L’excuse n’est pas synonyme d’aveu: nouvelle notion juridique en droit québécois

3 mars 2021

pexels: cottonbro

Jusqu’à tout récemment, le Québec était l’une des seules provinces au Canada n’ayant pas adopté de législation sur les excuses. Depuis plusieurs années, une protection juridique des manifestations de sympathie ou de regret était réclamée, de façon à ce qu’elles puissent se faire sans crainte de répercussions juridiques néfastes.

Le 12 juin 2020, à l’occasion des modifications au Code civil du Québec (« C.c.Q. ») visant notamment à abolir le délai de prescription des actions civiles en matière d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale, la notion d’excuse a ainsi été codifiée :

2853.1. Une excuse ne peut constituer un aveu.

De plus, elle ne peut être admise en preuve, avoir d’incidence sur la détermination de la faute ou de la responsabilité, interrompre la prescription ou annuler ou diminuer la garantie d’assurance à laquelle un assuré ou un tiers a droit.

Constitue une excuse toute manifestation expresse ou implicite de sympathie ou de regret.

Cette modification vise, entre autres, à harmoniser le droit québécois avec celui des autres provinces et territoires canadiens, à l’exception du Yukon, ayant déjà légiféré le concept d’excuse. L’intention du législateur est de prévoir explicitement une protection juridique aux excuses afin d’en favoriser la présentation.

Avant la codification de la notion d’excuse, le risque que l’expression de sympathie ou de regret soit considérée comme un aveu de faute ou de responsabilité de son auteur n’était pas négligeable. Les juges, en droit québécois, avaient la discrétion d’admettre ou non les excuses à titre d’aveu, de sorte qu’il pouvait être dommageable de les présenter. Désormais, puisque les déclarations de sympathie ou de regret sous forme d’excuse ne sont plus admissibles en preuve, elles seront vraisemblablement présentées plus ouvertement.

Importance des excuses

Pour la victime, les excuses peuvent constituer un élément important dans sa quête de guérison. L’aspect monétaire d’un recours en justice n’est pas toujours suffisant pour réparer les dommages causés à une personne. Une excuse peut permettre à la victime de mieux comprendre la situation et ultimement l’aider à tourner la page1.

Les excuses ont également un impact important pour la personne impliquée dans la survenance du préjudice, peu importe que la victime les accepte ou non. Le fait de s’excuser permet notamment à l’auteur du préjudice de soulager sa conscience et d’exprimer des regrets par rapport à la situation en cause2. Cela est d’autant plus vrai pour des professionnels, tels que les professionnels de la santé, pour qui le fait de s’excuser « permet de se libérer de ce poids et de redevenir fonctionnels, évitant ainsi de répéter le geste et d’éviter une autre situation qui causerait un préjudice semblable »3.

Dans la mesure où elles se limitent à exprimer de la sympathie ou du regret, la présentation d’excuses pourra désormais être encouragée, alors qu’avant elle ne l’était pas, par peur de constituer un aveu de responsabilité.

Exceptions

Bien que l’excuse elle-même ne puisse désormais être considérée comme un aveu en droit québécois, il faut rester vigilant quant à son contenu. La reconnaissance d’un fait, contenue dans une excuse, demeure admissible en preuve. Par exemple, si l’auteur d’une lettre d’excuses y reconnaît avoir posé un geste fautif, il ne pourra bénéficier de l’inadmissibilité de ses propos. L’admission des faits contenue dans sa lettre d’excuses demeurera admissible devant le tribunal.

Par ailleurs, la protection entourant les excuses est applicable uniquement en matière civile. Il faut donc demeurer prudent dans la présentation d’excuses lorsque les évènements en lien avec les excuses peuvent avoir un impact en matière criminelle.

Conclusion

En raison de son entrée en vigueur récente, l’article 2853.1 C.c.Q. n’a pas encore été interprété par les tribunaux. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de l’utilisation des excuses dans divers domaines du droit, tel que la responsabilité professionnelle. L’interprétation et l’étendue qui seront données à cette notion par nos tribunaux n’étant pas encore définies, il faudra demeurer prudent lors de la présentation d’excuses.

Pour toute question relative à l’exercice de vos droits, adressez-vous aux membres de notre équipe en litige ici ou encore aux auteures du présent billet :

Me Julie Pamerleau, Associée
julie.pamerleau@steinmonast.ca
418-649-4014

Me Frédérique Lessard, Avocate
frederique.lessard@steinmonast.ca
418 649-4008


1 Robert-Jean CHÉNIER, « Pour l’adoption d’une loi sur la protection des excuses au Québec », dans S.F.C.B.Q., vol 441, Colloque national sur l’action collective : Développements récents au Québec, au Canada et aux États-Unis (2018), Montréal, Éditions Yvon Blais
2 Ibid.
3 Ibid.

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