La transparence corporative : pour ou contre, des balises doivent être établies!

5 octobre 2020

Crédit: Unsplash

À l’automne 2019, le gouvernement du Québec a sollicité la participation de la population en amorçant une consultation publique à l’égard de mesures potentielles visant à accroître la transparence corporative et à faciliter la lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, le financement d’activités criminelles et la fraude. L’une de ces mesures consisterait à permettre la recherche par nom et adresse d’une personne physique au Registre des entreprises du Québec (« REQ »).

Le REQ rend déjà accessibles le nom et l’adresse de domicile des administrateurs, des actionnaires, des associés et des dirigeants des entreprises québécoises. La proposition du gouvernement permettrait toutefois d’élargir l’accessibilité à ces informations en autorisant la recherche par nom et adresse et non seulement par nom d’entreprise.

Ainsi, il importe de souligner l’importance de pondérer la transparence corporative avec le droit à la vie privée de chaque individu. Tel que le mentionne la Commission d’accès à l’information du Québec dans le mémoire qu’elle a présenté lors de la consultation publique, « [l]’ajout d’une fonctionnalité permettant la recherche par nom ou par adresse d’une personne physique, si elle n’est pas balisée ou modulée, pourrait ouvrir la porte à une utilisation des informations contenues au registre à d’autres fins, incluant à des fins malveillantes ou préjudiciables aux personnes concernées et sans aucun lien avec leur statut de bénéficiaire ultime. ». De fait, grâce aux avancées technologiques, les renseignements personnels rendus publics dans un but précis sont de plus en plus susceptibles d’être utilisés à d’autres fins.

Avis favorables présentés lors de la consultation publique

Certains jugent souhaitable d’élargir au public la recherche par nom et adresse d’une personne physique au REQ. Pour OpenCorporates, cela permettrait de créer « un environnement corporatif fiable ». Grâce à cet environnement, il serait plus facile d’évaluer le risque de faire affaire avec une entreprise visée.

De l’avis de la Fédération des Caisses Desjardins du Québec, « [c]ela augmenterait l’efficacité des recherches effectuées au REQ. ». Comme elle le mentionne dans son mémoire, « [n]ous avons déjà accès à ces informations si nous faisons la recherche par nom d’entreprise, il ne s’agit donc pas de rendre accessibles de nouvelles informations, seulement d’élargir la portée de la recherche pouvant être effectuée. ».

Pour madame Pascale Cornut St-Pierre, professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, cette nouvelle mesure devrait être accueillie. Elle encourage d’ailleurs le gouvernement à aller au-delà de cette seule initiative en donnant un accès au REQ sous forme de données ouvertes. Les données ouvertes sont des données numériques lisibles à l’aide d’un ordinateur et susceptibles d’être utilisées et rediffusées sans restriction. Elle propose toutefois de donner l’option aux individus liés aux sociétés inscrites au REQ de ne publier qu’une adresse de correspondance et non leur adresse personnelle.

La Société Radio-Canada, favorable à cette initiative, considère qu’une personne assumant un poste au sein d’une entreprise accepte que ce poste soit connu du public; cette personne ne saurait avoir d’attente raisonnable de vie privée eu égard à sa position, son nom et son adresse personnelle. Elle affirme en outre que les avantages d’occuper certaines positions dans une entreprise viennent avec des obligations d’ouverture et de transparence.

Ceci étant dit, certains participants en faveur de cette nouvelle mesure, dont Ocean Network Express (Canada) Inc. et Transparency International Canada, jugent que certaines situations exceptionnelles pourraient justifier l’application d’une exemption, notamment lorsqu’il est question d’un risque démontrable pour la sécurité des individus dont les informations personnelles ont été diffusées.

Des avis défavorables

D’après l’Association du Barreau canadien – Division du Québec, il ne serait pas souhaitable d’élargir au public la recherche par nom d’individu au REQ. Elle souligne toutefois que dans certains cas, une telle recherche pourrait être permise, notamment si la personne physique visée y consent, si un jugement en dommages est rendu contre elle en raison de l’exercice de ses fonctions d’administrateur ou d’actionnaire ou si une ordonnance de sauvegarde ou tout autre jugement d’un tribunal permet spécifiquement une telle recherche. Elle croit également qu’il serait légitime d’assujettir une telle recherche au paiement de frais raisonnables.

Tout comme l’Association du Barreau canadien – Division du Québec, la Chambre des notaires du Québec ne croit pas qu’il soit approprié de permettre la recherche par nom d’individu au REQ. En effet, celle-ci « craint […] que l’élargissement des recherches, au sein du REQ, par le nom d’un individu, dénature complètement ce registre. ». Elle est d’avis que des balises strictes devront être prévues pour circonscrire les recherches si le gouvernement décide d’aller de l’avant avec cette nouvelle mesure.

Indécis

L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec suggère d’intéressantes balises, dont notamment « la mise en place d’un filtre à la recherche » qui permettrait d’identifier le demandeur de la recherche et de connaître les motifs pour lesquels il désire obtenir l’information recherchée. Il propose également d’instaurer « l’envoi automatique d’un avis à la personne qui a fait l’objet d’une recherche par nom ». Finalement, le gouvernement pourrait accorder une autorisation préalable à certaines personnes, telles que les journalistes d’enquête, relativement à l’utilisation d’une telle fonctionnalité.

Conclusion

Trouver l’équilibre entre la transparence corporative et le droit à la vie privée de chaque individu représentera un défi considérable pour le gouvernement. L’analyse des différents mémoires démontre à quel point les opinions sont partagées. Il semble toutefois raisonnable de croire que la mesure appropriée se trouve quelque part dans le spectre des positions présentées. La transparence corporative et les initiatives potentielles pour l’améliorer visent un but noble, mais, tel qu’indiqué dans le document de consultation du gouvernement, il faut garder à l’esprit que la finalité de la loi n’est pas de satisfaire la curiosité de tiers.

Pour toutes questions relatives à la transparence corporative, adressez-vous aux membres de notre équipe de droit corporatif et commercial ici ou encore à l’auteure du présent billet :

Me Valérie Lachance, avocate
valerie.lachance@steinmonast.ca
418-640-4413


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