ANNULATION DE VOYAGE EN CONTEXTE DE PANDÉMIE : CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR POUR MINIMISER VOS DOMMAGES

12 juin 2020

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Au moment d’écrire ces lignes, la recommandation du gouvernement du Canada d’éviter tout voyage non essentiel à l’extérieur du pays est toujours en vigueur1. En outre, de nombreux pays imposent des restrictions de voyage ou d’entrée/sortie, comme des restrictions de mouvement et des quarantaines2.

Si, avant le début de la pandémie, vous avez acheté au Québec un billet d’avion en vue d’un voyage qui a été annulé ou qui doit avoir lieu prochainement mais que vous souhaitez maintenant annuler, vous vous demandez sans doute si vous pouvez obtenir un remboursement des frais que vous avez engagés et, dans l’affirmative, à quelles conditions.

Nous  vous proposons des informations qui vous permettront de bien orienter vos démarches dans l’objectif d’éviter ou, à tout le moins, de limiter les pertes monétaires que vous pourriez subir découlant de cette situation exceptionnelle vécue à l’échelle planétaire.

CONTRAT DE VOYAGE

Dans le cadre de la préparation d’un voyage, 3 options s’offrent au consommateur québécois qui désire se procurer un billet d’avion sans voyage organisé: 1) directement auprès de la compagnie aérienne ou sur le site Internet de cette compagnie, 2) par l’entremise d’un site Internet spécialisé dans la vente de titres de transport et de forfaits voyages ou encore 3) auprès d’une agence de voyages3.

Tous ces contrats sont d’abord des contrats de service au sens du Code civil du Québec4 (« C.c.Q. »). Les obligations du prestataire de services sont édictées à l’article 2100 C.c.Q.:

2100 C.c.Q. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu’ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure.

Ces contrats sont également des contrats de consommation au sens de la Loi sur la protection du consommateur5 (« L.p.c.»). Ainsi, le commerçant, qu’il soit transporteur aérien, agent de voyages ou grossiste, est également soumis à des obligations vis-à-vis le consommateur. Ces obligations sont spécifiquement prévues aux articles 16 et 40 L.p.c. :

16. L’obligation principale du commerçant consiste dans la livraison du bien ou la prestation du service prévus dans le contrat.

Dans un contrat à exécution successive, le commerçant est présumé exécuter son obligation principale lorsqu’il commence à accomplir cette obligation conformément au contrat.

40. Un bien ou un service fourni doit être conforme à la description qui en est faite dans le contrat.

Par ailleurs, il est acquis en jurisprudence que l’agent de voyages ou le grossiste sont tenus à une obligation de résultat6. Dès lors, ces derniers ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure ou la faute de la victime.

Selon l’article 1470 C.c.Q., la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible7. Lorsque l’obligation prévue au contrat devient impossible à exécuter en raison d’un cas de force majeure, le C.c.Q. prévoit les conséquences suivantes :

  • Le débiteur est libéré de son obligation8. C’est donc dire que le transporteur aérien, l’agent de voyage et le grossiste pourraient être libérés de fournir les services de transport au voyageur dans le contexte de la pandémie de COVID-19 pourvu qu’il soit impossible d’exécuter leurs obligations et non seulement plus onéreux de le faire.
  • Cependant, ils ne pourraient alors exiger du voyageur l’exécution de son obligation corrélative9, soit le paiement du coût du billet d’avion. Si ce paiement a déjà été effectué, le voyageur pourrait en obtenir le remboursement (la restitution), sous réserve de conditions particulières qui pourraient avoir été prévues au contrat au moment de sa conclusion (ex. pénalité, frais administratifs) et non ajoutées après la conclusion du contrat.

À titre d’exemple, il convient de souligner l’affaire Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée10 dans laquelle la division des petites créances de la Cour du Québec a jugé que l’éclosion des cas d’infection au virus A(H1N1) constituait un cas de force majeure ayant justifié de cesser les vols à destination du Mexique et de rapatrier d’urgence les voyageurs avant la fin de leur voyage. Dès lors, la Cour a conclu que l’agence de voyages et le grossiste étaient ainsi bien fondés de décliner responsabilité en plaidant la force majeure et elle a accueilli partiellement la réclamation en dommages des voyageurs en ordonnant seulement le remboursement d’une partie de la portion terrestre du forfait dont les demandeurs ont été privés, leur voyage ayant dû être écourté en raison de leur rapatriement d’urgence.

Enfin, soulignons que le contrat conclu avec une agence de voyages est également soumis à la Loi sur les agents de voyages et par le Règlement sur les agents de voyages11.

DROITS ET RECOURS DES VOYAGEURS EN CAS D’ANNULATION

Les droits et recours des voyageurs varient selon qu’ils aient fait affaires avec une agence de voyages ou non pour l’achat d’un billet d’avion.

a) Voyageurs ayant fait affaires avec un agent de voyages

Que le voyage ait été annulé par l’agent de voyages ou à l’initiative du voyageur lui-même, ce dernier devrait d’abord vérifier les conditions d’annulation prévues à son contrat. À cet égard, notons qu’en vertu de la L.p.c., certaines stipulations sont interdites dans les contrats écrits, comme les clauses d’exonération de responsabilité12 et les clauses arbitraires qui réservent au commerçant la détermination de l’arrivée d’un fait ou d’une situation13. En outre, rappelons qu’en vertu du droit commun, les clauses d’un contrat de consommation qui sont abusives, illisibles ou incompréhensibles seront frappées de nullité14. Par ailleurs, l’article 11.4 L.p.c. interdit toute stipulation qui exclut, en tout ou en partie, l’application de l’article 2125 C.c.Q. selon lequel le client peut unilatéralement résilier le contrat.

Ensuite, si l’agent de voyage refuse de rembourser ou n’accorde qu’un remboursement partiel, par exemple en raison de l’exigence de payer des frais administratifs ou une pénalité, le voyageur devrait alors vérifier s’il détient une assurance annulation de voyage et, le cas échéant, formuler une réclamation en vertu de cette assurance pour recouvrer la portion non remboursée de la valeur du billet. Une telle assurance peut être prévue à un régime d’assurance personnelle ou collective souscrit par le voyageur ou offerte par une carte de crédit, si le voyage a été acheté au moyen d’une telle carte.

Finalement, si vous n’avez obtenu aucun remboursement de votre agent de voyages ou n’avez obtenu qu’un remboursement partiel et que vous ne bénéficiez pas d’une assurance annulation ou qu’une telle assurance ne vous a pas permis d’être indemnisé intégralement, vous pouvez formuler une réclamation au Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyagesFICAV»). En effet, le fait d’avoir fait affaires avec un agent de voyages titulaire d’un permis du Québec confère au voyageur une protection additionnelle, soit la possibilité de formuler une réclamation au FICAV. Les conditions pour formuler une telle réclamation et la marche à suivre pour y parvenir sont explicitées sur le site Internet de l’Office de la protection du consommateur15. Sachez toutefois qu’une telle réclamation ne sera possible que 1) s’il y a impossibilité d’être remboursé ou indemnisé par l’agent de voyages, le fournisseur de services ou par un assureur, ou si vous n’avez obtenu d’eux qu’un remboursement partiel, 2) si le lieu de destination du voyage fait l’objet d’un avertissement officiel interdisant ou limitant les voyages émis par le gouvernement canadien et 3) si cet avertissement a été émis après l’achat du voyage et qu’il est encore en vigueur 72 heures ou moins avant la date prévue pour votre départ.

b) Voyageurs n’ayant pas fait affaires avec une agence de voyages

Dans un premier temps, ces voyageurs devraient vérifier les conditions d’annulation prévues à leur contrat et demander un remboursement directement au transporteur aérien ou au grossiste.

En cas de refus d’un remboursement intégral ou en cas de remboursement partiel, ils devraient vérifier s’ils détiennent une assurance annulation de voyage et, le cas échéant, formuler une réclamation en vertu de cette assurance. S’ils ne détiennent pas une telle assurance, ils pourraient demander le remboursement directement à l’émetteur de leur carte de crédit si les services de voyage ont été achetés au moyen d’une telle carte.

Enfin, les voyageurs qui n’ont pas fait affaires avec une agence de voyages ne peuvent être indemnisés par le FICAV.

Conclusion

Soulignons que des voyageurs insatisfaits se sont déjà tournés vers les tribunaux québécois et ont déposé des demandes d’autorisation d’exercer une action collective16 contre des transporteurs aériens et des agences de voyages. De nombreux mois risquent toutefois de s’écouler, voire des années, avant qu’un jugement ne survienne dans le cadre de ces recours, à moins d’un règlement à l’amiable. Il est trop tôt pour déterminer si les membres pourront être indemnisés à l’issue de ces recours.

Par ailleurs, soulignons que, lors de la séance de l’Assemblée nationale tenue le jeudi 28 mai 2020, les députés ont voté pour qu’il soit demandé au gouvernement canadien d’ordonner aux compagnies aériennes et autres transporteurs de rembourser les clients dont les voyages ont été annulés lors de la pandémie de Covid-1917. Il sera intéressant de voir si le gouvernement canadien prendra des mesures particulières visant à protéger les droits des canadiens qui se sont procurés des billets d’avion et si ces mesures permettront de solutionner les problèmes rencontrés à la suite du refus de certains transporteurs aériens de rembourser les voyageurs.

Pour toutes questions, adressez-vous aux membres de notre équipe de litige et droit civil ici ou encore aux auteurs du présent billet :

Me David Ferland, Associé
david.ferland@steinmonast.ca
418-640-4442

Me Nicolas Dubé, Avocat
nicolas.dube@steinmonast.ca
418-640-4422


1 GOUVERNEMENT DU CANADA, [En ligne] https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/2019-nouveau-coronavirus/derniers-conseils-sante-voyageurs.html (consulté le 8 juin 2020).
2 Idem.
3 Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière, Droit de la consommation, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 402, par. 401.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, Légis Québec, à jour au 1er mars 2020, [En ligne] http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/ccq-1991 (consulté le 8 juin 2020)
Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, LÉGIS QUÉBEC, à jour au 1er mars 2020, [En ligne] http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/p-40.1 (consulté le 8 juin 2020)
6 Lambert c. Minerve Canada, compagnie de transport aérien inc., 1998 CanLII 12973 (QC CA), p. 20; Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée, 2010 QCCQ 2842 (CanLII), par. 27 et par. 32; Gosselin c. Airtour Voyages, 2007 QCCQ 14600 (CanLII), par. 23.
7 Pour plus de détails sur les conditions de la force majeure, nous vous référons au billet de nos collègues Catherine Cloutier et Ruby Riverin-Kelly intitulé « La force majeure à l’ère de la COVID-19 Survol de la question quant à la responsabilité, les contrats et le droit du travail », du 27 mars 2020.
8 Art. 1693 C.c.Q.
9 Art. 1694 C.c.Q.
10 Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée, 2010 QCCQ 2842 (CanLII), par. 35 et suivants.
11 Loi sur les agents de voyages, RLRQ c A-10 : LÉGIS QUÉBEC, à jour au 1er mars 2020, [En ligne] http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/A-10; Règlement sur les agents de voyages, RLRQ c A-10, r 1. : LÉGIS QUÉBEC, à jour au 1er mars 2020, [En ligne] http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cr/A-10,%20r.%201/ (Consulté le 8 juin 2020)
12 Article 10 L.p.c.
13 Article 11 L.p.c.
14 Articles 1436 et 1437 C.c.Q.
15 OFFICE DE LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR, Voyage : Questions fréquentes en lien avec la COVID-19, [En ligne] https://www.opc.gouv.qc.ca/consommateur/bien-service/voyage/fonds-indemnisation/covid-19/; Marche à suivre pour être remboursé par le Fonds, [En ligne] https://www.opc.gouv.qc.ca/consommateur/bien-service/voyage/fonds-indemnisation/demarche/ (consulté le 8 juin 2020)
16 Alain Lachaine c. Transat A.T. inc. et Transat Tours Canada inc. et Air Canada et Société en commandite Touram (Vacances Air Canada), 500-06-001052-204. Description du groupe : Toutes les personnes physiques ayant acheté ou détenant un billet d’avion ou un forfait voyage avec Air Transat, Transat Tours Canada inc., Air Canada ou Société en commandite Touram qui dut subséquemment être annulé en raison de la pandémie de Covid-19 et qui ne purent en obtenir le remboursement. Genest c. Air Canada et als., 200-06-000248-206. Description du groupe : Les personnes ayant acheté ou payé un billet sur un vol exploité par les transporteurs Air Canada, Transat ou WestJet plus de 2 mois avant la date d’un vol prévu depuis le 9 mars 2020. Voir également la demande en Cour fédérale : Janet Donaldson v. Swoop et al., T-428-20.
17 Journal des débats de l’Assemblée nationale, jeudi 28 mai 2020, vol. 45, No 112, [En ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/42-1/journal-debats/20200528/270573.html#_Toc41915521 (consulté le 8 juin 2020)

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