Obligation de défendre de l’assureur: les derniers développements (9241-1842 Québec inc. c. Peel Properties inc., 2020 QCCS 2894)

7 janvier 2021

crédit: Unsplash Stefan Steinbauer

La Cour supérieure a récemment été appelée à se prononcer sur une demande de type Wellington visant à contraindre un assureur à assumer la défense de ses assurées. Après avoir rappelé les principes développés par les tribunaux en matière d’obligation de défendre, le tribunal a tranché en faveur des assurées.

Le contexte

9241-1842 Québec inc. et 9264-3265 Québec inc. (ci-après les « Assurées ») exploitent un hôtel de 24 étages dans un immeuble dont ils sont propriétaires, situé sur la rue Peel, à Montréal. La défenderesse principale, Peel Properties inc. (ci-après « Peel ») est quant à elle propriétaire de l’immeuble adjacent, lequel est de taille plus modeste puisqu’il ne compte que 3 étages.

Les deux immeubles partagent un mur mitoyen qui s’élève sur 3 des 24 étages de l’hôtel des Assurées. Les 21 autres étages sont libres de toute mitoyenneté et leur mur est la propriété exclusive des Assurées.

Au printemps 2018, les Assurées sont informées que Peel entend démolir son immeuble pour construire des condominiums. Elles s’adressent alors à la ville de Montréal et s’opposent à la démolition.

À l’automne, malgré l’opposition des Assurées, Peel débute ses travaux de démolition. Malgré certaines discussions, les parties ne peuvent s’entendre et des procédures judiciaires en injonction et en dommages et intérêts sont instituées par les Assurées.

Peel se porte demanderesse reconventionnelle. Elle reproche essentiellement deux fautes aux Assurées : (1) le comportement abusif et de mauvaise foi visant à arrêter et retarder les travaux, la privant ainsi de la jouissance de sa propriété et (2) l’institution de procédures judiciaires abusives et vouées à l’échec.

La position de l’assureur

L’assureur ne soulève aucune exclusion au soutien de sa position, mais invite le tribunal à conclure que les dispositions de la police ne couvrent pas les dommages réclamés dans la demande reconventionnelle. En effet, selon l’assureur, la réclamation de dommages purement économiques et financiers constitue la nature véritable des conclusions recherchées par Peel. Ainsi, pour l’assureur, les dommages réclamés ne constituent pas des « damages » et les faits menant à la réclamation ne sont pas une « occurrence », un événement accidentel au sens de la police.

Obligation de défendre : le droit applicable

Tout d’abord, le tribunal rappelle que l’obligation de défendre prend naissance lorsque les procédures judiciaires énoncent des faits qui, s’ils étaient prouvés, exigeraient de l’assureur qu’il indemnise ses assurés relativement à la demande. Pour cela, il faut bien évidemment qu’il soit reproché aux assurés un fait dommageable au sens de la police.

Ensuite, le tribunal cite les arrêts Nichols1 et Progressive Homes2 et réitère que dans le cadre de l’analyse de l’obligation de défendre les assurés, il faut accorder la portée la plus large possible aux allégations contenues dans la demande. Le fardeau de preuve requis est peu élevé, puisqu’il suffit de faire la démonstration d’une possibilité de protection pour conclure à l’obligation de défendre.

De plus, citant un arrêt récent de la Cour d’appel3, le tribunal nous rappelle qu’une fois la possibilité de protection démontrée, il incombe à l’assureur de prouver clairement et sans équivoque qu’une exclusion s’applique. S’il y parvient, les assurés ont alors le fardeau de démontrer qu’il existe une exception à l’exclusion soulevée par l’assureur.

Enfin, le tribunal fait une mise en garde importante aux assureurs. En effet, il souligne que si la lettre de négation de couverture n’invoque aucune exclusion et que seule la définition de ce qui est couvert est en jeu à ce moment, l’assureur ne peut ajouter plus tard des motifs négation de couverture.

À la lumière de ce qui précède, le tribunal retient que les allégations de la demande reconventionnelle sont suffisamment larges pour conclure à l’obligation de défendre les assurés. En effet, selon lui, les dommages réclamés relèvent du « punitifs, de l’exemplarité, de la perte de jouissance temporaire ou non d’un bien, d’une conduite excessive donnant ouverture à des dommages, d’abus de différentes natures, de prétextes blâmables, ou encore de manœuvres déloyales engageant une responsabilité, pour ne nommer que ceux-là4 ». Partant, le tribunal est d’avis que ces allégations, fondées ou non, mènent à une réclamation en dommages de toutes natures, plus larges que le portrait qu’en dresse l’assureur.

Commentaires

Cette décision constitue un rappel de l’abondante jurisprudence qui s’est développée aux fils des années quant à l’obligation de défendre de l’assureur.

Elle confirme également une tendance jurisprudentielle, selon laquelle le fardeau de l’assureur responsabilité qui refuse d’assumer la défense de son assuré en raison d’exclusions prévues dans sa police est extrêmement lourd à remplir.

Par ailleurs, soulignons que l’obligation de défendre de l’assureur a une portée plus large que l’obligation d’indemniser. En effet, la première repose sur des allégations tandis que la seconde doit s’appuyer sur des faits prouvés. Ainsi, si une preuve au fond démontre que la réclamation est exclue aux termes de la police d’assurance, il est évident que l’assureur n’aura pas l’obligation d’indemniser.

Considérant ce qui précède, nous suivrons avec attention le dénouement de cette affaire puisque les fautes reprochées aux Assurées peuvent s’apparenter à des fautes intentionnelles, lesquelles sont toujours exclus de la couverture d’assurance conformément à l’article 2464 C.c.Q.

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1 [1990] 1 RCS 801, p. 812.
2 [2010] 2 RCS 245, par. 19, 41 et 50.
3 2019 QCCA 1440, par. 35 et 36.
2020 QCCS 2894, par. 34.

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