L’omission de lire un contrat avant de le signer : une erreur inexcusable?

7 avril 2021

Unsplash: Gabrielle Henderson

Signer un contrat sans l’avoir lu peut entraîner de lourdes conséquences. En effet, cela ne constitue généralement pas un motif permettant d’annuler le contrat puisqu’il s’agit d’une erreur qualifiée d’inexcusable par la jurisprudence dominante1.

L’erreur inexcusable : la règle générale

L’erreur inexcusable résulte d’une négligence d’une certaine gravité ou d’une incurie2. Il s’agit d’une erreur qui aurait pu être évitée si le cocontractant avait pris « un minimum de précautions »3. D’ailleurs, l’article 1400, alinéa 2 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») édicte qu’une « erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement ».

Un des éléments essentiels pour former un contrat est l’échange de consentement (article 1385 C.c.Q.), qui se manifeste généralement par la signature qu’on y appose. Ce consentement peut cependant être vicié par une erreur portant sur la nature du contrat, l’objet de la prestation ou sur tout autre élément essentiel qui a déterminé le consentement (article 1400, alinéa 1 C.c.Q.).

Prenons l’exemple d’une personne qui, croyant uniquement signer un bail commercial au nom de son entreprise, s’engage personnellement à cautionner les obligations de celle-ci en cas de défaut, et ce, sans aucune fausse représentation ou manœuvre dolosive émanant de son cocontractant. En principe, il y a erreur sur la nature du contrat conclu, ce qui vicie son consentement.

Toutefois, si cette personne ne lit pas le contrat prévoyant en termes clairs et non ambigus l’existence du cautionnement, elle ne pourra pas prétendre que son consentement a été vicié par une telle erreur. Effectivement, l’omission de lire un contrat avant de le signer constitue généralement une erreur inexcusable4.

Ainsi, l’erreur portant sur la nature du contrat signé, bien qu’il s’agisse d’un élément déterminant du consentement, ne peut donner ouverture à l’annulation du contrat puisque cette erreur aurait pu être facilement évitée en le lisant.

La raison d’être de la règle

 La raison pour laquelle le législateur empêche un cocontractant d’invoquer une erreur inexcusable pour demander l’annulation du contrat se justifie pleinement.

Pour reprendre l’exemple précédent, la personne qui ne lit pas le contrat s’engage malgré tout à l’égard de son cocontractant à cautionner les obligations de son entreprise aux termes du bail. Si l’entreprise qui loue le local est en défaut, le locateur est en droit de faire appel à la caution pour lui demander d’exécuter les obligations de la locataire.

Pourquoi la caution pourrait-elle refuser de payer au motif que son consentement a été vicié, alors qu’elle n’a jamais lu le contrat avant de le signer? Comment justifier que le locateur soit pénalisé en raison de la négligence de la caution?

En empêchant une partie d’invoquer une erreur inexcusable, « le législateur vise à encourager les contractants à adopter une attitude proactive et responsable […] et à ne pas pénaliser un cocontractant de bonne foi »5.

Le cocontractant qui n’a pas lu un contrat avant de le signer sera ainsi tenu de respecter l’ensemble de ses obligations.

Les exceptions à la règle générale

Il y a cependant des exceptions.

Ainsi, comme l’exposent des auteurs, « l’absence de lecture d’un acte – incurie, en principe inexcusable – peut être justifiée, soit par la précipitation à le faire signer due au cocontractant lui-même, soit par la complexité d’un document présenté par une personne apparemment très compétente, soit par le contexte même de la conclusion du contrat »6.

Cette omission peut également être justifiée si, en raison de fausses représentations ou de manœuvres dolosives, une personne a été induite en erreur par son cocontractant.

Par exemple, dans l’affaire Superior Energy Management Gas, l.p. c. 9102-8001 Québec inc.7, des représentants d’un fournisseur de gaz avaient conclu un contrat avec le contrôleur d’un hôtel. Ce dernier avait signé des documents – sans les avoir lus – qui engageaient l’hôtel à s’approvisionner en gaz naturel au prix offert par le fournisseur. La preuve a toutefois révélé que les représentants avaient laissé croire au contrôleur que les documents signés étaient préliminaires et qu’ils seraient suivis d’une soumission officielle.

Par conséquent, s’il est vrai que le contrôleur a commis une erreur en apparence inexcusable en ne lisant pas les documents, celle-ci devient excusable lorsque le « dol prend la forme de représentations mensongères »8. Dans ce cas, « on ne peut tenir rigueur à la victime de s’être fiée aux renseignements qui lui étaient fournis au moment de signer le contrat »9. Par conséquent, la Cour d’appel confirme l’annulation du contrat d’approvisionnement en gaz.

Conclusion

À la lumière de ce qu’il précède, force est de constater qu’il est impératif de lire vos contrats avant de les signer, sans quoi il ne sera généralement pas possible de vous dégager des obligations qui y sont prévues.

Même s’il existe quelques exceptions à la règle, celles-ci se font rares en jurisprudence. Il est donc toujours plus prudent d’effectuer une lecture attentive du contrat avant de le signer afin d’éviter de mauvaises surprises.

Pour toute question relative à l’exercice de vos droits, adressez-vous aux membres de notre équipe en litige ici ou encore aux auteurs du présent billet :

Me Mathieu Ayotte, Associé
mathieu.ayotte@steinmonast.ca
418 640-4459

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cassandra.iorio@steinmonast.ca
418 640-4428

 


1 Quesnel c. Laberge, 2011 QCCA 779, par. 61.
2 Roy c. L’Unique, assurances générales inc., 2019 QCCA 1887, par. 34.
3 9266-0257 Québec inc. c. Wrapcity Gourmet Restaurants inc., 2017 QCCS 746, par. 57.
4 Quesnel c. Laberge, 2011 QCCA 779, par. 61.
5 Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Thémis, 2018, no 540.
6 Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Thémis, 2018, no 549. [Renvois omis]
7 Superior Energy Management Gas, l.p. c. 9102-8001 Québec inc., 2013 QCCA 682.
8 Superior Energy Management Gas, l.p. c. 9102-8001 Québec inc., 2013 QCCA 682, par. 15.
9 Superior Energy Management Gas, l.p. c. 9102-8001 Québec inc., 2013 QCCA 682, par. 15.

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