Dans la nuit du 13 au 14 mai 2003, un incendie a complètement détruit le restaurant appartenant à Solange Martin Bédard (l’« Assurée »). Au moment du sinistre, l’établissement était assuré auprès d’Axa Assurances inc. ( « Axa »). À la suite de l’incendie, l’assureur a refusé de payer l’indemnité au motif qu’il s’agissait d’un incendie criminel dans lequel l’Assurée et son fils, Jean-Claude Martin ( « Martin ») étaient impliqués. Une action a été intentée par l’Assurée contre son assureur Axa réclamant, entre autres, le paiement de l’indemnité d’assurance.
Historique
Le 16 mars 2007, la Cour supérieure1 a rejeté l’action, concluant par présomption de faits que Martin était l’auteur de l’incendie et imputant à l’Assurée la faute de son fils. Le juge de première instance a notamment conclu que la présence de papier dans l’un des grille-pain situé à l’intérieur du restaurant était la cause de l’incendie. Il s’en est suivi une véritable saga judiciaire, plusieurs demandes en rétractation de jugement ont été présentées à la Cour supérieure ainsi que plusieurs demandes incidentes à la Cour d’appel.
Le 3 mai 20102, la Cour d’appel a accueilli la requête de l’Assurée pour preuve nouvelle et a autorisé l’assignation d’un représentant de la Sûreté du Québec (S.Q.) afin qu’il produise son rapport d’enquête ainsi que le rapport réalisé par un chimiste du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du Québec (Rapport Coulombe). Ces rapports étaient en lien direct avec certaines des conclusions du juge de première instance selon lesquelles la présence de papier dans l’un des grille-pains était la cause de l’incendie. Contre toute attente, le lendemain de l’audience, les avocats d’Axa ont informé les juges de la Cour d’appel avoir découvert dans leur dossier, les deux rapports en questions.
Le 25 mai 20103, la Cour d’appel a autorisé la production des deux rapports.
Le 3 mai 2013, l’Assurée et son fils ont intenté une action en responsabilité extracontractuelle contre les avocats d’Axa, la procureure générale du Québec, la S.Q. et les policiers impliqués. Le 24 septembre 20154, la Cour d’appel a suspendu ce recours dans l’attente du dénouement du présent dossier.
L’Assurée et son fils réclament la somme de 3 202 410$ à Axa pour le préjudice causé par le retard à payer les indemnités prévues au contrat d’assurance et pour abus de droit, en raison de son comportement lié au procès de 2006. Ils soutiennent notamment qu’Axa leur a fait un procès, en soutenant qu’ils étaient les auteurs de l’incendie, alors qu’elle savait que cela était faux et qu’elle en détenait la preuve.
Jugement portant sur une objection fondée sur le privilège relatif au litige
Pendant l’instruction, l’Assurée et son fils ont demandé d’avoir accès aux rapports de l’expert en sinistre dont les services avaient été retenus par Axa notamment pour rechercher la cause de l’incendie. Selon l’Assurée et son fils, il est nécessaire d’obtenir les rapports de l’expert en sinistre afin de démontrer qu’Axa savait, dès 2006, qu’il n’y avait pas de papier dans le grille-pain et qu’ils n’étaient pas considérés comme suspects. L’assureur s’est objecté à la demande de documents, soulevant le privilège relatif au litige.
Dans son jugement, le Tribunal reconnaît que le privilège relatif au litige est une exception à la communication forcée de documents et qu’il s’agit d’une exception distincte du droit au respect du secret professionnel d’un avocat. Il rappelle également que le privilège relatif au litige permet de créer une zone de confidentialité à l’occasion ou en prévision d’un litige.
Cela étant dit, le Tribunal cite les propos de l’honorable juge Fish dans l’arrêt de la Cour suprême Blank5, à l’effet que « […] le privilège relatif au litige ne saurait protéger contre la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible. Il ne s’agit pas d’un puit sans fond duquel la preuve que l’on s’est mal conduit ne pourra jamais être extraite pour être exposée au grand jour ». En l’espèce, l’Assurée et son fils plaident notamment l’abus de droit et la conduite répréhensible d’Axa.
Le Tribunal soulève également que lors du procès, l’expert en sinistre d’Axa a mentionné, concernant l’analyse des grille-pains, qu’il était possible qu’il ait été informé par les policiers du résultat et qu’il en aurait parlé dans son rapport. Selon le Tribunal, les rapports permettront de constater et de contrôler l’étendue des informations détenues par l’assureur avant le procès de 2006. Citant la décision Marcoux6, il rappelle que l’état de connaissance de l’assureur est un fait que l’Assurée et son fils ont le droit absolu de vérifier.
Finalement, le Tribunal reprend les propos de l’honorable France Thibault de la Cour d’appel dans son jugement du 30 janvier 20187, selon lesquels : « [l]es faits reprochés à Axa par les appelants sont particulièrement graves. Dans le contexte d’un contrat d’assurance, où les attentes d’un assuré en matière de bonne foi et d’honnêteté de son assureur sont élevées, la conduite d’Axa, telle qu’alléguée, est des plus choquantes. […] ». Ainsi, il considère que les circonstances de cette affaire sont très particulières.
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal rejette l’objection concernant le privilège relatif au litige. Il s’agit d’un jugement important puisqu’il établit une exception dont pourront se servir les assurés qui ont des reproches à faire à leur assureur dans le traitement de leur dossier. Il faudra néanmoins faire preuve de prudence avant d’élargir indûment la portée de cette exception, en présence d’un privilège générique tel que le privilège relatif au litige. Par ailleurs, aucun jugement sur le fond n’a été rendu à ce jour.
Pour toute précision, nous vous invitons à contacter les membres de notre équipe en droit des assurances, en litige, ici ou l’auteur du présent billet :
Me Nicolas Dubé, Avocat
nicolas.dube@steinmonast.ca
418 640-4422
1 Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., 2007 QCCS 1316.
2 Martin Bédard c. Axa Assurances inc., 2010 QCCA 862.
3 Martin Bédard c. Axa Assurances inc., 2010 QCCA 1024.
4 Pettigrew c. Bédard Martin, 2015 QCCA 1537.
5 Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, par. 44 et 45.
6 Marcoux c. Union commerciale du Canada, 1993 CanLII 4024 (QC CA).
7 Bédard Martin c. Intact, compagnie d’assurances inc., 2018 QCCA 162, par. 44, 45 et 54.