistrements de conversations téléphoniques entre le locataire et une avocate qui travaille dans le même cabinet que l’avocate de l’assureur. La demande pour permission de produire lesdits enregistrements a été formulée par l’assureur pendant la tenue du procès, après que les assurés eurent clos leur preuve et qu’il fut impossible d’exécuter un mandat d’amener contre le locataire afin qu’il témoigne devant le tribunal. La juge de première instance a accueilli cette demande et les enregistrements ont été produits à titre de déclarations extrajudiciaires.
L’appel porte principalement sur l’admissibilité de ces enregistrements, qui constituent la seule preuve directe de l’implication ou de la connaissance par l’appelant de la culture de cannabis dans l’immeuble. Les enregistrements contiennent notamment les déclarations suivantes du locataire :
- L’appelant et le locataire avaient été présentés, l’un à l’autre, pour un projet d’installer une plantation de cannabis dans l’immeuble de l’appelant;
- L’appelant avait payé les équipements nécessaires pour réaliser ce projet;
- L’appelant avait permis au locataire d’installer lesdits équipements dans son immeuble et les aménagements réalisés l’avaient été à sa connaissance et avec son approbation;
- Les lieux sinistrés ont servi à la production de cannabis;
- L’appelant avait promis de récompenser financièrement le locataire, avec de l’argent provenant de l’indemnité d’assurance réclamée à l’assureur, à condition qu’il demeure « caché » pour l’instant.7
La Cour d’appel conclut que les enregistrements ne satisfont pas aux conditions procédurales et au critère de fiabilité de l’article 2870 C.c.Q. Premièrement, la demande de permission pour produire les enregistrements à titre de témoignage formulée pendant l’instruction était tardive. La Cour indique que l’avis prévu à l’article 2870 C.c.Q. doit être donné avant la mise en état du dossier, soit bien avant le procès. En l’espèce, il appert pour la Cour que l’assureur savait depuis février 2015 qu’il était peu probable que le locataire se présente devant le tribunal pour témoigner et que, de surcroît, il était fort possible que les transcriptions des enregistrements soient nécessaires pour pouvoir contredire le locataire comme témoin hostile. La Cour indique donc que ces renseignements étaient tous de bons indices à l’effet que les transcriptions devaient être déposées avant le procès et que la juge de première instance a erré en concluant que l’avis donné après que l’appelant eut clos sa preuve en demande était suffisant, surtout considérant la nature hautement préjudiciable des déclarations pour l’appelant.
En ce qui concerne le critère de fiabilité exigé par l’article 2870 C.c.Q., la Cour d’appel conclut que les déclarations contenues sur les enregistrements ne présentent pas des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier et n’auraient donc pas dû être admises en preuve. La Cour souligne notamment qu’à titre de défendeur en garantie, le locataire a un intérêt certain à ce que la réclamation de l’appelant soit rejetée et, conséquemment, que l’appel en garantie tombe. De plus, la Cour ajoute que la juge de première instance a elle-même précisé que le locataire est un criminel qui a usé de faux-fuyants et fait preuve de réticences dans ses commentaires, ce qui ne saurait permettre de conclure à la fiabilité des déclarations.
Ainsi, les enregistrements exclus constituant la seule preuve directe de la connaissance ou de la participation de l’appelant dans la culture de cannabis, la Cour d’appel renverse le jugement de première instance en concluant qu’en l’absence de preuve relativement à l’implication de l’appelant, la juge ne pouvait conclure à la nullité du contrat d’assurance. La police était donc valide et couvrait les dommages causés à l’immeuble de l’appelant puisque les différentes exclusions invoquées par l’assureur ne s’appliquaient pas aux faits de l’espèce, notamment celle relative à l’acte posé par une personne à qui les biens sont confiés. La Cour précise à ce sujet que « l’assuré n’a pas commis d’acte malhonnête et un locataire (Séguin) ne peut pas être considéré comme une personne à qui le bien a été confié considérant que la souscription prévoit que le bâtiment est occupé ‘’par un tiers’’ »8.
La Cour d’appel se prononce ensuite sur la quantification des dommages en concluant qu’il n’y a pas lieu de retourner le dossier à la Cour supérieure, et ce, malgré que la juge de première instance ne traite pas de cette question. « Accéder à la demande de l’appelant serait effectivement contraire à l’intérêt de la justice et aux règles de proportionnalité et de l’utilisation adéquate des ressources judiciaires. Pourvu que les juges d’appel soient en possession des éléments de preuve pour quantifier les dommages, il n’est pas souhaitable de retourner un dossier au tribunal de première instance »9. La Cour indique finalement que bien que la police ne prévoit pas la protection valeur à neuf, celle-ci apparaît dans la proposition d’assurance, laquelle prévaut en cas de divergence conformément à l’article 2400 alinéa 2 C.c.Q.
1 Vo c. Compagnie d’assurances Desjardins (Desjardins, Groupe d’assurances générales), 2019 QCCS 1382.
2 Lévesque c. Compagnie d’Assurance Desjardins, 2013 QCCS 1552, par. 59 et 60; Canuto c. Allstate Insurance Company of Canada, 2008 QCCS 5460, par. 20 et suivants.
3 Idem, par. 14.
4 Idem, par. 14.
5 Idem, par. 57.
6 Cousineau c. Intact, compagnie d’assurances, 2019 QCCA 1022.
7 Idem, par. 28.
8 Idem, par. 65.
9 Idem, par. 68.